Non, avec la création de son propre mouvement politique, l’ancien premier ministre ne compte pas trahir Emmanuel Macron à qui il doit beaucoup. Son objectif ? Le soutenir et se rendre indispensable. Pour mieux lui succéder un jour…

Ambiance de fête au Carré des Docks, mythique salle de spectacle du Havre. En ce samedi 9 octobre, plus de 3 000 personnes battent des mains pour accueillir la vedette du jour. Cette fois, il ne s’agit pas d’une star de la musique mais d’Édouard Philippe, maire de la ville et ancien premier ministre. Costume parfaitement coupé, barbe bien taillée, sans notes, la personnalité politique préférée des Français annonce la création de son parti. Son nom ? Horizons. Pour une raison, selon lui toute simple : "Parce que pour faire bien, il faut voir loin". Et nul ne doute qu’avec cette démarche, le juppéiste se positionne sur le long terme.

Pas de trahison

Dès les premiers mots, son discours se place d’ailleurs au-dessus des querelles politiciennes puisqu’il propose de lutter contre "les vertiges" de notre époque et se projette dans la France de 2050 en réfléchissant aux questions de géopolitique, d’innovation, d’environnement ou encore de démographie. Assis au premier rang, Christophe Castaner, patron du groupe LREM applaudit poliment mais semble crispé. Au sein de la Macronie, il n’est pas le seul à se poser des questions. Avec cette initiative partisane, l’ancien numéro deux ne chercherait-il pas à trahir son patron ? À tenter de devenir calife à la place du calife ? Ces interrogations peuvent se comprendre. Après tout, Emmanuel Macron n’est-il pas devenu président de la République après avoir lancé son propre mouvement alors que François Hollande était prêt à se représenter ?

Ces questions, Édouard Philippe les comprend parfaitement. Tout est donc mis en œuvre pour rassurer le président et son premier cercle. La création d’Horizons est un acte de collaboration plus que de défiance. Et pour que les choses soient bien claires, le barbu le plus célèbre de France multiplie les déclarations. Dès le 12 septembre sur TF1, il annonce qu’il "soutient" Emmanuel Macron pour la prochaine élection présidentielle. Rebelote au Havre où il multiplie les marques de fidélité : "La réélection d’un président, c’est encore plus difficile que son élection (…). Je le dis très clairement, mon objectif c’est qu’en 2022 Emmanuel Macron soit réélu. Et Horizons peut être un outil idéal." Ce que reconnaît Stanislas Guérini, délégué général de LREM qui considère que le nouveau parti est "une chance pour la majorité présidentielle".

"Mon objectif, c'est qu'Emmanuel Macron soit réélu. Et Horizons peut être un outil idéal"

Peser dans la majorité

Emmanuel Macron et sa garde rapprochée en sont conscients : LREM a bien des défauts. Si le parti est parvenu à conquérir l’Élysée et l’Assemblée nationale, c’est grâce à son créateur et à lui seul. La preuve, le mouvement peine à s’implanter et à attirer des élus locaux. Pour la prochaine présidentielle, une nouvelle stratégie semble s’esquisser. Celui qui semble favori à sa succession devrait non pas s’appuyer sur un parti mais sur une "fédération", une "maison commune" ou un "pôle progressiste". Si le terme exact n’est pas défini, l’architecture commence à prendre forme. Plusieurs partis placent peu à peu leurs pions : Territoires de progrès structure l’aile gauche autour d’ancien socialistes, le Modem occupe le centre… Et Horizons compte faire main basse sur le flanc droit (en avalant Agir la droite constructive, parti sans leader) pour devenir la principale force de la nouvelle majorité. Une ambition tout à fait réaliste qui devrait éviter à l’ancien premier ministre le destin d’un Nicolas Hulot, à savoir une popularité élevée mais un poids politique très faible.

