Par Philippe Goossens, avocat associé. Altana
Si la reconnaissance puis l’extension de la responsabilité pénale des personnes morales ont profondément modifié le rapport de ces dernières au juge pénal, la gestion du procès pénal présente des spécificités qui n’ont pas encore été toutes prises en considération. La chambre criminelle a apporté quelques précisions au cours des années passées, mais il reviendra à la loi d’apporter les aménagements encore nécessaires.

Chacun admettra qu’il est essentiel pour une personne morale de connaître l’identité de la personne physique ayant commis des actes de nature à engager sa responsabilité pénale. En effet, la personne morale n’est pas en mesure de commettre seule le moindre acte et il lui faut en conséquence, nécessairement pour agir, qu’une personne physique intervienne. Comment, en ignorant l’identité de cette personne physique dont les actes l’engageraient sur le plan répressif, pourrait-elle être en mesure d’en discuter le caractère délictuel ou non, mais aussi de vérifier que cette personne physique est bien une personne pouvant être qualifiée d’organe ou de représentant au sens de l’article 121-2 du code pénal, seules ces deux catégories de personnes étant susceptibles d’engager la responsabilité pénale de la personne morale ?

Au juge du fond de déterminer l’identité de la personne physique

Après avoir rendu obligatoire cet effort d’identification par les juges du fond dans un arrêt du 18 janvier 2000 (N° 99-80-318), la chambre criminelle était revenue sur cette jurisprudence notamment dans une décision de principe du 20 juin 2006 (N° 05-85.255) en ne sanctionnant pas une cour d’appel qui n’avait pas pris ce soin d’identifier la personne physique au motif que le délit n’aurait pu être commis que par un organe ou un représentant. Nouvelle volte-face le 11 avril 2012 (N° 10-86.974) dans un nouvel arrêt de principe, à croire que si le président de République est quant à lui élu pour cinq ans, l’arrêt de principe est pour sa part en place pour six ans en cette matière laissant présager une mauvaise année 2018. En effet, la chambre criminelle a sanctionné la cour d’appel de Chambéry pour n’avoir pas
« mieux rechercher si les manquements relevés résultaient de l’abstention d’un des organes ou représentants de la société et s’ils avaient été commis pour son compte ». À ce jour, il est donc fait obligation aux juges du fond, à peine de cassation, de faire cet effort de recherche afin de permettre à la personne morale d’exercer pleinement sa défense. On ne peut que se réjouir de cette avancée positive, qui permet d’avoir un regard d’autant plus perplexe sur un arrêt rendu récemment relatif à la validité des citations directes délivrées par le Parquet aux personnes morales.

Une obligation qui ne s’impose pas au ministère public
Dans un arrêt du 5 juin 2012 (N° 11-86.609), la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu une décision assez « étrange » portant sur les conditions de validité d’une citation directe délivrée à une personne morale. La Cour s’est en effet refusée à admettre l’existence de la nullité d’une citation au motif notamment que « l’obligation d’énoncer le fait poursuivi n’impose pas d’identifier, dans la citation, l’organe ou le représentant ayant commis l’infraction ».
Certes, l’article 551 du code de procédure impose en son alinéa deux d’énoncer le fait poursuivi et le texte de loi qui le réprime, et une lecture restrictive de cette disposition a permis à la Cour d’écarter la nullité soulevée. Mais ce raisonnement conduit à laisser à la défense et au tribunal le soin de débattre sur une question essentielle pour la personne morale sans même demander au ministère public, contrairement à ce qui est demandé aux juges du fond, d’avoir fait cet effort préalablement à l’audience. Ce ne sera donc qu’à l’audience que la défense découvrira quelle est la personne physique ayant commis un acte et ce ne sera donc qu’à l’audience qu’il lui sera possible d’en discuter la réalité comme la qualité de cette personne au sens de l’article 121-2. Au moment où certains parquetiers s’attachent, et il faut le saluer, à donner à l’enquête préliminaire un semblant de contradictoire, une telle situation apparaît regrettable tant pour la défense que pour la juridiction de fond saisie. Ne peut-on au contraire considérer que l’indication du fait, dans une conception plus large, implique s’agissant d’une personne morale que soit indiquée l’identité de la personne physique ayant commis un acte susceptible d’engager la responsabilité pénale de celle-ci ? Est-il normal de ne donner préalablement à l’audience aucune indication sur ce point pourtant essentiel, ce d’autant que dans une décision du 2 octobre 2012 (N° 11-84.415) la chambre criminelle a rappelé l’obligation faite aux juges du fond de rechercher si les manquements relevés résultaient de l’abstention d’un organe ou d’un représentant. Manifestement, la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales n’a pas été accompagnée de modifications législatives adéquates permettant de prendre en compte la situation particulière des personnes morales devant le juge répressif. En ce qui concerne la question des citations directes, une réforme tout aussi simple que nécessaire pourrait consister en l’ajout d’un nouvel alinéa à l’article 551 du code de procédure pénale ainsi libellé : « La citation délivrée à une personne morale indique, à peine de nullité cette absence faisant nécessairement grief, l’identité de la personne physique ayant commis le fait poursuivi. » Si le législateur décide de se saisir de cette difficulté, il pourra, de manière plus large, porter sa réflexion sur différentes questions spécifiques soulevées par la question de la responsabilité pénale de la personne morale.

Pour une prise en compte de la spécificité des personnes morales

Il est souhaitable qu’un débat plus large s’ouvre s’agissant de la responsabilité pénale des personnes morales pour que soient modifiées :
- les règles de la récidive qui ne doivent pas s’apprécier de la même manière que pour les personnes physiques, l’avertissement donné par le juge, n’ayant on le comprend, pas la même portée.
- les conséquences qu’il conviendra de tirer des efforts d’organisation faites par les personnes morales en ce qui concerne les sanctions afin d’inciter les sociétés à s’organiser au mieux pour prévenir toute commission d’acte illicite en leur sein.
- la question de l’accès aux marchés publics, puisque certaines sociétés étrangères venant de pays ne connaissant pas la responsabilité pénale des personnes morales, se trouvent placées de ce fait dans une situation de concurrence inégalitaire, ce qui n’est certainement pas le but recherché.
D’autres questions méritent probablement d’être posées. Rendre responsables pénalement les personnes morales reste une bonne réforme, ce pourquoi une réflexion mérite d’autant plus d’être menée pour qu’elle soit tout aussi efficace que juste.

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