En mars 2019, le cabinet d’avocats international DWF est admis à la Bourse de Londres, une opération aussi rare que périlleuse. Mais le jeu en vaut la chandelle.

Lundi 11 mars, le cabinet d’avocats international DWF fait son entrée en Bourse et lève 95 millions de livres sterling lors d’une offre publique initiale (IPO). Il est ensuite admis au tableau principal de la Bourse de Londres (LSE) le vendredi 15 mars ce qui lui permet officiellement d’émettre ses actions. Quelque 300 000 titres arrivent alors sur le marché. Évalué à 366 millions de livres, DWF est le plus important cabinet d’avocats au monde à être coté en Bourse.

Cette IPO était très attendue parce que c’est de loin la plus importante tant pour le niveau de sa capitalisation que pour les sommes levées. Un exemple qui permet aux cabinets d’avocats qui s’impliquent dans des transactions boursières de détailler les phases de préparation d’une telle opération, d’en examiner les avantages et de formuler certaines mises en garde afin d’éviter les mauvaises surprises.

« Le processus est extrêmement chronophage, pour Bruno Fatier, solicitor chez Keystone. Il faut veiller à ce que l’équipe de direction ait les épaules suffisamment larges pour le mettre en œuvre, d’autant qu’il faut par ailleurs continuer à gérer le cabinet. » Des années sont nécessaires pour introduire un cabinet d’avocats en Bourse car l’opération implique de modifier totalement le mode de gestion et de rémunération des associés.

Abandonner le modele « un homme, une voix »

Ils doivent changer d’état d’esprit. L’associé corporate chez Fieldfisher Neil Matthews, qui est intervenu pour la banque Cantor Fitzgerald lors de l’introduction en Bourse de Gateley, le confirme : « Il faut être prêt à accepter le changement du modèle de gouvernance. Pour la plupart des structures, les associés deviennent des employés et des actionnaires, et cela modifie les relations entre collègues. Vous avez cédé le contrôle des grandes décisions stratégiques à un conseil d’administration, ce n’est plus un modèle un homme, une voix. » Bien avant de faire leur entrée sur le marché, la plupart des cabinets d’avocats actuellement cotés en Bourse avaient déjà abandonné ce modèle de gouvernance par consensus. Rosenblatt était depuis 1989 dirigé par son fondateur unique, Ian Rosenblatt, mais, en 2016, le cabinet avait recruté un P-DG ayant de l’expérience dans la gestion d’une société cotée, montrant ainsi la voie. De son côté, Gordon Dadds a été acheté en 2013 par un consortium structuré en ABS (Alternative Business Structures) et dirigé par son directeur associé actuel Adrian Biles. Knights a quant à lui été acheté en 2012 par son directeur général actuel David Beech et par l’investisseur réputé à Londres James Caan. Rapidement, il est passé d’une association classique avec sept associés gérants à un modèle de plc (public limited company) dirigé par cinq membres du conseil de gestion. Certains membres de l’équipe peuvent par conséquent avoir le sentiment d’être mis à l’écart. Keystone, qui est géré par un conseil d’administration, en est un exemple, comme l’explique Bruno Fatier : « Les avocats n’ont pas de participation et n’ont donc pas directement été impliqués dans l’introduction en Bourse, c’est l’équipe dirigeante qui a piloté le processus. »

Un groupe nettement plus large de décideurs

Toutefois, pour Gateley et DWF, la situation était légèrement différente. Ici, afin de franchir la ligne d’arrivée, leurs dirigeants respectifs, Michael Ward et Andrew Leaitherland, ont dû s’appuyer sur leurs capacités de négociation pour convaincre un groupe nettement plus large de décideurs. Il aura fallu un an de discussions internes à Michael Ward pour convaincre 75 % des associés détenteurs du capital (les equity partners) de voter en faveur de l’introduction en Bourse. En d’autres termes, cela impliquait de rallier au moins 61 des 81 associés. Chez DWF, Andrew Leaitherland travaillait avec la banque d’investissement américaine Stifel depuis octobre 2017 à la mise en œuvre de l’IPO. Mais avec le reste de l’équipe dirigeante, notamment l’ancien président de DLA Piper, Sir Nigel Knowles, il a dû convaincre plus de 300 associés, notamment 70 equity partners, d’adhérer au projet.

