Candidat au bâtonnat de Paris pour 2016 en binôme avec Hubert Flichy, David Gordon-Krief précise les priorités de sa candidature.
Décideurs. Quelle est la ligne directrice de votre candidature ?
David Gordon-Krief.
Il y a urgence absolue à mettre en place une gouvernance qui traite des sujets de la profession non pas à chaud mais de manière concertée avec l’ensemble de la profession. Je suis par exemple profondément angoissé à l’idée d’être si facilement privé du secret professionnel. Depuis de nombreux mois, et l’affaire Arlette Ricci en février dernier en est une illustration topique, les juges ont annoncé la mort du secret professionnel, invocable uniquement en matière d’exercice des droits de la défense. Dans ce cas, tous nos cabinets feront l’objet d’écoutes. Cela est d’autant plus dangereux pour notre profession que le droit perdra son attractivité. Nous exigeons la protection du secret des avocats et donc de celui de nos clients.
Si nous sommes élus, nous allons rapidement travailler avec le CNB pour élaborer un texte. Jusqu’à présent, rien ne s’est produit du côté de l’Ordre, aucun projet sur le secret professionnel. Nous avons même assisté à un recul avec la loi renseignement !

Décideurs. L’ordre des avocats de Paris est-il suffisamment armé pour s’engager dans ces combats ?
D. G.-K.
L’ordre de Paris est doté d’une cellule affaires publiques de grande qualité qui n’a rien à envier à celle du CNB. Mais il serait temps qu’on chasse en meute. Le barreau de Paris doit travailler pour rendre nos cabinets plus forts et plus compétitifs.

Décideurs. Quelle est votre définition du bâtonnier de Paris ?
D. G.-K.
C’est un bâtonnier fort, conquérant, qui travaille avec le CNB sur l’ensemble des sujets qui intéressent tous les avocats de France. Plus le barreau de Paris sera fort et plus les avocats de France seront forts. De la même manière, plus la profession d’avocat sera forte et respectée, plus notre barreau sera reconnu. Il faut qu’on soit entendu par les pouvoirs publics pour faire avancer certains sujets cruciaux de la profession, comme le secret professionnel, les retraites, le RSI, la taxe professionnelle, etc. Nombreux sont les sujets qui exigent d’être unis pour défendre notre profession.
Le bâtonnier de Paris est aussi un bâtonnier qui défend la civil law à l’international et les cabinets français qui exercent à l’étranger. Les campus internationaux ont été organisés dans de nombreuses villes mais il convient de privilégier les pays où les besoins de droit sont cruciaux pour contribuer au développement démocratique et économique.
Nous ignorons quel sera le visage de la profession dans trente ans. Certains prédisent sa mort, d’autre son essor. En ce qui nous concerne, avec Hubert Flichy, nous sommes convaincus que nous vivons dans une société où les besoins de droit sont en augmentation constante et où la place des avocats comme acteurs de paix sociale et comme accompagnateurs de la croissance doit être défendue avec conviction et énergie. Dans tous les cas, nous manquons aujourd’hui d’un projet collectif, d’idées fortes sur la place du droit dans la société.

Décideurs. Faut-il un mandat de trois ans ?
D. G.-K.
Oui, mais dans ce cas je n’aurais probablement pas été candidat car mes obligations personnelles et surtout professionnelles ne m’auraient pas permis de m’engager pour une durée aussi longue.
En tout état de cause, le mandat est aujourd’hui de deux ans et je trouve importante l’idée de ne pas pouvoir se présenter pendant son mandat. La vertu de notre système est que celui ou celle qui est en place consacre l’intégralité de son temps à son mandat et pas à faire campagne pour se représenter.

