Il y a quelques jours débutait le procès France Télécom. Une première dans l’histoire du harcèlement moral puisque, cette fois, la justice ne cible pas les agissements de personnes identifiées mais un mode de management dans son intégralité. Du jamais vu, explique David Mahé, président de Stimulus, cabinet de conseil spécialisé dans la santé psychologique au travail.

Décideurs Magazine. En quoi ce procès est-il inédit ?

David Mahé. C’est la première fois que, dans une affaire de harcèlement moral, un tribunal questionne non pas les agissements de personnes identifiées – collègue, supérieur hiérarchique… - mais la décision délibérée d’une entreprise d’organiser le travail selon des pratiques ayant eu des conséquences négatives sur la santé des gens. C'est la première fois qu'un procès porte sur une pratique managériale et non sur un individu isolé.

Pourtant, nombreuses sont les entreprises ayant eu à répondre par le passé d’accusations de harcèlement moral…

Depuis que le harcèlement moral a été juridiquement reconnu et défini par la loi, en 2002, il y a eu beaucoup de procès, en effet, et beaucoup de condamnations d’entreprises. Mais jusqu’à maintenant, toutes l’étaient pour manquement. Autrement dit pour avoir laissé faire, pas pour avoir pris la décision de déployer un mode de management débouchant sur du harcèlement institutionnalisé. Sur ce plan l’entreprise en tant que personne morale est concernée mais aussi ceux qui, à l’époque des faits, avaient le pouvoir de faire. Cette fois on ne leur reproche pas d’avoir manqué de vigilance, on leur reproche d’avoir créé un système de management ayant mis en risque les salariés. Cela, c’est du jamais vu.

Cela risque-t-il de créer un précédent ?

Qu’on questionne le système de management d’une entreprise est une nouveauté qui, bien évidemment, crée un risque de jurisprudence pour d’autres organisations tentées par une transformation à marche forcée. Ce procès confirme qu’en France il existe un arsenal juridique opérationnel et qu’un dirigeant peut être poursuivi pour ne pas avoir pris en compte l’impact humain de ses décisions.

Car selon vous, le procès de France Télécom est celui d’une transformation mal gérée ?

Sans aucun doute. Personne ne conteste la nécessité qu’il y avait à transformer l’entreprise. Ce qui est questionné, ce sont les moyens déployés pour mener à bien cette transformation. Sur ce point, le procès en cours envoie un message clair aux entreprises : des outils juridiques et managériaux sont à la disposition des entreprises pour leur permettre de mener à bien une transformation, il n’est pas utile d’avoir recours au harcèlement. En clair, on ne peut autoriser, en France, que sous prétexte de mener à bien une transformation on fasse n’importe quoi avec ses salariés.

Dans le cas de France Télécom, diriez-vous que les alertes n’ont pas fonctionné ?

Il y a bien eu des alertes mais elles n’ont pas été entendues ; ni par les dirigeants de l’époque, ni par l’État qui restait le premier actionnaire de l’entreprise. L’idée était clairement d’aller au plus vite, de mener une transformation au pas de charge, en contournant les principes réglementaires et sans utiliser les outils existants. Or ce que ce procès dit est : une entreprise peut être transformée dans le respect des lois et des hommes. Considérer qu’il existe d’un côté des salariés réfractaires à tout changement et de l’autre des dirigeants visionnaires prêts à tout pour faire évoluer l’entreprise ne fonctionne pas. Quand on veut transformer une entreprise, on mobilise les équipes, on n’agit pas contre elles. Pour moi, le procès France Télécom est celui d’une transformation mal gérée. D’une transformation à tout prix.

Propos recueillis par Caroline Castets

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