L’admission à la Bourse de Londres se traduira par une réduction de 60 % de la rémunération des equity partners

Changer de modèle de gouvernance n’est que la moitié de la bataille à mener. Michael Ward et Andrew Leaitherland ont dû également déployer énormément d’énergie pour convaincre leurs associés d’accepter une baisse salariale.

 « Capitaliser votre part de bénéfices futurs »

Au Royaume-Uni, la plupart des cabinets d’avocats sont exploités sous la forme de sociétés à responsabilité limitée (SARL) dans lesquelles travaillent, de façon générale, deux catégories différentes de personnes. La première, qui constitue la grande majorité, se compose d’employés salariés, leur rémunération étant un coût annuel fixe. La seconde, plus réduite, est composée d’equity partners, à savoir les membres qui sont entrés dans la société en échangeant une partie de leur capital contre la propriété d’une partie des actifs de la structure. Ces associés sont rémunérés en puisant dans la réserve des bénéfices, une rémunération mesurée en qualité de « bénéfice par associé » ou BPA. La quasi-totalité de cette réserve est redistribuée chaque année. Mais les investisseurs évaluent la rentabilité et non les recettes. Par conséquent, toute SARL qui désire attirer des investisseurs extérieurs doit créer une sorte de réserve de bénéfices qui permet d’évaluer financièrement leur firme.

Comme l’explique John Llewellyn-Lloyd, d’Arden Partners (la banque gérant l’introduction en Bourse de Gordon Dadds) : « Passez d’un modèle avec une redistribution de la totalité des bénéfices chaque année à un modèle où une partie d’entre eux doit être retenue dans l’entreprise en vue de développer sa valeur implique de très nombreuses discussions. » En d’autres termes, si une SARL (la forme sociétale de DWF et Gateley avant leur IPO) désire entrer en Bourse et attirer des actionnaires extérieurs, ses associés ne peuvent pas prélever la totalité des bénéfices de la société pour leur BPA car ils doivent en laisser une partie dans l’entreprise. Le prospectus de préadmission de DWF précise quelles ont été les implications pour ses associés : l’admission à la Bourse de Londres « se traduira par une réduction de 60 % de la rémunération des equity partners. La rémunération des autres associés sera réduite de 10 %, et ce, afin de générer des bénéfices nets pour tous les actionnaires. »

Des baisses de rémunération draconiennes

Dès lors, comment faire pour convaincre les associés d’accepter ces baisses draconiennes ? Neil Matthews apporte un élément de réponse : « Au niveau le plus élémentaire, les associés gagneront moins par an, mais en échange, ils recevront des actions qui ont potentiellement une grande valeur et qu’ils pourront revendre ultérieurement. Ils tireront parti de la capitalisation de leur future part de bénéfice, mais en contrepartie ils doivent consentir une chute de leur rémunération annuelle. »

« Le surcroît de notoriété, associé à la nouveauté, d’être un avocat-actionnaire, facilite les embauches »

Le prospectus de DWF explique comment les associés de la firme peuvent s’attendre à gagner de l’argent grâce à l’introduction en Bourse : « En cas d’admission, la plupart des associés seront des membres indépendants à la fois de DWF Law SARL et de DWF SARL. Leur rémunération sera composée de la manière suivante: (a) une part fixe du bénéfice annuel; (b) des dividendes grâce à leur détention d’actions ordinaires; (c) la participation à une réserve de primes annuelle des associés qui devrait atteindre 5 % du bénéfice du groupe avant impôts pour l’exercice fiscal concerné, qui peut être payée 50 % en liquidités et 50 % en actions et qui sera comptabilisée comme coût direct; (d) pour les membres de DWF Law LLP basés en Angleterre, un salaire nominal en qualité d’employé de l’entité de services connectés (Connected Services) et (e) sous réserve que les exigences d’éligibilité pertinentes soient satisfaites, une participation à des plans de rémunération liés au cours de l’action. »

