Les élus français siégeant au Parlement européen souffrent d’un déficit de popularité. Si certains reproches sont justifiés, ils sont pourtant plus investis qu’il n’y paraît.

C’est un chiffre qui fait mal. Selon un sondage mené par le Cevipof en ­janvier 2018, 75 % des Français ne font pas confiance à leurs députés européens. Considérés comme éloignés des préoccupations de leurs concitoyens, ­arrivistes, peu engagés, « planqués », ils souffrent d’une mauvaise image.

Un sas de transit en attendant mieux

Il est vrai que les couloirs du Parlement grouillent d'élus pour qui les institutions européennes sont soit un lieu de transit en attendant mieux soit une récompense. « Parmi les 74 députés français se trouvent des personnalités recalées de mandats nationaux, qui sont présentes à la suite d’une défaite ou pour services rendus », fait remarquer Sébastien Michon, professeur de sciences politiques à l’université de Strasbourg et ­spécialiste des élus européens. « Pour eux, l’idée est de toucher un bon salaire tout en continuant à être invités dans les médias en attendant éventuellement de revenir sur le devant de la scène hexagonale. Ou de profiter d’une retraite bien méritée. » Tous les partis sont concernés. De Nadine Morano, Rachida Dati, Michelle Alliot-Marie et Jérôme Lavrilleux, ancien bras droit de Jean-François Copé, pour la droite à Vincent Peillon à gauche.

75% des Français ne font pas confiance à leurs députés européens

Une spécificité française ? Pas vraiment. Charles, assistant ­parlementaire entre 2014 et 2017 pour un député membre du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) qui regroupe notamment le Modem, l’UDI, les ­Allemands du FDP ou les « libdems » ­britanniques, l’a remarqué. « Il y a effectivement des récompensés et des recasés mais c’est le cas pour tous les pays et cela ne signifie pas que ce type de personnalités soient inactives. » Un constat partagé par Sébastien Michon qui a scruté de près l’investissement de nos élus : « Il serait injuste de critiquer ceux qui espéraient ­prioritairement une ­carrière nationale. Globalement ils sont travailleurs et force de proposition. Certains pourraient faire plus mais, dans tous les cas, il n’y a pas de députés fantômes. » Soulignons également qu’ils ne sont pas les seuls à représenter la France.

La société civile en force

Si la société civile a fait son entrée en force à l’Assemblée nationale en 2017, elle était déjà dans la place au Parlement européen. « C’est l’une des caractéristiques de cet hémicycle : la présence traditionnellement importante de personnes non issues du sérail politique », note Sébastien Michon. Il s’agit d’une tendance globale à l’échelle européenne et qui concerne la France. L’universitaire cite notamment « Édouard Martin, ancien syndicaliste ­d’Arcelor Mittal pour le PS, les journalistes Jean-Marie Cavada et Patrick Le Hyaric pour le centre et les communistes ». Il insiste également sur la présence de personnalités issues des ONG telles que l’écologiste Yannick Jadot passé par Greenpeace. Une tendance qui risque de perdurer puisque, lors des élections de 2019, la liste La France insoumise sera menée par Manon Aubry, ancienne d’Oxfam, de Médecins du monde et de la Fondation Carter. Ces profils apportent une expertise sur des sujets parfois complexes tels que la fiscalité, l’immigration ou encore l’environnement.

Côté français, il est probable que la proportion d’élus non issus du sérail politique augmente encore dans les années à venir. « Nous assistons actuellement à une vraie montée en puissance du dégagisme, à une volonté de voir apparaître des personnalités nouvelles. Chaque parti a donc intérêt à présenter en position éligible ce type de ­profil », observe Sébastien Michon. Le cas de LR, pourtant considéré comme un mouvement de notables et de « professionnels », semble lui donner raison. Pour les élections de 2019, le parti dirigé par Laurent Wauquiez a choisi de placer en première position François-Xavier Bellamy, jeune philosophe de 33 ans.

Qu’il s’agisse de personnalités chevronnées ou de profils plus novices, le procès en manque d’implication n’est donc pas toujours justifié. D’autant plus que la France peut se targuer de posséder des élus qui font figure de poids lourds du ­Parlement. « Pervenche Bérès, ­députée socialiste depuis 1994, compte parmi les membres les plus assidus à l’échelle européenne. À droite, Arnaud Danjean est l’un des spécialistes de l’Europe de la défense, Alain Cadec est incontournable sur les questions liées à la pêche, tandis que l’ancien ministre Jean Arthuis préside la commission du budget », tient à préciser Sébastien Michon qui se réjouit de leur travail de l’ombre tout en reconnaissant que cette relative discrétion peut expliquer la mauvaise image du Parlement européen.

« Ces députés ne sont pas assez mis en avant dans les médias et sont quasi invisibles. Ce sont surtout les anciens élus nationaux qui représentent le Parlement dans les médias », déplore Charles. Et ces derniers profitent bien souvent de leur temps d’antenne pour ­évoquer la politique nationale. Ce qui contribue à détériorer l’image des représentants français. à croire qu’en France, pour faire carrière, il n’est pas bon de parler UE lors des émissions politiques. Y compris pour un député européen.

L'Allemagne comme modèle

À l’inverse de l’Hexagone, il existe des État membres dans lesquels la voix d’un député européen porte au niveau national. Certains pays d’Europe de l’Est font leur ­possible pour envoyer dans les travées de Strasbourg ou de Bruxelles des personnalités influentes : « Ils n’hésitent pas à faire siéger des poids lourds qui constituent parfois la moitié de leur délégation », observe ­Sébastien Michon. La France pour sa part ne semble globalement pas envoyer la crème de la crème. Ainsi, à quelques mois des européennes, les personnalités d’envergure nationale ne se précipitent pas sur les listes et conçoivent parfois un poste à Strasbourg ou à Bruxelles comme un « exil » voire une « rétrogradation ». Ce qui n’est pas le cas partout. L’exemple le plus emblématique est celui de ­l’Allemagne. Ainsi, lors des élections législatives de 2017, c’est un pur produit du Parlement européen qui a défié Angela Merkel en portant les couleurs du parti socialiste (SPD). Son nom ? Martin Schulz, député depuis 1994, président du groupe des socialistes européens et du Parlement depuis 2012. Un parcours qui ne lui a pas évité la défaite électorale. Mais il ­n’empêche, être député européen est un atout politique en Allemagne.

Être député européen est un atout politique en Allemagne

Outre-Rhin, les élus européens prennent leur rôle très à cœur et sont bien considérés par leurs concitoyens. « Ils font figure de bons élèves car ils siègent sur le long terme et sont massivement ­présents dans les deux principaux groupes PPE et PSE, alors que les Français sont plus dispersés », souligne Sébastien Michon qui explique que nos voisins de l’Est ­perçoivent un parcours européen comme une carrière valorisante dans laquelle s’investir sur le long terme. Ce qui n’est pas le cas de la France où il paraît improbable de voir Pervenche Bérès briguer l’élysée en 2022…

Lucas Jakubowicz (lucas_jaku)

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