Le contrôle des négociations commerciales annuelles par l’administration peut donner lieu à des opérations de visite et saisies avant la conclusion des accords le 1er mars ou après cette date sans que cela ne paraisse disproportionné ou injustifié compte tenu notamment du caractère essentiellement oral des demandes formulées par les distributeurs.

Par Karine Turbeaux, avocate associée, et Violaine Ayrole, avocate, Cabinet Renaudier

Le recours aux enquêtes lourdes en matière de pratiques restrictives de concurrence : une nouvelle tendance ? Jusqu’à présent, l’administration contrôlait le résultat des négociations commerciales en réalisant des enquêtes simples sur le fondement de l’article L. 450-3 du Code de commerce. Mais alors que les lois Hamon puis Macron ont considérablement étendu les pouvoirs des enquêteurs pour leur permettre d’exiger la communication de tout document en enquête simple, les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont de plus en plus tendance à recourir aux enquêtes lourdes de l’article L. 450-4 du même code qui leur permet de réaliser des opérations inopinées de visite et saisies sur autorisation judiciaire, pour rechercher l’existence de pratiques restrictives de concurrence, telles que le déséquilibre significatif sanctionné par l’article L. 442-6 I, 2° du Code de commerce. Deux affaires récentes en sont l’illustration.

Lors des négociations ayant abouti aux accords applicables pour l’année 2014, l’administration, alertée par des lettres ouvertes d’organisations représentant les producteurs et fournisseurs de la grande distribution, a diligenté une enquête nationale l’ayant amenée à soupçonner Intermarché d’avoir demandé à ses fournisseurs dès le mois de mars 2014, des avantages financiers ou commerciaux supplémentaires sans contrepartie et non prévus dans la convention annuelle. Ces demandes auraient dans certains cas été accompagnées de pressions formalisées par des arrêts de commande, des déréférencements ou des menaces. Lors de son audition par la DGCCRF le 9 juillet 2014, le distributeur avait contesté les reproches de l’administration. Visiblement insatisfaite de ces réponses, l’administration n’a pas hésité à solliciter du juge de la liberté et de la détention (JLD) l’autorisation de mener auprès d’Intermarché des opérations de visite et de saisies (enquête lourde), qui ont été autorisées par une ordonnance du 16 juillet 2014.

« On peut s’interroger sur le caractère justifié et proportionné du recours à l’enquête lourde »

Plus récemment, au cours de l’enquête nationale réalisée par la DGCCRF relative aux négociations en cours devant aboutir aux accords de l’année 2016, l’administration a recueilli des éléments laissant penser que Carrefour aurait demandé depuis le 2 décembre 2015 à ses fournisseurs, comme préalable à toute négociation, de bénéficier d’un avantage financier supplémentaire (remise intitulée « Remise complémentaire de distribution ») destiné à compenser le surcoût logistique résultant du développement de son réseau de magasins de proximité, sous la menace d’un report des négociations et de mesures de rétorsions. Sans même avoir cherché à entendre les explications du distributeur et vraisemblablement pour préserver un effet de surprise, la Direccte a, par une ordonnance du 5 février 2016, été autorisée à procéder à des opérations de visite et saisies chez Carrefour. Les négociations commerciales de ces deux distributeurs ont donc donné lieu à des saisies, alors que les négociations d’Intermarché avaient déjà pris fin et avaient donné lieu à la signature des accords annuels, tandis que celles de Carrefour étaient encore en cours.

On peut s’interroger sur le caractère justifié et proportionné du recours à l’enquête lourde. Dans les deux affaires ici présentées, l’administration, suivie par le juge des libertés et de la détention (JLD), a considéré que le recours à l’enquête simple s’avérait insuffisant compte tenu du caractère oral des pratiques, voire de leur caractère secret, et des contraintes de temps pouvant engendrer une dissipation des éléments de preuve. Le climat très tendu des négociations entre les distributeurs et certains fournisseurs a vraisemblablement déterminé le juge à faire usage de l’enquête lourde pour éviter que certains documents ne soient expurgés de tous ces éléments de contexte. En revanche, si l’on comprend qu’une contrainte de temps était réelle dans l’affaire Carrefour dans la mesure où les négociations étaient en cours et qu’après la signature des accords, il aurait été plus délicat de mettre en évidence le lien de causalité entre le refus de signature de l’accord par le distributeur et le refus du versement de la remise par le fournisseur, cet élément semblait absent dans l’affaire Intermarché. Quoi qu’il en soit, il appartient au juge qui autorise des opérations de visite et saisie de vérifier qu’il existe un faisceau d’indices laissant présumer des agissements prohibés justifiant que leur preuve soit recherchée.

 

Comme en matière de pratiques anticoncurrentielles, les deux opérateurs concernés ont classiquement interjeté appel des ordonnances rendues par le JLD et ont contesté par ailleurs le déroulement des visites et des saisies. Par trois arrêts rendus les 18 novembre 2015 et 14 décembre 2016, la cour d’appel de Paris a, dans les deux cas, confirmé les ordonnances du JLD et rejeté les recours contre les opérations de visites et de saisies.

Dans les deux arrêts du 18 novembre 2015 (Intermarché), la cour d’appel de Paris a notamment rappelé à Intermarché, qui reprochait une absence de recours effectif au juge pendant les opérations, que la loi ne prévoit pas l’assistance personnelle du JLD aux opérations et que le débat contradictoire relatif au champ d’application d’une pièce saisie s’exerce devant la cour et non pas dans une télécopie adressée dans la nuit au tribunal avant que les pièces ne fassent l’objet d’une cotation et d’un inventaire. Dans l’arrêt du 14 décembre 2016 (Carrefour), la cour d’appel de Paris s’est prononcée notamment sur la pratique des scellés provisoires qui, selon Carrefour, ne garantit pas efficacement les droits de la défense dans la mesure où lors de leur ouverture les enquêteurs ont la possibilité de prendre connaissance du contenu des documents. Après avoir rappelé que la société visitée peut refuser la procédure des scellés provisoires, la cour d’appel considère que cette procédure permet à l’entreprise visitée de faire connaître aux enquêteurs les pièces qui, d’après elle, pourraient bénéficier de la protection liée à la confidentialité des correspondances avocat client. Ainsi, les documents peuvent être rapidement supprimés de sorte que la pratique des scellés provisoires offre une seconde garantie pour les sociétés visitées. Finalement, on constate que les nombreux arguments soulevés par les sociétés visitées n’ont pas eu plus de succès qu’en matière de pratiques anticoncurrentielles rendant ainsi la jurisprudence en la matière bien établie.

Sur les auteurs :

Karine Turbeaux est avocat associée et Violaine Ayrole est avocat au sein du Cabinet Renaudier, qui est dédié exclusivement au droit économique et qui est un des cabinets d’avocats français les plus actifs dans ses principaux domaines d’activité – distribution, concurrence, concentrations – tant en conseil qu’en contentieux.

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