Mille deux cents offices créés par la loi Macron, de nouvelles mesures fiscales qui inquiètent la profession, mais aussi des missions internationales d'envergure : le président du Conseil supérieur du notariat depuis octobre 2016, Didier Coiffard, revient sur les nombreux bouleversements que connaissent les notaires.

Décideurs. Deux ans après l’entrée en vigueur de la loi Macron, qui pose le principe de la libre installation des notaires, les choses ont-elles avancé ?

Didier Coiffard. À ce jour, les 247 tirages au sort ont été réalisés, ce qui a donné lieu à la création de 336 offices. C’est un processus très long, notamment parce que les arrêtés de nomination n'interviennent qu'après une enquête minutieuse, mais aussi parce que la connexion au réseau intranet sécurisé permettant de réaliser les actes peut également prendre du temps.

Le système du tirage au sort a été critiqué notamment parce qu’il est ouvert aux notaires déjà en place. Quelle est votre position sur le sujet ?

Nous avions demandé qu’il soit réservé aux primo-exerçants, ce qui n'a pas été pris en compte. Environ 10 % des notaires tirés au sort étaient déjà en place. L'idée était bonne, la méthode pas forcément la meilleure. J'ai toujours préconisé la mise en place d'un concours, qui avait pour moi plusieurs avantages. Le mérite démocratique d'une part, le choix de l'implantation pour les mieux classés d'autre part. S'installer dans une zone que l'on connaît mal peut être difficile, le notaire exerçant un métier de proximité. Enfin, le concours permet de s'assurer de la mise à niveau des personnes sorties de la profession depuis quelques années qui souhaitent réexercer. Le système retenu a créé des frustrations chez certains notaires salariés, qui ont d'impression de s'être fait supplanter par d'autres, moins légitimes.

Quelles sont les prochaines étapes dans l’application concrète de la loi ?

L'enjeu de cette réforme est historique : accueillir 1 200 offices supplémentaires revient à augmenter d'environ 20 % le nombre de structures existantes. Le rôle du Conseil et de l'ensemble des chambres réparties sur le territoire est d'accueillir au mieux ces nouveaux notaires. Nous avons mis au point un kit d'entrée, mais aussi sollicité les notaires honoraires, qui ont accepté de jouer le rôle de mentors – ils sont environ mille à ce jour. Certaines chambres sont allées plus loin en proposant des subventions ciblées. Nous devons être attentifs et prendre en compte les différences de préparation qui peuvent exister parmi les tirés au sort. Certains ont réfléchi à un véritable projet d'entreprise, d'autres ont besoin d'un peu plus de soutien.

« La disparition des notaires des zones rurales pose un problème d'accès au droit »

La réforme permettra-t-elle de renforcer le maillage territorial des notaires ?

Une fois que les nouveaux offices seront installés, nous serons l'un des pays au monde comptant le plus grand nombre de notaires par habitant. Toutefois, je suis inquiet concernant le maillage territorial. J'ai constaté que les nominations avaient lieu en milieu urbain plus souvent qu'en périphérie. Le fait de pouvoir exercer librement dans les zones d'implantation risque de créer un phénomène de concentration, notamment dans les grandes villes. Le notaire est souvent le premier juriste disponible pour les personnes habitant en zones rurales. La disparition des offices de ces zones pose un problème d'accès au droit pour beaucoup d'entre eux. L'État s'est engagé dans un processus de déjudiciarisation. Mais, s'il veut y parvenir, il doit conserver des relais et donc un maillage fort des notaires sur le territoire.

La loi Macron a également institutionnalisé l'interprofessionnalité. Pourtant, peu de structures se sont développées malgré la complémentarité des pratiques. Pourquoi ?