Décideurs. Quel message souhaitez-vous faire passer aux avocats d’affaires ?
D. G.-K.
Le message est clair : notre candidature est celle de la défense de nos cabinets d’avocats et de leur développement. La place de Paris est la place des droits de l’homme et du droit des affaires, qu’on ne peut pas opposer comme certains le font si souvent. Notre profession et nos cabinets sont souvent mis en danger face aux grands réseaux internationaux d’audit ou de conseil. Ces structures répondent à un besoin de droit. Il faut simplement que nos cabinets aient les moyens de répondre aux grands enjeux internationaux pour répondre judicieusement à l’offre.
Je suis par ailleurs particulièrement attaché à la place de Paris comme capitale du droit des affaires et nous devons nous engager résolument à protéger notre attractivité et notre compétitivité en continuant d’attirer les meilleurs talents du monde entier et les grands dossiers internationaux.

« La campagne a pris une mauvaise tournure avec la candidature de Laurent Martinet »



Décideurs. Cela doit-il passer par l’ouverture du capital des cabinets d’avocats à des capitaux externes ?
D. G.-K.
Il est clair que le constat est celui de la difficulté persistante des cabinets français à se développer, notamment à l’international. Les grandes firmes anglo-saxonnes sont beaucoup mieux armées pour répondre aux enjeux modernes. Comment un cabinet comme le mien peut-il ouvrir un bureau à l’étranger sans y investir ses propres deniers ? L’ouverture du capital à des non-avocats serait une solution. Mais le débat reste ouvert puisque pour le moment nous n’avons pas la garantie de la protection de notre indépendance. Les États-Unis, par la voix de l’ABA, l’ont formellement interdit. Cette solution n’est pas sans risque.

Décideurs. Les grands cabinets du chiffre concurrencent les avocats de la même manière que les start-up du droit. Comment réagir ?
D. G.-K
. Il faut être intransigeant avec les braconniers du droit qui utilisent des algorithmes si précis qu’ils donnent le sentiment à leurs utilisateurs que c’est du droit. Il faut frapper fort et parallèlement donner les moyens aux avocats de prendre ces marchés. Si deux cent mille personnes ont déjà utilisé demanderjustice.com pour saisir les tribunaux d’instance, c’est qu’une réelle demande existe. Pour cela, la déontologie doit évoluer. Elle ne doit en aucun cas être un frein.
Cette évolution s’est déjà produite par le passé : il y a quelques années, l’initiative de la conciergerie juridique a été refusée par l’Ordre. Depuis, l’Agence des nouveaux avocats, qui présente un service très proche, a été validée. La déontologie est faite pour évoluer, pour le permettre à nos pratiques et qu'elles soient ainsi compétitives avec celles existant dans les autres places du droit des affaires comme Londres ou New York. Nous devons nous doter des outils déontologiques pour répondre aux appels d’offres, travailler avec d’autres professionnels, ouvrir le pacte de quota litis, etc.

Décideurs. La croissance interne des cabinets est également une préoccupation. Comment fidéliser les avocats ?
D. G.-K.
L’enjeu de chaque cabinet est d’assurer son développement et sa pérennité. Cela passe par la fidélisation des avocats. Pour cela, comme n’importe quelle entreprise, les cabinets doivent se saisir des questions de responsabilité sociale, de diversité et de pro bono. L’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est la clé de la réussite des avocats. L’ordre doit être un guide dans l’évolution des cabinets vers cette responsabilité sociale. Nous voulons produire un annuaire du pro bono, créer un label diversité et développer les interventions des avocats dans la société civile. Pour améliorer la perception du droit, des libertés individuelles et les principes de notre République comme la laïcité ou l’égalité homme/femme.

Décideurs. "Et si le droit n’existait pas" ?
D. G.-K.
C’est le titre du livre que nous venons de finaliser avec Hubert Flichy (éditions Débats publics, disponible en septembre). Nos concitoyens voient le droit comme une somme de barrières : je n’ai pas le droit de faire du bruit la nuit, je n’ai pas le droit de construire, de travailler le dimanche, etc. Et tout ce qui représente l’autorité est considéré par nos concitoyens comme des outils pour sanctionner la violation des interdits. Cela induit des entraves à la création de richesses, au développement, au regroupement des activités, etc. Je suis simplement « rousseauiste » pour dire que le droit est une somme de règles faites pour mieux vivre ensemble et de manière durable. Il faut se réapproprier le contrat social de Jean-Jacques Rousseau, faire de l’avocat un acteur de paix sociale et du développement économique. Le droit sera alors compris comme une valeur ajoutée, une valeur nécessaire, mettant ainsi fin à ce rapport paranoïaque au droit. Et évidemment, qui d’autres que les avocats pour accompagner ce mouvement ?

