Puisque optimisation patrimoniale rime avec diversification, nombreux sont ceux qui hésitent à se lancer dans la constitution d’une collection artistique. Émilie Villette, directrice du développement chez Christie’s, revient sur les spécificités de cet « investissement passion » risqué.

Décideurs. L’art est-il un actif comme les autres au sein d’un patrimoine privé ?

Émilie Villette. L’art et les objets de collection sont devenus une classe d’actifs à part entière, d'autant plus attractive qu'elle revêt ce caractère tangible particulièrement recherché par les particuliers depuis la crise. Cependant, cette classe d'actifs conserve une place à part dans un patrimoine privé. Le risque, la liquidité, la fiscalité, l’usage et le plaisir liés à la possession d’œuvres d’art en font des actifs atypiques. Ainsi, l’art n’est pas un produit d’investissement au sens purement financier du terme et il ne peut s’inscrire dans un modèle économétrique. Si le marché de l’art est lié aux marchés financiers, il est surtout corrélé à l’évolution de la richesse mondiale et à sa distribution. L’émergence de grandes fortunes notamment en Asie, au Moyen-Orient ou en Amérique latine a renforcé sa résilience. La preuve ? Le marché de l’art a retrouvé dès 2011 ses couleurs d’avant-crise avec un montant total des transactions mondiales excédant 60 milliards de dollars. 

 

Les œuvres d’art constituent-elles un moyen de s’enrichir ?

Acheter une œuvre d’art est d’abord une affaire de désir, de plaisir et de curiosité. C’est aussi faire entrer l’art dans son intimité, embellir son quotidien, assouvir une passion. Cette émulation esthétique et émotionnelle, cet enrichissement intellectuel constituent son principal attrait. Dans une perspective patrimoniale, une collection est un réservoir de valeur qui peut permettre de transmettre du sens et pas seulement un capital. Financièrement, une potentielle plus-value à la revente est bien entendu possible. Par ailleurs, les œuvres d’art bénéficient dans beaucoup d’États – dont la France – d’une fiscalité adaptée et souvent avantageuse et d’une législation plutôt favorable aux échanges internationaux. Notons enfin le faible risque géographique entourant les œuvres d’art qui peuvent être déplacées relativement facilement. Côté risques, il ne faut pas perdre de vue qu’en tant qu’objet, une œuvre est susceptible d’être endommagée, perdue voire volée (autant de risques qui s’assurent toutefois). Les œuvres d’art ont une liquidité modérée et leur période de détention n’est pas rémunératrice. Le marché de l’art est complexe, parfois opaque, et soumis aux effets de mode. Pour les investisseurs pressés à la recherche de seules plus-values financières à court terme, l’art est risqué. Selon l’objectif poursuivi, une analyse bénéfices/risques s’impose donc

« Pour les investisseurs pressés à la recherche de seules plus-values financières à court terme, l’art est risqué. »

Quels conseils donneriez-vous pour sécuriser la constitution d’une collection ?

Associer passion et raison forme une règle d’or pour qui veut se lancer dans l’acquisition d’œuvres d’art. Se « faire un œil » demande du temps or plus on sollicite son regard, plus il évolue… Pousser la porte des musées, des galeries et des salles des ventes, échanger avec les experts ou encore parcourir la presse artistique sont donc des étapes préalables indispensables pour se créer un premier sentiment, se familiariser avec les œuvres, le marché, les cotes, les usages et se rendre compte que tous les budgets peuvent se lancer. Plusieurs points de départ sont possibles selon sa sensibilité et son éducation mais une chose semble acquise : il faut avant tout acheter ce que l'on aime, tout en restant vigilant sur l’adéquation entre la qualité de l’œuvre choisie et son prix. Autre conseil : garder en tête que sur le marché de l’art existe immanquablement une prime à la qualité. Ainsi, au-delà du prestige d’un artiste, il faut privilégier le meilleur de sa production : ce pour quoi il est connu et recherché des collectionneurs. Enfin, s’entourer de spécialistes établis est central pour se prémunir contre les risques de faux, vérifier la provenance et l’état de conservation d’une œuvre convoitée, autant d’éléments clés pour la détermination de son prix.