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette frilosité. La première est sans aucun doute l'assurance de responsabilité, qui varie énormément d'une profession à l'autre. Un avocat, un notaire et un expert-comptable sont couverts à des niveaux totalement différents. Si les associés d'une structure sont poursuivis in solidum, à qui sera imputée la responsabilité ? Les notaires, par exemple, fonctionnent sur le principe de la garantie collective, qui implique une solidarité entre l'ensemble des notaires de France. La deuxième raison qui peut expliquer le faible nombre de structures est le problème du secret professionnel et de la déontologie. Un notaire a l'obligation de faire une déclaration Tracfin, un avocat non. C'est une situation complexe à gérer. Enfin, l'indépendance et l'impartialité des professions doivent être conservées.

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L’impôt sur la fortune immobilière (IFI) ou la flat tax à 30 % prévus par la loi de finances pour 2018 auront-ils un impact sur votre activité ?

L'immobilier représente plus de 10 % du PIB français, 8 % des emplois – qui sont, de plus, non délocalisables – et une ressource précieuse pour les collectivités locales, qui récupèrent la majeure partie des droits d'enregistrement. Ce secteur est déjà soumis à une fiscalité très importante et nous savons que chaque mesure fiscale génère un comportement. Je ne pense pas que l'IFI aura un impact sur le marché de la résidence principale, mais c'est possible qu'il en ait un sur l'immobilier d'investissement, sachant que les revenus fonciers ne vont pas bénéficier de la flat tax proposée par Emmanuel Macron. La pierre est un secteur sensible à la fiscalité. Or, certains secteurs ont besoin d'être densifiés, et les bailleurs privés occupent un rôle important dans cette densification. Des signaux négatifs comme le maintien de l'impôt sur la fortune pour le seul secteur immobilier ne vont pas les encourager à s’impliquer.

Si vous étiez président de la République, quelles mesures prendriez-vous pour votre profession ?

J'utiliserais le réseau de notaires pour aller plus loin dans le processus de déjudiciarisation amorcé par l'État. Les notaires sont une véritable armée disciplinée, efficace, qui a le sens du service public. Ils sont aussi très à la pointe du numérique, particulièrement concernant la gestion de bases de données. Ils sont équipés et structurés pour prendre en charge des missions supplémentaires, comme les successions de mineurs qui doivent aujourd'hui passer par les tribunaux.

Et pour vos clients ?

Je m'attaquerais au difficile chantier de la simplification. Nous sommes face à une inflation des normes qui devient paralysante. C'est une source d'insécurité, notamment parce que la multiplication des normes empêche parfois leur parfaite coordination. Rendre plus fluide le fonctionnement de notre société bénéficierait à l'ensemble des citoyens.

« La promotion du système notarial à l'étranger renforce le soft power français »

En plus de son soutien aux notaires français, le Conseil supérieur du notariat mène de nombreuses actions internationales. Pouvez-vous nous en parler ?

Lorsqu'un État accède à l'économie de marché, il doit choisir entre deux droits : la common law anglo-saxonne, qui assure la régulation par le juge, et le droit continental, qui utilise le filtre du notaire. La Chine, par exemple, a choisi l'implantation d'un système de notariat. La France a aidé à la formation de quatre mille premiers notaires chinois et reste disponible aujourd'hui pour mettre à disposition son expertise dans certains domaines comme l'environnement. Il y a un an, c'est le ministre de la justice de Jordanie qui nous a reçus. Les tribunaux sont engorgés par les trop nombreux contentieux, et ils ont décidé pour pallier ce problème de créer un système notarial. La maîtrise d'un système de droit est stratégique car les entreprises investissent plus facilement dans un environnement qu'elles maîtrisent. C'est aussi un choix de société, comme en Chine où le procès est vu comme un échec. La France est très demandée sur ce sujet : le Code civil de Napoléon a laissé des traces partout dans le monde et le système juridique français jouit d'une bonne image à l'étranger. Il contribue à créer un univers de confiance pour les entreprises, et à l'efficacité de l'État – la profession collecte en France environ 22 milliards d'euros d'impôt sans que cela coûte un centime à l'État. Si d'autres juridictions adoptent notre modèle, cela renforce le soft power de la France et son rayonnement à l'international.

Propos recueillis par Camille Prigent

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