Rigoureusement la tête dans les étoiles, Damien Garot travaille activement à la stratégie de développement d'Eutelsat. Rencontre.
Damien Garot évolue dans un marché de niche : celui des opérateurs de satellite. Dans un secteur à la croisée du business, des médias et du prestige national, l’homme occupe la lourde responsabilité de devoir accompagner la croissance d’un groupe coté au SBF 120 totalisant 1,35 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Rencontre.

Décideurs. Comment résumeriez-vous le quotidien de votre fonction chez Eutelsat, où l'on voit loin et à long terme ?
Damien Garot. En quelques mots, je dirais que ma fonction est centrée sur la croissance à moyen et long terme du groupe, au travers de projets de nouveaux satellites, développés soit en interne, soit en partenariat (joint-venture ou autre), soit par le recours aux fusions-acquisitions classiques, particulièrement sur les marchés émergents (Afrique, Asie, Moyen-Orient, Amérique latine…). L'horizon du marché du satellite est de long terme.

Décideurs. Comment arbitrez-vous justement entre croissance externe et croissance interne ?
D. G. En matière de croissance organique, Eutelsat investit en moyenne 500 millions d’euros par an, mais un projet de satellite comprend environ trois ans de construction avant au moins quinze ans d'exploitation. Les choix que l'on effectue aujourd'hui auront donc un impact significatif sur l'avenir de l'entreprise, mais à effet retard. A contrario, une acquisition nous permet d'être immédiatement sur le terrain et d'acquérir de bonnes positions commerciales. Par ailleurs, une joint-venture n'est pas forcément la solution idoine et peut soulever d’importantes questions de gouvernance. Une alternative reste un programme de satellite en commun avec une mutualisation des coûts de construction, de lancement et d’opérations.

Décideurs. Vous voyagez régulièrement dans le monde et vous êtes immergé dans le multiculturalisme au quotidien. Comment gérez-vous cet aspect fondamental ?
D. G. Eutelsat regroupe trente-deux nationalités ! Le multiculturalisme fait partie de son ADN. Il est vrai que nous cherchons à nous développer dans des régions géographiques très éloignées. Dès le départ, nous allons vouloir comprendre qui sont nos interlocuteurs, qui est l'équipe de management en place. Pour ces partenariats, ou pour nos sociétés locales, Eutelsat ne peut pas se permettre de « micromanager », vu la distance. Nous mettons alors rapidement des processus en place pour s'assurer que les managers locaux disposent d'une forte autonomie. C'est là aussi la culture d'Eutelsat.

Décideurs. L'ADSL et la fibre optique. Ces deux solutions ne seront sans doute pas déployées avant longtemps sur le continent africain. Le satellite ne constitue-t-il pas la voie royale pour le développement numérique et l'accès internet dans ces pays ?
D. G. Vous avez raison. Une infrastructure satellite est beaucoup moins lourde à développer et offre une très large couverture régionale dès son premier jour d’entrée en service. Mais cet état de fait est également vrai dans les pays développés, et même en France ! On voit régulièrement des exemples d’entreprises situées en zones rurales qui ne disposent pas d’un accès internet haut débit suffisant. Le satellite leur offre cette possibilité désormais et elles l’utilisent, d’autant que le satellite, à la différence de l'ADSL ou la fibre, est immune à toute contingence au sol (coupure ou vol de câbles, lenteur de déploiement géographique, etc.). Et cette situation est d’autant plus vraie que le besoin d’échanges de données ne cesse de croître. L’ultra haute définition débarque et il sera difficile, pour l’utilisateur, de continuer à regarder ses films en HD une fois qu’il aura expérimenté un tel saut technologique. On l’a vu précédemment avec le DVD remplaçant la VHS, et même aujourd’hui avec le Blu-ray qui remplace le DVD.

Décideurs. Vous opérez dans un secteur sensible de la technologie où l'essentiel doit rester secret. Comment faites-vous pour mener à bien les phases de due diligence ?
D. G. Cela va peut-être vous surprendre, mais l'élément le plus secret n'est pas la technologie, mais le carnet de commandes. Nous achetons des satellites dans le monde entier. Tous les opérateurs font de même. Par exemple, nous connaissons très bien les équipes de Thales et leurs technologies. Les éléments les plus délicats portent sur tout ce qui a trait à l'activité commerciale, puisqu'il y a un risque d’accès à toutes les données des clients, du carnet de commandes, des contrats, des prix, etc.

Décideurs. Quels sont les facteurs d'échec d'une opération selon vous ?
D. G. L'activité d'opérateur de satellites est une niche et le nombre d'opérations est, de facto, limité. Ce qui n'empêche pas d'avoir des serpents de mer. Les contextes politique et réglementaire doivent être favorables. Le satellite réside à la croisée du business, des médias et du prestige national. Il faut s'assurer que les pouvoirs politiques locaux voient la transaction d'un œil favorable. Beaucoup d'opérations ont échoué à cause de cela. Enfin, je reviendrai aussi à un des fondamentaux d'une transaction : quelles sont les motivations de l'opérateur à coopérer ? À débuter une mise en vente ? Est-ce une obligation, ou bien est-ce une simple opportunité ?

Décideurs. Comment percevez-vous l'évolution de votre métier ?
D. G. Je découvre encore de nouveaux types de structures. Il y a un besoin d'être créatif et de travailler main dans la main avec les autres parties prenantes de l'entreprise. La direction du développement ne travaille pas en silo et, pour ma part, je veille à entretenir une excellente fluidité de l’information, que ce soit avec les équipes réglementaires, financières, techniques, stratégiques, etc. Par ailleurs, nous nous trouvons également dans une phase de rupture technologique. Si nous voulons en tirer le maximum, cela suppose de savoir prendre du recul et d’avoir une écoute très attentive du marché et de ses tendances.

Propos recueillis par Mathieu Marcinkiewicz



Sur Eutelsat :
3e opérateur mondial de satellites
37 satellites en activité, 7 en construction
Coté au SBF 120
CA : 1,35 Md€
BPIFrance actionnaire à hauteur de 25 %

Sur Damien Garot
Damien Garot est director of corporate development du groupe Eutelsat. Il a rejoint la société il y a sept ans. Il possède une expérience de plus de dix-sept ans dans l’industrie spatiale ayant précédemment travaillé pour Alcatel Space à Paris et SkyBridge à Washington DC. Damien Garot est diplômé de SupAero et possède un MBA exécutif de l’EM Lyon.

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