 

Tout l’enjeu est de parvenir à établir la valorisation la plus juste. Comment y parvenir ?

Définir la valeur d’une œuvre relève de la combinaison de six principaux critères. Les deux premiers sont intrinsèques à l’objet : il s’agit de sa qualité et de sa rareté. Entrent par exemple en compte la notoriété de son auteur, sa datation, son format, le sujet représenté ou encore la technique utilisée. S’y ajoute un élément plus subjectif : l’adéquation de l’œuvre avec le goût du jour. Enfin, sa fraîcheur (l’œuvre est-elle déjà passée récemment sur le marché ?), son état de conservation et sa provenance ont une influence directe sur son prix. Ce dernier point peut être crucial : si l’œuvre est issue d’une collection réputée ou a appartenu à une personnalité, son prix s’en trouvera augmenté. Ce fut le cas pour les ventes de la collection Bergé/Saint-Laurent ou celle, plus récente, des Giacometti d’Hubert de Givenchy.

« Le régime actuel excluant de l’assiette de l’ISF les œuvres d’art doit être maintenu. »

Outre l’art contemporain, quels sont les secteurs prisés des collectionneurs ?

Il faut garder en tête qu’il n’existe pas un marché de l’art, mais une multitude de micromarchés de maturité, de dynamisme et de profondeur géographique différents. À titre d’exemple, chez Christie’s, 98 % des acheteurs en valeur dans nos ventes d’art américain sont eux-mêmes américains, c’est donc un marché très régional. En revanche, l’impressionnisme, l’art du XXème siècle ou la joaillerie sont des marchés mondiaux. Aujourd’hui, l’art moderne, d’après-guerre et contemporain attirent les convoitises, tout comme le vin, le luxe (bijoux, montres, sacs de collection), la photographie, le design ou encore la bande dessinée. Attention toutefois aux généralités car chaque artiste constitue de fait un micromarché : même si le record pour une œuvre d’Andy Warhol est établi à plus de 100 M$, il est possible de s’offrir un de ses tableaux pour 100 000 à 150 000 €.

 

Les projets de réformes fiscales vont-ils favoriser les acquisitions d’œuvres ?

C’est difficile à anticiper précisément à ce jour puisque nous n’avons pas encore connaissance du détail de ces réformes. Ce qui est certain c’est que le régime actuel excluant de l’assiette de l’ISF les œuvres d’art doit être maintenu. Il en va de l’existence et du dynamisme du marché de l’art français, ainsi que du maintien d’une certaine tradition de collection et de mécénat dans notre pays. Il faut également garder un œil attentif au sort réservé à la taxation des plus-values de cession pour les œuvres d’art.

« Il n’existe pas un marché de l’art, mais une multitude de micromarchés de maturité, de dynamisme et de profondeur géographique différents. »

Christie’s enregistre une croissance de 14 % de ses ventes au premier semestre 2017 dans le monde. Quels sont les axes de développement de la maison pour les mois à venir ?

L’une de nos priorités est de continuer à nous adapter à la nouvelle géographie du marché mondial marquée par la montée en puissance de l’Asie. En effet, au premier semestre, les acquisitions des collectionneurs de ce continent pèsent 35 % de nos ventes en valeur (contre 8 % en 2006). Répondre au mieux à l’appétit artistique de ces acheteurs est devenu un enjeu critique. Il nous faut les accompagner aussi bien dans leurs achats d’art asiatique, dont ils sont naturellement friands, que dans d’autres catégories de la maison comme le luxe et l’art moderne. Parallèlement, nous nous sommes lancés à la conquête de la côte ouest des États-Unis avec l’inauguration d’un espace à Los Angeles. Un autre grand chantier concerne la recherche et la fidélisation de nouveaux clients pour élargir notre audience. Le digital est un puissant relais en la matière : 29 % des acheteurs dans nos ventes sur internet, dites « online-only », sont nouveaux chez Christie’s. Ce phénomène nous pousse à repenser notre business model : en plus des traditionnelles ventes de gré à gré ou aux enchères, nous devons nous saisir à pleines mains des possibilités offertes par le digital.

Propos recueillis par Sybille Vié

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