Les Français vieillissent et collent toujours plus leur visage sur les écrans en tout genre. Résultat : les besoins en lunettes progressent et les opticiens se frottent les mains. Didier Papaz, P-DG du groupe Optic 2000, nuance ce tableau idyllique et décrit les enjeux du marché de la santé oculaire. Il exprime aussi son souhait de voir évoluer la filière visuelle pour mieux accompagner les consommateurs sur l’ensemble du territoire.

Décideurs. Dans le secteur de la santé visuelle, quelles ont été les grandes évolutions de ces derniers mois ?   

Didier Papaz. Notre secteur demeure affecté par une série de mesures prises par le gouvernement précédent, avec en premier lieu, la mise en place des contrats responsables. Aujourd’hui, la valeur du marché de la santé visuelle atteint six milliards d’euros. Les assureurs couvrent la majorité de ces dépenses, à hauteur de quatre milliards d’euros. Deux cent cinquante millions d’euros restent à la charge de l’assurance maladie et le reste équivaut aux dépenses des particuliers. L’impact des contrats responsables est double : d’une part, ils imposent le plafonnement des remboursements de soins optiques proposés par les assureurs à leurs clients et par ailleurs, ils imposent une période minimale de deux ans entre deux remplacements de lunettes remboursés. Sachant que 20 % du chiffre d’affaires du secteur est lié au renouvellement annuel de lunettes, l’activité globale des opticiens va être tirée vers le bas. Si les consommateurs ne peuvent plus être remboursés par leurs mutuelles comme c’était le cas jusqu’alors, ils achèteront moins de lunettes, cela est mécanique. Selon nos estimations, le marché devrait décroître de 2 % par an à la suite de cette mesure réglementaire. Une deuxième obligation contraint les assureurs à faire de la prévention. Le dépistage de troubles de la vision pourra ainsi être financé par des mutuelles. Vingt pour cent des pathologies visuelles des Français ne seraient pas dépistées à ce jour. Les opticiens se réjouissent de pouvoir aider à corriger les troubles de la vue de certains Français, ignorés jusqu’à présent.   

 

Entre les chaînes d’optique, il existe une concurrence farouche

Comment évolue la demande sur le marché français ?

Deux tendances de fond tirent la demande à la hausse. L’augmentation de troubles oculaires est d’abord liée au vieillissement de la population. L’allongement de la durée de la vie entraîne aussi la progression de pathologies lourdes comme la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge). D’autre part, la myopie touche de plus en plus d’enfants en bas âge dans les pays occidentaux. Ce phénomène peut s’expliquer par l’usage précoce de smartphones et d’écrans en tout genre. Cette recrudescence de la myopie chez les jeunes va également gonfler le nombre de porteurs de lunettes en France.

La prise en charge intégrale des soins optiques a occupé une place centrale lors de la dernière campagne présidentielle. Qu’en est-il de cette promesse aujourd’hui ?

Il existe aujourd’hui des offres d’équipements optiques laissant un reste à charge nul aux consommateurs. Un peu plus de 20 % des Français possèdent des lunettes qui ne leur coûtent rien. Cette offre de base, résultat d’un travail des opticiens avec leurs fournisseurs, est déjà proposée. Malgré cela, certaines populations ne peuvent pas bénéficier de ces offres car elles possèdent des petits revenus et des contrats d’assurance d’entrée de gamme. Je pense aux retraités et aux étudiants qui peuvent encore connaître des difficultés pour s’équiper en lunettes. Emmanuel Macron souhaite que tous les Français, quels que soient leurs moyens, puissent s’équiper de matériel optique. Nous travaillons pour que nos forfaits correspondent aux seuils planchers des assureurs. La couverture médicale universelle pour les individus aux faibles revenus est aussi un outil décisif pour s’équiper. Un travail d’information et de simplification des démarches administratives pourrait offrir un accès favorisé à ces produits. La majorité des personnes pouvant en profiter ne le demande pas, et cela peut leur porter préjudice.


L’UFC Que Choisir dénonce des « dérives nombreuses » dans le marché de l’optique, et un budget supérieur en France de 50 % à la moyenne européenne pour ce poste de dépense. Quel rôle jouent des groupes tels qu’Optic 2000 pour endiguer ce phénomène ?

Une chose est certaine, les Français ne paient pas 50 % plus cher leurs lunettes que les autres Européens. Avec GFK, nous avons effectué des comparaisons et des relevés de prix dans l’Europe entière. Si nous comparons des produits équivalents, comme un verre avec une référence donnée, les prix sont moins chers en France qu’en Allemagne et qu’en Italie par exemple. Pourtant, la TVA française est de 20 %, alors qu’en Italie, les lunettes sont considérées comme des produits de santé et ne sont soumises qu’à une TVA de 4 %. Ce qui diffère entre le marché français et les autres, c’est la sophistication des produits proposés. En France, la qualité des équipements optiques est la meilleure au monde. Le rôle des assureurs est à souligner ici puisqu’ils ont aidé à former cette filière d’excellence en investissant dans la prise en charge des équipements optiques. Les Français ont ainsi cherché à s’équiper le mieux possible. Le taux d’équipements en verres progressifs dans l’Hexagone avoisine les 40 % alors qu’en moyenne, cette marque atteint 20 % dans les pays étrangers. Rappelons que le verre progressif a été inventé par Essilor et que les opticiens tricolores ont depuis longtemps été formés à la mise en œuvre de ces verres. Ce verre est plus performant dans la correction visuelle mais aussi plus cher. La méthodologie de l’UFC Que Choisir, où les dépenses globales de différentes populations sont comparées, ne semble donc pas pertinente et manque de précision.

