De plus en plus prisées chaque année, les études de droit ouvrent les portes de nombreuses professions juridiques aux bacheliers qui empruntent cette voie. Pour ceux qui sont atteints d’un handicap, le chemin à parcourir est plus difficile que pour les personnes valides et semé d’embûches jusqu’à leur exercice en entreprise ou en cabinet d’avocats. Les témoignages sont nombreux et les initiatives pour renverser la tendance de plus en plus visibles.

Le 28 juin dernier, la conférence Grenelle droit et handicap organisée à la Maison de la Mutualité faisait salle comble. Dans l’assistance, des juristes, des avocats, mais également la présidente du Conseil national des barreaux, Christiane Féral-Schuhl, le défenseur des droits Jacques Toubon ou encore le pénaliste Matthieu Juglar (lire son portrait) étaient présents. Tous ont été unanimes pour considérer la loi pour l’égalité des droits et des chances dite « Handicap » de 2005 comme « une étape importante pour l’intégration des personnes handicapées ». Au cours de ce débat, axé sur l’accès à la justice pour les personnes handicapées en tant que justiciables, Jacques Toubon lançait : « Qui de mieux placés que les professionnels du droit pour rappeler aux personnes handicapées quels sont leurs droits ? » Une interrogation qui en soulève une autre : quid des professionnels du droit atteints d’un handicap physique ? Que ce soit au cours de leurs études universitaires ou au début de leur carrière professionnelle, ces juristes passent bien souvent par des chemins parsemés d’embûches.

Absence de chiffres

Si les bancs des facultés de droit accueillent de plus en plus de bacheliers chaque année, il reste toujours difficile d’évaluer le nombre d’étudiants atteints d’un handicap physique, auditif ou visuel. « Beaucoup d’entre eux sont conditionnés, dès leur plus jeune âge, à être discrets, constate Stéphane Baller, avocat et associé chargé du développement de l’éducation et de la recherche de talents d’EY Société d’Avocats jusqu’à cet été. Ils préfèrent taire leur handicap lorsque c’est possible. Et c’est aussi pour cela que beaucoup échouent assez vite sans que nous puissions les aider », déplore le fondateur de Droit comme un H !, une association qui fait aujourd’hui figure de référence dans le milieu juridique. Ceux qui ont réussi à passer le cap de la première année, et de toutes les autres d’ailleurs, n’ont pas toujours bénéficié du soutien dont ils auraient eu besoin : « Je n’ai absolument pas pu m’appuyer sur l’université pour disposer de cours accessibles, se souvient Virginie Delalande, avocate sourde de naissance. J’ai donc dû trouver seule mes propres ressources, prendre des initiatives, faire des propositions, soulever des incohérences et parfois même me fâcher pour faire bouger les choses », poursuit la créatrice de l’association Handicapower. Petit à petit, des solutions adaptées ont été trouvées, ce qui lui a permis de poursuivre sa formation universitaire, de passer le CRFPA et d’intégrer l’école du barreau.

Valentin Tonti-Bernard, malvoyant, titulaire d’un master 2 DJCE spécialisé en droit des affaires, est actuellement en master scientifique Polytechnique-HEC Entrepreneur. Il a lui aussi pu suivre un parcours académique classique, grâce aux aménagements mis en place par son université (tiers temps, documents numérisés…). En revanche, à la suite du refus du ministre de l’Enseignement supérieur d’adapter l’épreuve de la note de synthèse à son handicap, il n’a pas pu passer l’examen d’entrée au CRFPA.

Manque de confiance des recruteurs

C’est justement pour accompagner au mieux les étudiants atteints d’un handicap, dès leur entrée en licence jusqu’à leur intégration sur le marché du travail, que Stéphane Baller a créé avec des clients et des amis le collectif (devenu association en août dernier) Droit comme un H !. « Trop souvent, il y a une assimilation entre handicap et incapacité sur le marché du travail. » Mais, dans les faits, les juristes handicapés sont aussi compétents que ceux valides à 100 %. L’absence de formation sur le handicap dans les universités et le manque de confiance des recruteurs expliquent que peu d’entre eux soient embauchés dans le milieu professionnel. Avec la mise en place du statut de reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH), la tendance commence à changer dans certains cabinets d’avocats et directions juridiques, mais le mouvement est lent. C’est notamment pour cette raison que Stéphane Baller organise des séminaires pour les entreprises et conseille des cabinets d’avocats dans leur politique d’accueil.

