Par Marie-Yvonne Benjamin, avocat associé. Genesis
Le désordre jurisprudentiel provoqué par les antennes-relais a agité les juridictions judiciaires, et administratives, ainsi que la doctrine, pendant de longs mois. En 2012, par cinq arrêts, le Tribunal des conflits met bon ordre à ces divergences en rappelant les compétences dévolues au juge, administratif ou judiciaire, selon l'enjeu du litige. L’irruption du principe de précaution dans le débat a justifié une intervention du Conseil d’État. Quels ont été les enjeux de ces litiges ?

Une antenne-relais est un émetteur-récepteur de signaux électriques de communication mobile qui convertit des signaux électriques en ondes électromagnétiques (et réciproquement). Le terme «?antenne-relais?» désigne généralement les antennes de téléphonie mobile, car elles constituent le type d'antenne-relais le plus fréquent. En 2006, selon l'OMS, on comptait 1,4?million de stations de base à travers le monde et leur capacité d’émission est accrue sous la pression des utilisateurs eux-mêmes plus nombreux et mobiles.

Le juge administratif contrôle l’implantation des installations

Les conditions de délivrance des autorisations administratives
Le code des postes et communications électroniques donne compétence à l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) pour attribuer les autorisations d’utilisation des fréquences, lesquelles précisent les conditions techniques et opérationnelles nécessaires pour éviter les brouillages et pour limiter l’exposition du public aux champs électromagnétiques (article L 42-1 du code des postes et communications électroniques). Mais les décisions d’implantation ne peuvent être prises qu’avec l’accord de l’agence nationale des fréquences (ANFR). Toute personne exploitant un réseau de communications électroniques adresse un dossier à l’ANFR contenant une déclaration selon laquelle l’installation est conforme aux normes et spécifications imposées par la législation et respecte les valeurs limites d’exposition (décret n°?2002-775 du 3?mai 2002 relatif aux valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements utilisés dans les réseaux de télécommunication ou par les installations radioélectriques).
«?Devant le silence gardé par l’agence, l’accord est réputé acquis aux termes d’un délai de deux mois après la saisine de l’agence?». Le dossier doit également mentionner les actions engagées pour assurer qu’au sein des établissements sensibles, crèches, établissements de soins, l’exposition soit aussi faible que possible tout en garantissant la qualité du service rendu. L’opérateur doit rendre des comptes à l’ANFR (Agence Nationale des Fréquences Radio) qui est l’autorité de régulation compétente en la matière. Cet organisme (ANFR) contrôle en moyenne un site par mois, ce qui fait qu'un site comme celui de Moyenneville (relais de Villeneuve-d'Ascq, Saint-Fuscien, près d'Amiens, et Rouen ; 122 mètres de hauteur) est «?contrôlé tous les cinq à six ans?» La vérification est faite que les installations sont conformes aux déclarations des opérateurs : nombre d'antennes, fréquences, puissances, azimuts et si une habitation est à proximité immédiate du site, des mesures de rayonnement électromagnétique sont effectuées.

Les conditions d’implantation physiques
Les opérateurs doivent s’assurer que leurs projets respectent les plans locaux d’urbanisme (constructibilité, implantation, distances, hauteurs de construction…). Si l’installation ne dépasse pas 10?m2, elle est soumise à la procédure de déclaration de travaux. Un permis de construire est exigé si l’installation comporte un ouvrage technique de plus de 100?m2 de surface hors œuvre brute sur un terrain non bâti, ou plus de 20?m2 de surface hors œuvre brute sur un terrain bâti. On notera que le code de l’urbanisme ne prend pas en compte les poteaux ou pylônes d’une hauteur n’excédant pas 12 mètres au-dessus du sol et pour les antennes d’émission ou de réception de signaux électriques qui ne dépassent pas 4 mètres. Pour le cas où un opérateur choisirait un terrain communal, le maire soumet la demande à la décision du conseil municipal. Pour les installations situées sur les immeubles collectifs, les copropriétaires sont invités à se prononcer en assemblée générale.

Une autorisation ne peut être refusée en l'absence d'éléments circonstanciés
Le Conseil d'État reconnaît qu'il appartient à l'autorité administrative compétente «?de prendre en compte le principe de précaution lorsqu'elle se prononce sur l'octroi d'une autorisation délivrée en application de la législation sur l'urbanisme?». Mais cela ne permet pas «?de refuser légalement la délivrance d'une autorisation d'urbanisme en l'absence d'éléments circonstanciés faisant apparaître, en l'état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus?». Le maire n'était pas en mesure d'estimer que le projet présentait un risque de nature à méconnaître le principe de précaution. Ce dernier avait seulement invoqué des risques incertains «?sans rechercher si des éléments circonstanciés étaient de nature, en l'état des connaissances scientifiques et des pièces versées au dossier, à justifier qu'il soit fait opposition à la déclaration préalable ». Jugeant l'affaire au fond, le Conseil d'État estime qu'il ne ressort des pièces versées au dossier «?aucun élément circonstancié de nature à établir l'existence, en l'état des connaissances scientifiques, d'un risque pouvant résulter, pour le public, de son exposition aux champs électromagnétiques émis par les antennes relais de téléphonie mobile?». Rien ne justifiait donc, selon la Haute Juridiction, que le maire s'oppose à la déclaration préalable faite par l'opérateur de téléphonie mobile. Le maire ne peut, sur le territoire de la commune, adopter une réglementation relative à l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile, destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes, même en se fondant sur les articles L 2212-1 et L 2212-2 du CGCT, ni même sur l’article 5 de l a Charte de l’environnement à laquelle le préambule de la Constitution fait référence.

Le juge judiciaire ne peut contrôler le champ de l’action administrative
Les décisions du tribunal des conflits sont fermes : le principe de séparation des pouvoirs s’oppose à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l’autorité administrative a portée sur les mêmes risques. L’action portée devant le juge judiciaire ne peut provoquer une immixtion dans l’exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques, compétentes en la matière. En revanche, le juge judiciaire reste compétent pour connaître des litiges opposant un opérateur de communications électroniques à des usagers ou à des tiers, aux fins d’indemnisation des dommages causés par l’implantation ou le fonctionnement d’une station radioélectrique qui n’a pas le caractère d’un ouvrage public, ou aux fins de faire cesser les troubles anormaux de voisinage liés à l’implantation irrégulière, ou à des nuisances et inconvénients anormaux dans la mesure où ils ne concernent pas les conditions techniques et opérationnelles fixées dans l’autorisation d’utilisation. Le périmètre de l’intervention possible du juge judiciaire est moins aisé et l’action devant le juge judiciaire ne sera admise que dans la mesure où elle n’implique «?ni son intervention dans la gestion du spectre des fréquences?», ni son immixtion dans les modalités d’implantation des stations, ni dans le contrôle ou l’édiction des mesures de protection : toutes ces mesures relèvent des pouvoirs des autorités administratives.


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