L’impérialisme américain ne date pas d’hier. Employé pour qualifier l’influence des États-Unis dans les domaines politique, militaire, économique et culturel à l’échelle mondiale, le terme résonne un peu plus chaque fois que le pays s’empare d’une nouvelle affaire de corruption. Le domaine juridique serait également touché en matière de lutte anticorruption. Pierre Servan-Schreiber, expert du droit français et américain, partage son analyse de la question.

ENTRETIEN AVEC PIERRE SERVAN- SCHREIBER, AVOCAT AUX BARREAUX DE PARIS ET NEW YORK, MÉDIATEUR ET ARBITRE.

Décideurs. Les États-Unis sont-ils dotés d’un droit extraterritorial ?

Pierre Servan Schreiber. Les États-Unis ne disposent pas à proprement parler d’un droit extraterritorial. À ce titre, la Cour suprême a jugé, dans Morrison v. National Bank of Australia que le droit américain n’avait pas vocation à être extraterritorial par nature et qu’une loi ne pouvait avoir d’effets à l’extérieur des États-Unis que si le législateur fédéral l’avait expressément prévu. La justice américaine ne peut donc absolument pas sanctionner n’importe quelle entreprise dans le monde. Cela dit, comme tous les pays, les États-Unis ont des lois leur permettant d’appréhender tout comportement délictueux (ou autrement contraire à leurs lois) dès lors qu’il existe un ou plusieurs liens de rattachement aux États-Unis.

Pourquoi parle-t-on alors d’extraterritorialité ?

La raison pour laquelle on parle aujourd’hui de l’extraterritorialité du droit américain ne porte en réalité pas sur le droit lui-même mais sur les méthodes utilisées. C’est bien parce que les autorités américaines (et non les tribunaux qui ne pourraient le faire) ont renversé la charge de l’enquête et la charge de la preuve qu’elles ont pu démultiplier leur pouvoir et leur efficacité. Il faut néanmoins qu’il y ait bien au départ un lien de rattachement. Parfois, comme dans les textes portant sur les financements interdits – pays ou personnes sous embargo –, la seule utilisation de la monnaie américaine peut suffire à rendre une opération, et donc les parties à cette transaction, appréhendable par les autorités américaines.

Tous les pays sont-ils logés à la même enseigne ?

Tous les pays ont un droit extraterritorial. À titre d’exemple, un tribunal d’un pays X peut toujours juger un citoyen d’un pays Y si celui-ci s’est rendu coupable d’une infraction dans le pays X. La vraie différence ici n’est pas juridique mais économique. En effet, bien peu de pays présentent une puissance économique telle qu’aucune entreprise multinationale ne peut se permettre de ne pas y exercer ses activités ou son commerce. Dès lors, lorsqu’une autorité américaine propose une coopération, elles n’ont pas réellement la possibilité de refuser puisqu’elles ne peuvent prendre le risque qu’un refus de leur part rende leurs activités américaines impossibles ou beaucoup plus onéreuses ou compliquées.

« La seule utilisation de la monnaie américaine peut suffire à rendre une opération appréhendable par les autorités américaines »

Les États-Unis utilisent-ils l’extraterritorialité comme un instrument de guerre économique? 

Difficile d’affirmer qu’ils se servent de ces méthodes à des fins de guerre économique. Les chiffres ne l’indiquent pas, les entreprises américaines étant soumises de la même façon à ces «deals de justice» et pour des montants tout à fait comparables, voire supérieurs. Il n’en reste pas moins que les États-Unis utilisent, de facto, toute leur puissance économique pour faire pression sur les entreprises. Ce faisant, les autorités américaines poursuivent bien évidemment des objectifs politiques (ex.: lutte contre la corruption, contre le blanchiment, contre tel ou tel État considéré comme dangereux pour la sécurité américaine ou mondiale, etc.). Il est toutefois impossible d’affirmer qu’elles le font en accordant aux entreprises américaines un traitement différent des autres, tout simplement parce que rien ne le démontre.

 

 

 

LES OUTILS AMÉRICAINS

Si les États-Unis semblent aujourd’hui s’ériger en « gendarme mondial de la corruption », c’est avant tout parce qu’ils disposent d’outils de lutte adaptés, et ce depuis plusieurs années.

  • Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA)

Il s’agit d’une loi fédérale américaine de 1977 qui lutte contre la corruption des agents publics. Adoptée après la révélation de paiements illégaux de la part de plus de 400 sociétés américaines à destination de fonctionnaires étrangers, elle donne à la justice américaine un droit de regard sur toute transaction réalisée en dollars, et la possibilité de juger des entreprises ou des personnes, américaines ou non, pour des faits de corruption.

  • La procédure de « discovery »

Considérée comme un élément indispensable à la recherche de preuves, la procédure de « discovery » est utilisée notamment dans le cadre des enquêtes diligentées par la SEC ou le DoJ. Il s’agit d’une phase d’investigation ou d’instruction préalable au procès civil ou commercial presque systématique dans les pays de Common Law, qui oblige chaque partie à divulguer toute information susceptible de faciliter l’établissement de preuves.  

  • La justice négociée

Les concepts juridiques de « deferred prosecution agreement » et de « plea agreement », qui restaient jusque-là inhabituels en France et Europe, ont été introduits récemment en France avec la loi Sapin 2 et la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP).

 

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Propos recueillis par Mathilde Pujol 

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