« Trop souvent, il y a une assimilation entre handicap et incapacité sur le marché du travail »

« Je n’avais pas, d’emblée, la confiance de mes recruteurs. L’étendue de mes missions était étoffée au fil du temps », explique Virginie Delalande qui pointe l’inadaptation des postes qui lui ont parfois été proposés. Grâce à un système de retranscription écrite pour les réunions et ses appels téléphoniques, elle a ensuite pu se consacrer entièrement à son activité professionnelle et ainsi augmenter ses performances. « Mon handicap m’a permis de développer d’autres compétences et d’être plus de performant sur certaines tâches que des avocats voyants, témoigne Valentin Tonti-Bernard. Un étudiant en droit atteint d’un handicap arrivé au même niveau d’études que des étudiants valides dispose de capacités qu’il doit pouvoir développer au sein d’un cabinet pour créer de la valeur. » Le fait qu’il ait pu, au cours de son cursus, réaliser plusieurs stages en entreprise, au sein du cabinet Fidal et même lancer sa société Prestau en est la preuve.
 

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L’avance des Britanniques et des Américains

Virginie Delalande tout comme Matthieu Juglar ont vécu des expériences de travail bien différentes à l’étranger : « J’étais immédiatement reconnue pour mes compétences. J’ai pu vite grimper dans la hiérarchie et faire grandir ma rémunération jusqu’à remplacer des directeurs lors de leurs congés et être membre du conseil d’administration de l’entreprise. » Même discours pour Valentin Tonti-Bernard, qui considère que « les cabinets d’avocats français n’ont pas pris la teneur du handicap par rapport aux cabinets anglo-saxons ». Ce constat se confirme également dans beaucoup de directions juridiques d’entreprises françaises. Véronique Chapuis-Thuault, directrice juridique, vice-présidente de l’AFJE, a elle aussi noté des différences dans l’approche du handicap chez nos voisins britanniques ou espagnols. Et de déclarer : « Les entreprises françaises ne doivent pas se focaliser sur le handicap du professionnel mais se concentrer sur la façon dont elles peuvent l’aider pour travailler efficacement et être performant (type de mission, outils, etc.). Les personnes en situation de handicap doivent, quant à elles, se contenter d’exprimer leurs besoins. » La cofondatrice de Respect Zone Handi, module pour les personnes handicapées de la charte de Respect Zone, est bien placée pour le savoir puisqu’elle a eu l’occasion de travailler pendant plusieurs années aux côtés de collègues en situation de handicap. Pour Virginie Delalande, la vision du handicap demeure en France beaucoup trop sociale et « perçue comme une contrainte », voire un tabou.

Le rôle clé des juristes

Pour que ce sujet ne soit plus laissé de côté, plus question de rester immobile : « La connaissance de la réglementation est faible, c’est pourquoi des guides de lecture et des formations sont nécessaires. Les juristes ont un rôle de contributeur à jouer pour interpeller le législateur sur les vides ou manques de la loi », conclut Véronique ­Chapuis-Thuault, qui remarque des infractions fréquentes aux lois et règlements en matière de handicap dans les entretiens d’embauche ou dans les conditions d’accès aux sites internet ou aux bâtiments. Et pour cause, le nouveau Palais de Justice ne répond pas aux normes prévues pour les handicapés. Anne-Sarah Kertudo, juriste, directrice de Droit pluriel et malvoyante, a d’ailleurs pris l’initiative de pointer toutes les lacunes de l’édifice sur ce sujet. Matthieu Juglar regrette quant à lui l’absence d’écriture en braille dans les ascenseurs du palais.

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Matthieu Juglar, aveugle, déplore l’absence d’écriture en braille dans
les ascenseurs du palais. Ici, l’exemple de l’accès aux étages.


C’est pour ces raisons et afin de favoriser davantage l’intégration des professionnels du droit handicapés dans le monde du travail que Stéphane Baller et Véronique ­Chapuis-Thuault œuvrent sans relâche. Récemment, ils se sont réunis dans le cadre du Rex Juris Handi, un cercle composé d’avocats, de juristes, d’étudiants en droit et de représentants du handicap, pour débattre sur cette question. Tous ont cette volonté de multiplier les contributions, simplifier et favoriser l’accès à l’enseignement pour cette population. « Internet et les nouvelles technologies offrent d’autres possibilités fort intéressantes pour développer de nouveaux métiers et le travail à distance. Ce progrès, que de nombreuses personnes en situation de handicap attendent, passe par une évolution des entreprises pour concevoir ces métiers et par une transformation des méthodes de management pour développer les relations à distance », conclut Véronique Chapuis-Thuault. Avec l’avancée des technologies et des moyens de communication, l’intégration des professionnels handicapés ne pourra que s’améliorer. Pour l’heure, le législateur et les pouvoirs publics détiennent les clés pour amorcer davantage de changements.

Première édition de l’Observatoire du ­handicap dans les cabinets d’avocats ­réalisée par l’association Droit comme un H !

Les 152 premiers cabinets du marché ont été interrogés, à savoir 14 610 collaborateurs. Parmi les 11 répondants, c’est-à-dire 1  628 collaborateurs :

  • 63  % n’ont jamais recruté de collaborateur en situation de handicap ;
  • la majorité d’entre eux ne disposent pas de processus spécifique de recrutement ;
  • 70  % expriment leur sensibilité au ­handicap pour le futur.


Marine Calvo

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