Décideurs. Cela passe aussi par une meilleure communication…
D. G.-K.
Effectivement, la loi Hamon ne suffit pas ! Pour la diffusion du droit et pour le développement de nos cabinets, nous souhaitons ouvrir la publicité et la communication, sans toutefois tomber dans le racolage.

Décideurs. Quelle serait votre première mesure à la tête des avocats parisiens ?
D. G.-K. J
e réformerais immédiatement la gouvernance, parisienne, ordinale et nationale. Je ferais en sorte que l’ensemble des sujets soient évoqués à l’Ordre puis présentés devant le CNB. Nous souhaitons professionnaliser l’Ordre pour que tous les avocats se disent qu’il travaille pour eux. Par exemple, nous instaurerons le rescrit déontologique, pour que chaque avocat qui pose une question sur l’application de la déontologie trouve une solution à son cas pratique dans un court délai.
Ensuite, nous nous tournerons vers les jeunes confrères pour une formation enfin professionnalisante et repenser la collaboration pour la protéger et en faire une phase de transition vers l’installation ou l’association.

Décideurs. Toutes vos propositions sont-elles réalisables sans augmentation du budget de l’institution ?
D. G.-K.
Non seulement sans augmentation, mais aussi en réduisant le budget dans sa globalité, en rationalisant les dépenses et en instaurant un mécanisme d’évaluation perpétuelle par une commission indépendante.

Décideurs. Votre candidature est en opposition à Laurent Martinet et Marie-Alix Canu-Bernard. Retiendrez-vous tout de même une mesure instaurée par la précédente mandature comme le congé paternité ou l’exonération de cotisation pour les avocats les plus défavorisés ?
D. G.-K.
Notre candidature n’est en pas « opposition » par rapport à qui que ce soit à titre personnel. Je n’accepte pas cependant le postulat qui consiste à dire que la continuité résiderait dans les personnes qui sont élues. La continuité existe dans l’action et le conseil de l’ordre est là pour assurer cette permanence, ce suivi des projets. Chaque bâtonnier et vice-bâtonnier doit apporter un souffle nouveau, une énergie qui permet de poursuivre le travail dans l’intérêt des confrères mais sans « enkystage » dans les fonctions. Ni Hubert Flichy ni moi n’avons l’intention de nous présenter à quelque élection que ce soit pendant notre mandat.
J’adhère par ailleurs à l’incubateur du barreau de Paris. Mais le congé paternité, comme d’autres propositions adoptées par la profession sont des projets émanant de syndicats comme par l’UJA, à qui il faut rendre hommage. En revanche, je déplore le changement de calendrier qui non seulement augmente les dépenses de l’Ordre (400 000 euros !), mais en plus réduit le temps de préparation du bâtonnier désigné. Il faut remettre les élections du bâtonnier en même temps que celles du conseil de l’ordre.

Décideurs. À quelques jours du vote, comment qualifieriez-vous la campagne ?
D. G.-K.
Elle s’est considérablement tendue au cours de ces derniers mois à la suite de la candidature du vice-bâtonnier en place. Comme une majorité de confrères, j’ai voté pour lui il y a deux ans et j’aurais beaucoup apprécié qu’il exécute le mandat qui lui a été confié plutôt que de solliciter plus de temps pour rester en place. Parallèlement, cette campagne a été riche de rencontres, de suggestions, d’interrogations mais également d’attentes fortes à l’égard de l’institution. Cela renforce mes convictions pour m’engager plus encore à l’égard de tous nos confrères, qu’ils soient dans la difficulté comme beaucoup aujourd’hui ou porteurs de projets ambitieux. Notre barreau est riche de sa diversité, de sa jeunesse. Le représenter sera une tâche exaltante et particulièrement motivante.

Propos recueillis par Pascale D’Amore
Légende de la photo : Hubert Flichy et David Gordon-Krief

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