Autrement dit, les associés parient sur le fait que leur perte à court terme sera plus que compensée par les gains futurs du cours des actions de leur cabinet d’avocats. Mais comment garantir que le cours de leur action va continuer de grimper ? Selon John Llewellyn-Lloyd, pour un cabinet, la meilleure manière de susciter une demande pour ses actions est « d’avoir un réel besoin en capital et d’être capable d’articuler clairement ce besoin ». Les dirigeants de cabinets d’avocats doivent, après l’IPO, être en position d’expliquer à des non -avocats comment leur argent sera dépensé. Chacun des six cabinets cotés a des besoins en capital différents, mais Gateley, Knights et Gordon Dadds ont adopté une stratégie de croissance assez similaire.

À la recherche de fonds

Depuis son introduction en Bourse, Gateley a procédé à quatre acquisitions et a pénétré de nouveaux secteurs tant géographiques que commerciaux. Il n’a acheté qu’un seul cabinet d’avocats, GCL Solicitors, basé dans le sud-est de l’Angleterre, une prise de contrôle opérée en mars 2018 pour 4,15 millions de livres sterling. Ses autres investissements vont au secteur fiscal, au conseil stratégique et à l’immobilier. Selon le cours de l’action du 20 mars 2019, la capitalisation boursière de la société approche les 170 millions de livres sterling et ses actions se sont échangées à 151 livres, par rapport à une valeur de cotation initiale de 100 livres.

Avec David Beech comme P-DG, qui a une expérience dans les fonds de placement privés, Knights s’était quant à lui déjà fait remarquer avant son introduction en Bourse en raflant le bureau du cabinet Hill Dickinson situé à Chester et en absorbant Darbys Solicitors. Son ouverture aux actionnaires extérieurs a toutefois permis à la société de se fixer des objectifs plus ambitieux. Elle a pris le contrôle de trois autres cabinets d’avocats en moins d’un an, notamment Spearing Waite basé à Leicester dans une transaction de 8,5 millions de livres sterling.

Jusqu’à maintenant, Gordon Dadds a été la plus active des sociétés cotées. Elle a déployé, pas toujours mais souvent, une tactique très spécifique qui lui a permis d’obtenir des actifs de valeur à prix réduit. Au Royaume Uni, les procédures d’insolvabilité permettent de nommer des professionnels de l’insolvabilité comme administrateurs d’une entreprise en difficulté. Pendant un processus d’administration formel qui dure en général quelques semaines, les administrateurs tentent de tirer la valeur maximale de l’activité qu’ils gèrent en vendant ses actifs pour rembourser les créanciers. Ainsi, en avril 2014, Gordon Dadds s’est porté acquéreur de la plupart des actifs auprès des administrateurs de la société Davenport Lyons. Mais une société en difficulté peut également décider de nommer un administrateur judiciaire pour vendre ses actifs avant d’être mise en redressement judiciaire. C’est ce qu’on appelle une administration préétablie (prépack). Gordon Dadds a fait plusieurs investissements de cette manière, notamment une très grosse opération, la veille du nouvel an 2018, sur certains des actifs du cabinet international Ince & Co.

