Sensibles par nature, les données médicales récoltées par les différentes entités publiques constituent une mine d'or pour les chercheurs et les sociétés privées, grands laboratoires et start-up confondus. Pour réguler au mieux leur mise à disposition, l'État jongle entre les requêtes pressantes de certains groupes et la protection de l'anonymat des patients.

Malgré les innovations médiatiques des fabricants de dispositifs médicaux ou des start-up à succès, le secteur de la santé connaît encore de grandes difficultés pour tirer le meilleur des outils digitaux. Pendant que les déserts médicaux se superposent aux déserts numériques dans nos campagnes, les centres hospitaliers mondialement reconnus, à l’instar de l’AP-HP, continuent de se noyer dans la gestion de centaines de logiciels différents, interopérables ou non. Et il y a peu de temps encore, l’inexploitation des bases de données sanitaires venait gonfler la liste des frustrations. Partagées entre l’assurance maladie, les hôpitaux, l’Inserm (et ses informations sur les décès), les maisons départementales du handicap et l’assurance vieillesse, les données de santé étaient difficiles d’accès et ne pouvaient être croisées entre elles, faute de plateforme globale.

Un volume de données inédit à disposition des chercheurs

La loi du 26 janvier 2016, dite de modernisation de notre système de santé, s’est emparé du problème. En instaurant le SNDS (Système national des données de santé) le 1er avril 2017, ce texte répond aux doléances de populations variées. Les chercheurs, les autorités sanitaires et les industriels pressaient le gouvernement depuis des années pour obtenir un accès facilité à ces informations stratégiques. S’agrégeant peu à peu au sein du SNDS, les différentes bases de données sanitaires devraient être toutes réunies courant 2019. La taille des fichiers promet alors d’être considérable, de l’ordre de 450 téraoctets selon Archimag.com. En 2015, les données du Sniiram seules, issues des remboursements de l’Assurance-maladie, reposaient déjà sur le traitement de 20 milliards de lignes de prestations (principalement des prescriptions du secteur libéral).

Pour accéder aux informations du SNDS, il faut bien entendu montrer patte blanche, mais la simplification est là encore de rigueur. Les services publics pertinents disposent d’un accès permanent au SNDS, et les autres personnes physiques et morales comme les structures privées à but lucratif pourront obtenir un accès temporaire après avoir démontré à la Cnil le motif d’intérêt public de leur demande. Auparavant, les données du Sniiram étaient interdites aux organismes à but lucratif et une autorisation par décret était nécessaire pour croiser le contenu des différentes bases de données.

Des réactions contrastées et un sentiment d’inachevé

Le ministère des Solidarités et de la Santé présente le SNDS comme une initiative « unique en Europe, voire au monde » et constituant « une avancée considérable pour analyser et améliorer la santé de la population ». Le SNDS vise, entre autres, à affiner les connaissances publiques en matière de prise en charge médicale et à élargir les champs de recherche dans le domaine de la santé. Des études portant sur un très grand nombre de personnes pourront être menées à l’échelle nationale, offrant de nouvelles perspectives aux traitements des millions de Français souffrant de maladies chroniques par exemple.

Si l’enthousiasme est de rigueur au gouvernement et aux sièges des industriels, la Fédération des Médecins de France s’oppose à « l’accès rendu libre aux données de santé des Français ». L’association dénonce « la protection très approximative de la confidentialité sanitaire » qui découle du SNDS et craint les possibilités d’identification par recoupement ainsi que les risques de discrimination sur des critères de santé. Avec les données de santé disponibles grâce aux applications grand public, les risques d’atteinte à la vie privée sont réels.

Bernard Bégaud, Dominique Polton et Franck von Lennep, coauteurs d’un rapport sur le sujet remis à la ministre de la Santé en mai 2017, déplorent l’absence de données cliniques permettant d’identifier le bénéfice de nouvelles solutions thérapeutiques. Le SNDS est en effet loin de rassembler les informations émises par l’ensemble des équipes médicales rencontrées par le patient tout au long de son parcours de soins. Il est difficile pour ces trois experts d’imaginer les soignants enrichir les bases de données en sacrifiant le temps dédié à l’écoute et au suivi des patients. Enfin, sur Europe 1, l’ancienne sénatrice écologiste Corinne Bouchoux s’inquiète du mésusage potentiel des données, une fois récoltées. « On pourrait, par exemple, imaginer qu'une mutuelle, recevant des données d'un laboratoire, se mette à exclure des clients non rentables au vu de ces données. » Établir des sanctions dissuasives en cas de détournement des données représente le meilleur moyen selon cette ex-parlementaire pour cadrer cet outil prometteur du big data dans le secteur de la santé.

 

Thomas Bastin (@ThBastin)

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