Il y a peu, Berlin et Paris créaient l’événement avec une proposition conjointe de plan de relance post-Covid. Stupeur sur la scène européenne. Non seulement le couple franco-allemand, jugé moribond, retrouve son rôle de moteur de l’UE, mais son projet pourrait donner un second souffle à l’intégration communautaire. Une double victoire, donc, qui est d’abord celle d’Emmanuel Macron, lequel signe là un joli coup diplomatique.

On le disait battant de l’aile, usé par des mois d’un bras de fer larvé… mais il y a quelques jours, le couple franco-allemand apportait la preuve non seulement de sa résilience mais aussi de son efficacité. En prenant la main sur le plan de relance imaginé par l’Europe pour venir en aide aux pays frappés par le tsunami du Covid, le tandem Paris-Berlin vient de se propulser, une fois de plus, sur le devant de la scène européenne et, surtout, de confirmer sa capacité à peser sur ses orientations. À l’origine de ce retour en force, des mois de diplomatie souterraine qui auront permis à Emmanuel Macron d’abord de fédérer autour de son projet de toujours en faveur d’une Europe plus autonome, plus forte et donc, au budget renforcé, mais aussi de réaffirmer le poids de la France au sein de la Commission. Retour sur cette période qui aura permis au Président français de reprendre la main. Et au sein du binôme qu’il forme avec la chancelière allemande, et comme moteur de l’Union européenne.

« Rupture radicale »

Le 19 mai, soit à peine plus d’une semaine avant l’annonce du plan de relance européen, Emmanuel Macron et Angela Merkel créent la surprise en proposant, lors d’une conférence de presse commune, la mise en œuvre d’un plan de relance de 500 milliards d’euros via un mécanisme de mutualisation de la dette européenne. Concrètement, l’idée consiste à contracter sur les marchés « au nom de l’UE » un emprunt massif de 500 milliards à redistribuer ensuite aux pays et régions les plus lourdement impactés par la crise. Aussitôt, les réactions affluent. Et pour cause : l’initiative, unanimement qualifiée de « tournant historique », marque une rupture radicale dans la ligne de l’Allemagne : alors que celle-ci s’y était toujours farouchement opposée, la voilà prête à mutualiser les dettes des États membres. Non seulement l’avancée promet d’être décisive dans le financement de la reconstruction d’une économie européenne post-Covid-19, mais elle l’est également en termes d’intégration communautaire, laquelle, fragilisée par les coups de boutoir démocratiques des mouvements nationalistes, se voit ici accorder un second souffle inespéré par le couple Paris-Berlin, décidemment plus opérationnel que jamais.

Du discours de la Sorbonne…

Grand vainqueur de cette séquence, Emmanuel Macron voit, pour sa part, sa patience récompensée ; lui qui, dès le début de son quinquennat, lors du désormais célèbre discours de la Sorbonne, affirmait que seul « un budget plus fort » permettrait de relancer le projet européen, non seulement en « réduisant les divergences » mais aussi en stabilisant le navire « face aux chocs économiques ». Dès cette date, l’ambition est donc claire. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne fait pas l’unanimité. Côté démocraties du nord, les plus vertueuses en termes de rigueur budgétaire, elle se heurte même à une fin de non-recevoir. Pas question, en effet, pour les bons élèves de l’Europe de payer pour les mauvais. Même chose pour l’Allemagne qui, elle aussi, se refuse à financer les déficits de ses membres les plus dispendieux.

En fin politique, Emmanuel Macron aura su attendre son heure pour pousser un projet qui, le mois dernier, prenait la forme d’une proposition commune de plan de relance…

Fin du débat, sujet suivant, aurait-on pu légitimement penser à l’époque. Si ce n’est qu’en fin politique, Emmanuel Macron aura su attendre son heure pour pousser un projet qui, le mois dernier, prenait la forme d’une proposition commune de plan de relance… La victoire est telle que, côté Élysée, on a du mal, au sortir de la conférence de presse, à réprimer un certain triomphalisme. « C’est un pas en avant important, une avancée majeure, nous avons l’acceptation du principe d’une dette commune, » déclare-t-elle ainsi avant d’évoquer « le résultat d’un long travail de coordination et de convergence » entre les deux chefs d’État. Travail clairement assorti, en ce qui concerne le président Macron, d’une vaste opération de diplomatie en « one to one », pour ne pas dire de pression soft, auprès de la chancelière allemande.

… à la lettre des 9

Une mise sous tension progressive qui culmine fin mars avec l’épisode de « la lettre des neuf », cet appel adressé à l’initiative du Président français au Président du Conseil européen, Charles Michel, dans lequel, huit dirigeants européens et lui-même plaident pour la création de « corona bonds » afin de donner à l’UE les fonds nécessaires pour venir en aide aux États membres victimes de la crise sanitaire. Lorsque, quelques semaines plus tard, l’arrêt de la cour constitutionnelle de Karlsruhe, en Allemagne, vient contester la politique de la BCE dans ce que beaucoup perçoivent comme un regain nationaliste et, en réaction, raviver le désir d’une plus grande intégration communautaire, c’en est trop pour Angela Merkel. Entre ce nouveau climat porteur sur son territoire national et la pression des derniers mois, elle cède. Le 13 mai, elle s’exprime en faveur d’une intégration accrue de la zone euro. Une semaine plus tard, la voilà face caméras pour en appeler, aux côtés d’Emmanuel Macron, au déploiement d’un dispositif de relance post-crise sanitaire fondé sur un emprunt commun.

Entre ce nouveau climat porteur sur son territoire national et la pression des derniers mois, Angela Merkel cède

Coup diplomatique

Pour la chancelière, le revirement n’est certes pas sans risque : elle sait qu’il est de nature à lui attirer les foudres d’une partie de l’opinion allemande. Mais elle sait également que, sans cette aide accordée aux pays les plus touchés par la récession, le risque est grand de voir le projet européen se disloquer, avec tout ce que cela comporterait de menace sur l’économie de son pays. L’ex-euro-député Danny Cohn-Bendit le confirmait il y a peu : « Si l’Europe s’effondre, ce sera un suicide allemand ». Et si les avancées des dernières semaines permettent in fine de voir la crise sanitaire reconvertie en levier de relance de l’intégration européenne, comme beaucoup, dans le camp Macron, le prédisent déjà, le Président français aura réussi un coup diplomatique d’une portée inédite.

Caroline Castets 

 

 

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