Existe-t-il trop de points de vente en France, comme le suggère encore une fois l’UFC Que Choisir ?

Cela me fait rire. L’UFC Que Choisir n’a pas compris l’économie de marché. Dans mon école de commerce, on m’a toujours appris que plus il y a de concurrence, plus les prix baissent. Entre les chaînes d’optique, il existe une concurrence farouche. Lorsque les consommateurs font la tournée des magasins et demandent des devis avant d’acheter leurs lunettes, les opticiens se battent pour obtenir le devis. Ce nombre important de points de vente est selon moi un facteur d’émulation. Dans le secteur de l’audio prothèse, autre marché du groupe Optic 2000, on nous tient le discours inverse. Comme le nombre d’audio-prothésiste est faible par rapport à la population française, le secteur serait trop protégé et la faible concurrence tirerait les prix vers le haut. Je ne comprends plus cette double logique.

 

20 % des pathologies visuelles des Français ne seraient pas dépistées à ce jour 

Vous militez pour une extension des tâches des opticiens. Pourquoi cela vous semble-t-il nécessaire ?

En France, on dénombre 5 000 ophtalmologues. Dans les prochaines années, à la suite de nombreux départs en retraite et de la formation de dix ans nécessaire pour obtenir ce titre, il n’y en aura plus que 3 500. Cette diminution est très alarmante puisque de nos jours, le délai moyen pour obtenir un rendez-vous est de 120 jours. Dans certaines régions isolées, il faut faire jusqu’à 100 kilomètres avant de trouver un spécialiste. Comme nous l’avons vu, les besoins d’équipements des Français ne cessent de croître dans le même temps et il devient nécessaire de trouver une solution face à cette impasse. Parallèlement à cela, 40 000 opticiens diplômés, ayant appris à faire des examens de vue durant leurs études et sachant quelles puissances sont nécessaires pour corriger les problèmes oculaires classiques, sont répartis sur le territoire. Pourquoi ne pas leur faire confiance et les laisser réaliser ces examens, sous le contrôle d’un ophtalmologue en cas de besoin ? La prescription de lunette n’est pas le cœur de métier de ces spécialistes intervenant sur des pathologies complexes. Sans casser la filière visuelle, on peut imaginer de compléter la formation des opticiens pour leur enseigner les bons réflexes en matière de dépistage et de prescriptions de lunettes simples. La délégation de tâches de la part des ophtalmologistes pourrait être bénéfique à de nombreux Français.

Les opticiens n’ont pas le même niveau académique que les ophtalmologues, et jonglent en outre avec des intérêts commerciaux. Comment pourront-ils prodiguer des soins médicaux de même qualité que les ophtalmologistes ?

Il sera nécessaire de repenser la formation des opticiens, en imposant un cursus de trois ans au lieu de deux actuellement. Des modules supplémentaires, notamment en dépistage, pourront s’ajouter au programme traditionnel de la profession. Je n’oublie pas les orthoptistes qui peuvent travailler dans le même sens, mais qui sont peu nombreux dans notre pays. Je pense que l’éventuelle collision entre les sphères thérapeutique et commerciale est un faux débat. Le dentiste ou le chirurgien qui choisit une prothèse plutôt qu’une autre pour soigner son patient prend aussi une décision aux conséquences commerciales pour les prothésistes. Nous devons évoluer sur ce tabou qui nous paralyse sans raison. Il ne faut pas que cette initiative soit sauvage, un ordre doit réguler le développement de ces pratiques et prévenir les dérives. Par exemple, si des lunettes sont prescrites à une personne qui n’en a pas besoin, elle doit pouvoir se tourner vers une instance défendant ses droits et punissant les abus.

Quels sont vos principaux objectifs commerciaux et stratégiques pour l’année 2018 ?

Sur le marché français, nous voulons consolider la qualité du réseau Optic 2000. Nous disposons aujourd’hui de 1 160 magasins devant entrer dans l’ère du digital pour enrichir l’expérience client. En agrégeant les avantages d’Internet et du point de vente physique, il devient possible d’apporter un choix extrêmement large à nos clients, tout en leur offrant l’expertise et le conseil de nos opticiens présents à leurs côtés. Pour nos deux autres enseignes, Lissac et Audio 2000, notre but est là encore de développer le nombre de magasins. Enfin, nous étudions différents leviers de développement à l’international. Cela pourra passer par des rachats, des alliances ou le lancement de modes modernes de distribution dans de nouveaux pays.

Propos recueillis par Thomas Bastin

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