En s’opposant à la signature de l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur, Emmanuel Macron s’impose sur la scène mondiale comme un dirigeant en pointe en matière d’écologie. Il réalise surtout un coup habile en matière de politique nationale.

Osaka, le 29 juin 2019. Lors d’une conférence de presse à l’issue du G20, Emmanuel Macron est interrogé sur le projet d’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur, communauté économique qui regroupe plusieurs pays d’Amérique latine, dont les deux géants continentaux que sont l’Argentine et le Brésil. Le président de la République est très clair : « À ce stade, l’accord est bon. » Il prévoit notamment une forte baisse des droits de douane, ouvre les portes de l’UE à la viande sud-américaine et les marchés publics aux groupes européens. Une clause du traité impose au Brésil dirigé par le climatosceptique Jair Bolsonaro un strict respect de l’environnement (respect des accords de Paris et protection de la forêt amazonienne). Un projet qui, selon l’Élysée, serait gagnant pour tous.

Emmanuel Macron règle ses comptes

Pourtant, le 23 août, durant le G7 de Biarritz, Emmanuel Macron prend tout le monde de court. Considérant que son homologue brésilien a « menti » sur ses intentions écologiques, il annonce qu’il s’oppose à l’accord. Le bloquant de fait, puisqu’il suppose l’accord de tous les pays membres de l’Union européenne. Cette décision intervient alors que la forêt amazonienne est en proie aux flammes et que Jair Bolsonaro se distingue par son immobilisme et ses actions de déforestation. Le risque de voir dans les assiettes des Européens de la viande ou du soja provenant de terres défrichées sur le poumon vert de la planète a été trop grand pour Emmanuel Macron. Le président était de toute manière peu disposé à faire des concessions à l’ancien militaire qui multiplie les provocations à son égard : refus de recevoir le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian pour cause de rendez-vous avec son coiffeur, dénonciation de l’attitude « colonialiste » de la France lorsqu’elle se préoccupe de la déforestation…

La décision soudaine et unilatérale d’Emmanuel Macron a plutôt reçu un bon accueil de la part de l’Union européennes puisque certains États, comme l’Irlande et le Luxembourg, ont annoncé qu’ils se rangeaient du côté du côté du président de la République. De quoi ajourner définitivement l’accord et faire du Chef de l’État un porte étendard de la croisade internationale en faveur de l’environnement. Et ce, à peu de frais, d’autant que ce revirement présente, sur le plan intérieur, de nombreux avantages politiques.

Affaires intérieures

En prenant cette décision surprise, Emmanuel Macron évite une potentielle grogne dans les rangs de sa majorité. Certes, dans les médias cette dernière jugeait l’accord plutôt bon. Mais derrière l’ apparente discipline parlementaire, c’est une autre réalité qui se dessine. En juillet, lors de l’adoption du Ceta, accord commercial entre l’UE et le Canada, neuf députés LREM avaient voté contre et 52 s’étaient abstenus. Un camouflet pour le gouvernement qui ne s’était jamais heurté à une telle opposition interne. Plus que jamais les élus de la majorité comptent faire entendre leur voix sur l’accord UE-Mercosur ; d’autant que certains ont été interpellés dans leur circonscription par des agriculteurs inquiets par cette ouverture des frontières… C’est notamment le cas Jean-Baptiste Moreau, agriculteur et député LREM de la Creuse. Fervent défenseur Ceta, il qualifie l’accord UE Mercosur de « mauvais ».

Le président matérialise son tournant écologique qui, pour le moment, n'était pas incarné par des propositions fortes

En repoussant aux calendes grecques l’entrée en vigueur de l’accord, le Président s’épargne une potentielle grogne des députés marcheurs. Il ôte également à l’opposition un motif d’attaque. Surtout, il matérialise son « tournant écologique » qui, pour le moment avait du mal à être incarné par des propositions fortes et comprises de tous.

Électoralement, ce pourrait être un pari gagnant. Lors des élections européennes, LREM a obtenu un résultat plus que convenable en siphonnant les voix de la droite. En revanche de nombreux « marcheurs de gauche » ont opté pour EELV qui a obtenu la troisième place du scrutin avec 13,4% des voix. Un réservoir d’électeurs qu’Emmanuel Macron compte reconquérir en vue des municipales de mars 2020 et, à moyen terme, de la présidentielle de 2022. Les félicitations de Nicolas Hulot qui se réjouit de cette « première étape essentielle », tout en appelant à des sanctions commerciales contre le Brésil, montre la pertinence de cette stratégie. Emmanuel Macron envoie également un signal fort à tous les partis de gauche, qui, durant leurs universités d’été jouent à « qui est le plus écolo ». Par sa position inattendue, Emmanuel Macron montre que pendant que certains parlent, d’autres agissent. Alors, prise de conscience écologique ou « petits calculs politiques » ? Nul ne peut le savoir pour le moment. Une chose est certaine, le président de la République sort renforcé de la séquence.

Lucas Jakubowicz

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