"Il est de bon ton de se proclamer libre de tout appareil partisan. Mais sous la Ve République, pour exister, il faut un parti qui, lui seul, permet de concourir à une élection, d’obtenir des postes et des subventions", assure l’universitaire Christophe Bellon, spécialiste de l’Histoire parlementaire. Selon lui, Édouard Philippe dispose de tous les atouts nécessaires pour mener à bien son aventure : "Un chef expérimenté et populaire, des lieutenants dévoués, des élus locaux bien ancrés, une idéologie politique et un positionnement qui devrait rendre Horizons incontournable". Ajoutons que, en matière de création de parti, le Havrais "sait y faire" puisqu’il a été l’un des architectes de l’UMP en 2002.

Édouard Philippe souhaite éviter un destin à la Nicolas Hulot : une popularité élevée mais un poids politique faible.

Sas d’accueil

Pour décrocher un nouveau quinquennat, Emmanuel Macron va probablement continuer à adopter une posture "ni droite ni gauche". Cela suppose d’attirer de nouveaux électeurs venus de la droite : "L’électorat macroniste est parvenu à siphonner une grande partie de la gauche modérée, en témoignent les sondages très bas pour Anne Hidalgo", analyse Pierre-Hadrien Bartoli, directeur des études politiques d’Harris Interactive. D’après lui, 'il y a encore un important vivier d’électeurs à aller chercher à droite, d’où l’importance de structurer l’offre'.

Dans cette optique, Horizons fait office de cadre idéal pour attirer l’électorat de droite et, surtout, des responsables venus de LR dont le départ pourrait contribuer à fracturer le parti. "Édouard Philippe est en train de créer un réceptacle pour électeurs de droite et un sas d’accueil pour responsables LR qui souhaitent rejoindre la majorité présidentielle sans pour autant s’afficher LREM". 

En 2027, Édouard Philippe aura 57 ans et espère devenir candidat naturel de l'actuel majorité

Pour le moment, la stratégie semble fonctionner puisque, le 9 octobre, de nombreux élus de droite se sont affichés au Havre. Parmi les plus notables, Hubert Falco, maire de Toulon, Christophe Béchu, maire d’Angers, Delphine Bürkli maire du IXe arrondissement de Paris, Frédéric Valletoux, maire de Fontainebleau, ou encore Arnaud Robinet, maire de Reims, qui a annoncé, dans la foulée, son départ de LR. "Zemmourisation" possible de la droite républicaine, assurance de rejoindre un homme de leur bord, carriérisme… Ces éléments pourraient inciter de nombreux responsables à s’encarter à Horizons.

Le Dauphin de France

Dans cette nouvelle aventure, Édouard Philippe, connu pour son sens de la discipline et de la logistique, compte agir en trois temps. En premier lieu, il devrait tout faire pour aider Emmanuel Macron à se faire réélire. Même si les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, il n’a aucun intérêt objectif à trahir le Président. Il a tout à gagner, en revanche, à devenir indispensable à sa victoire.

Dans un second temps, tout indique que le plan consiste à peser dans la majorité. "Il va sûrement négocier une quarantaine de circonscriptions gagnables aux prochaines législatives pour posséder un groupe parlementaire à sa botte", pronostique Christophe Bellon qui le voit bien occuper le poste de président de l’Assemblée nationale et être fidèle jusqu’au bout afin de se positionner comme un successeur potentiel d’Emmanuel Macron qui, en 2027, ne pourra plus concourir pour un troisième mandat, Constitution oblige…

Puis vient le troisième étage de la fusée : ayant conquis le cœur des Marcheurs, arrimé la droite à la majorité, fait preuve de son honnêteté et de sa responsabilité d’homme d’État, Édouard Philippe pourra émerger, à 57 ans, comme candidat potentiel à la présidentielle de 2027. De quoi contenter tout le monde ou presque. Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire, qui, à droite, rêvent probablement de la présidence n’ont pas fait acte d’allégeance. Ce qui laisse présager des tensions dans les années à venir…

Lucas Jakubowicz

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