Croissance chez DWF

Un thème qui revient souvent dans le prospectus long de 254 pages est que DWF place beaucoup d’espoir de croissance sur deux de ses divisions : sa dimension internationale et les services connectés. Ces derniers (Connected Services) forment l’un des quatre départements du cabinet et se composent de plusieurs activités indépendantes, notamment DWF 360, un fournisseur de logiciels, DWF Adjusting, qui enquête sur les demandes d’indemnisation pour les assureurs et les entreprises, DWF Claims, qui est un gestionnaire de demandes d’indemnisations mondial, et DWF Advocacy qui est, en quelque sorte, une chambre d’avocats plaideurs (barristers) régie par le conseil de discipline du barreau. La division Connected Services a dégagé 9,1 millions de livres sterling de recettes nettes sur les six mois clos en octobre 2018 (6,9 % du revenu global de DWF sur cette période) et emploie aujourd’hui un peu plus de 300 personnes. Dans le prospectus, DWF a identifié une série de tendances qui vont créer plus de demandes pour ses Connected Services. En effet, le secteur juridique étant de plus en plus en complexe et compétitif, les clients des cabinets d’avocats cherchant à réduire le nombre de leurs prestataires, les clients étant de plus en plus sensibles aux coûts : « L’aptitude des prestataires de services juridiques à proposer une large palette de services intégrés et liés peut être un facteur qui fera la différence », selon le prospectus. L’objectif de croissance des revenus à moyen terme que se fixe DWF pour cette division est de l’ordre de 20 % à 30 %. Toutefois, DWF ne précise pas exactement combien de temps ce moyen terme va durer.

DWF estime qu’à moyen terme, il se renforcera de 15 à 25 associés chaque année

En 2014, DWF a commencé à s’étendre hors du Royaume-Uni et sa division internationale a désormais, après une série d’acquisitions, des bureaux dans plus de onze juridictions (hors Royaume-Uni). Cette division a rapporté près de 26 millions de livres sterling de recettes entre mai et octobre 2018, ce qui correspond à quasiment 20 % des recettes totales de DWF pour cette période. La société prévoit une augmentation de 35 % à 40 % pour la division internationale sur le moyen terme et compte en partie sur la croissance organique pour s’en charger, car les bureaux récemment achetés s’installent et commencent à prendre de l’assurance. DWF compte également sur la croissance externe par le biais d’acquisitions, notamment, si l’on en croit le prospectus, en Espagne, en Pologne et à Hong Kong. Il est intéressant de noter que, toujours selon le prospectus, l’accord final pour toute acquisition n’est plus aux mains des associés mais dans celles du conseil d’administration.

Très bonne publicité

Un avantage moins évident et plus difficile à mesurer de l’introduction en Bourse est la manière dont cela peut affecter la notoriété de la société cotée sur le marché. Comme Bruno Fatier le déclare fièrement : « L’IPO a été un très bon coup de pub, les clients lisent le Financial Times, ils y voient Keystone, et cela fait une très forte impression. » Michael Ward avait déjà déclaré dans le passé que le choix de l’introduction en Bourse avait créé un énorme buzz pour Gateley. Tous les achats que Knights et Gordon Dadds ont effectués depuis leur entrée à la Bourse de Londres ont bénéficié d’un grand écho dans la presse et ont largement été commentés par les avocats. Ces sociétés sont désormais bien en vue et leur renommée progresse au même rythme que celui du cours de leurs actions.

Ce surcroît de notoriété, associé à l’originalité d’être un avocat-actionnaire, facilite les embauches. On le voit très nettement chez Gateley. En effet, avant l’introduction en Bourse, ce cabinet recrutait à peine deux ou trois associés par an alors qu’il en a attiré près de 40 au cours des quatre dernières années. DWF mise sur les avantages que lui apportera un tel pouvoir d’embauche. Le groupe estime qu’à moyen terme, il se renforcera de 15 à 25 associés chaque année. Ce qui serait une belle montée en puissance par rapport à la moyenne annuelle actuelle de neuf recrutements latéraux ces trois dernières années.

Reste que le recul est encore insuffisant pour analyser les performances des cabinets d’avocats admis à la Bourse de Londres. Bruno Fatier le confirme : « Clairement, on en est au tout début. » Globalement, les cinq cabinets d’avocats qui sont entrés en Bourse avant DWF ont déjà dépassé leurs attentes, rendant DWF optimiste pour l’avenir.

Jonathan Armstrong (@Jon_Armstrong17)

 

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