La montée de Danone à hauteur de 95 % du capital de Michel et Augustin n’est pas une surprise puisque le géant des produits laitiers l’avait envisagée dès 2016. Pourtant, l’opération semble moins appétissante aujourd’hui. Forte pression concurrentielle, pénétration difficile du marché américain, la marque voit aussi son duo iconique de fondateurs s’éloigner.

« On est sur un marché très compliqué. [Danone] nous assure une certaine indépendance de gestion. Tous ces grands groupes ont l’intelligence aujourd’hui de laisser aux pépites un écosystème propice à leur développement ». C’est en ces termes qu’Augustin Paluel-Marmont, cofondateur de Michel et Augustin, au micro de BFM Business, garantissait, en quelque sorte, la liberté de penser et d’agir de l’entreprise qu’il a créée en 2004 avec Michel de Rovira, à l’heure où la multinationale des produits laitiers s’arroge la quasi-totalité des parts de la société (95 %), pour une valeur d’entreprise établie qui se situerait entre 75 et 100 millions d’euros. Laconique, cette déclaration a toutefois le mérite de mettre le doigt sur deux points sensibles : l’existence de difficultés sur le marché de l’agroalimentaire et la nécessité de grandir au sein d’un réseau sans perdre son identité.

Un succès marketing indéniable

La grande réussite de Michel et Augustin, les Ben & Jerry’s français, est marketing. Les consommateurs ont été séduits par cette marque qui n’hésite pas à manier l’humour pour mettre en avant la qualité de ses produits, quitte à froisser la concurrence au passage. Ce succès marketing savamment orchestré est d’autant plus fort qu’il est incarné par les entrepreneurs eux-mêmes, camarades de classe depuis le collège parisien Saint-Louis de Gonzague, prêts à déambuler nus et tachetés comme des vaches dans le métro ou à organiser une opération « commando » au siège social de Starbucks afin d’y rencontrer son président américain Howard Schultz. Les emballages et le merchandising font eux aussi dans l’originalité : de la « vache à boire » à « l’incroyable mousse au chocolat », en passant par les « sablés ronds et bons », les autoproclamés « trublions du goût » ont fait souffler un vent de fraîcheur dans les rayons des supermarchés, qu’ils ont d’ailleurs revisités en couleurs et dans leur disposition pour mieux valoriser leurs produits.

Un positionnement haut de gamme discutable

Reste que le secteur agroalimentaire est un marché très mature où l’émergence de nouveaux produits est difficile. Michel et Augustin n’y joue assurément pas la carte de la simplicité et décline une offre haut de gamme qui n’est pas à la portée de toutes les bourses. Les boissons et biscuits sont essentiellement produits en France avec des ingrédients de qualité. Les sablés, par exemple, sont sous-traités au toulousain Poult – ce fabricant a cherché à racheter la PME, en vain – et répondent à des demandes exigeantes comme l’utilisation de beurre frais ou la réalisation de « petits carrés » si fragiles qu’ils relèvent du casse-tête. En magasin, les prix peuvent monter jusqu’à cinq ou six euros pour un paquet de cookies, soit deux à trois fois plus cher que la concurrence. C’est peut-être ce qui freine l’essor de l’épicerie sucrée, tandis que les produits laitiers se vendent mieux. Les ventes stagnent autour de 50 millions d’euros en 2018 alors que la PME se voyait passer la barre des 100 il y a cinq ans. Le végétal, nouvel axe « produits », doit pouvoir toucher un autre public que les jeunes actifs citadins.

Résistance à l’international

Depuis quelques années déjà, les consommateurs donnent leur préférence aux marques locales. Michel et Augustin profite pleinement de cet avantage sur les marchés francophones (France, Suisse, Belgique), pour 85 % de son CA, mais peine à l’étranger. Les cultures et les sensibilités au « bon et beau produit plus cher » sont variables. L’aventure internationale de Michel et Augustin s’est résumée à une courte apparition (un an en 2016) sur les comptoirs de plus de 7 500 Starbucks américains. Depuis, peu de choses hormis un partenariat de distribution temporaire passé avec les supermarchés Whole Foods et la compagnie aérienne Delta Airlines. Danone a réagi et fait appel à un nouveau duo de dirigeants à la tête de l’épicier : François Roche Bayard (ex-Andros et Lu) comme directeur général et Evan Holod (ex-Coca Cola) en charge du bureau américain. De fait, Michel et Augustin, de chair et d’os, prennent du recul dans la gestion régulière des affaires, même s’il est dit qu’ils resteront encore un peu… Danone parviendra-t-il à enrichir la recette des « trublions du goût » sans leurs chefs ? Rien n’est moins sûr.

@Firmin Sylla

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