Dopage, pots-de-vin, matchs truqués, joueurs achetés… Le milieu sportif n’est pas épargné par la corruption et les risques d’abus.

« Les peuples sans sport sont des peuples tristes », affirme une maxime byzantine. Et cela semble se vérifier : le sport est aujourd’hui perçu comme un phénomène universel qui rassemble les populations et les fédère autour des grands événements. Mais même dans « le meilleur des mondes possible » le milieu sportif n’échappe pas au risque de triche. Depuis quelques années maintenant, les cas de corruption atteignent des sommets historiques, notamment en raison de l’essor des paris en ligne qui peuvent conditionner l’issue d’un match. La manipulation des résultats nuit en effet gravement à l’intégrité et aux valeurs du sport mais également à son essence même que sont l’aléa et l’incertitude du sport, sans lesquels nul ne vibrerait devant une compétition.

 

Toutes les disciplines touchées

En raison des sommes faramineuses en jeu, le sport est devenu au fil des décennies un enjeu économique d’importance. Et comme toute économie, il n’est pas immunisé contre la fraude et la corruption. Acheter des joueurs pour qu’ils lèvent le pied, payer des arbitres pour qu’ils favorisent ou défavorisent une équipe, participer à un système organisé de dopage… Autant de petits arrangements qui engrainent toutes les disciplines, sans exception.

Tour d’horizon des affaires ayant détérioré l’image de trois sports.

Le football est assurément le sport qui engrange le plus d’argent, entre le sponsoring, la billetterie, les droits télévisuels et autres produits, mais qui concentre également le plus d’affaires de fraude, aussi bien au niveau des fédérations que des joueurs eux-mêmes. Et il est difficile de parler de corruption et de foot sans évoquer les conditions d’attribution quelque peu floues de la Coupe du monde 2022 au Qatar, décidée fin 2010. Une enquête interne sur le sujet a été menée par l’ex-procureur américain Michael Garcia dont le rapport de 400 pages a été publié par le quotidien allemand Bild en juin 2017, mais jamais par la Fifa qui aurait, semble-t-il, des choses à cacher. « Un ancien membre exécutif a félicité des membres de la Fédération qatarie et les a remerciés par mail pour un virement de plusieurs centaines de milliers d’euros » juste après l’attribution de la compétition au Qatar, peut-on entre autres y lire. Mais ce n’est pas tout, en novembre 2017, Mediapart révélait que le FBI et la justice brésilienne auraient découvert l’existence d’un virement de 22 millions de dollars en provenance du Qatar sur un compte ouvert à la banque Pasche Monaco, ex-filiale du Crédit mutuel, au nom de l’ancien patron du football brésilien Ricardo Teixeira. Enfin, ce dernier aurait également effectué plusieurs paiements à destination de personnes désignées comme « Warner Bros », « Mohammed » et « Leoz », noms de code renvoyant à trois anciens membres du comité exécutif de la Fifa qui ont participé au vote du 2 décembre 2010 attribuant l’organisation du mondial 2022 au Qatar. L’affaire est donc loin d’être finie. Mais aurons-nous un jour le fin mot de l’histoire ? Rien n’est moins sûr.

Le handball non plus ne déroge pas aux faits de corruption. L’affaire la plus retentissante concerne le match Montpellier contre Cesson-Rennes du 12 mai 2012 et répond au doux nom d’« Affaire des paris suspects ». Suite à des soupçons de match truqué, une information judiciaire a été ouverte le 1er août 2012 visant des faits de « corruption passive et active » ainsi que d’« escroquerie et de recel d’escroquerie » aux dépens de la Française des Jeux (FDJ). Le soir du match en question, la FDJ avait en effet relevé des paris inhabituels par leurs montants, prévoyant une défaite de l’équipe montpelliéraine alors assurée de remporter le championnat de France de première division, et avait prévenu les autorités judiciaires dans la foulée. Quelques semaines plus tard, plusieurs joueurs du club de Montpellier, dont les célèbres frères Karabatic, et des proches sont mis en examen pour escroquerie ou complicité d’escroquerie. À l’issue du procès devant le tribunal correctionnel de Montpellier le 10 juillet 2015, aucune peine de prison avec sursis n’est prononcée et les amendes sont comprises entre 1 500 et 30 000 euros. Les prévenus font cependant appel. Le 1er février 2017, la Cour d’appel de Montpellier a finalement alourdi les peines des frères Karabatic en les condamnant chacun à 10 000 et 15 000 euros d’amende et à deux mois de prison avec sursis. Les autres peines prononcées s’échelonnent de 10 000 euros à 40 000 euros d’amende avec quatre mois de prison avec sursis.

L’athlétisme n’est également pas en reste, entre le dopage, le manque de combativité lors d’une compétition ou encore les manigances en vue de l’attribution de l’organisation des Jeux Olympiques (JO). Les grands événements sont ainsi très souvent entachés. L’affaire de dopage sûrement la mieux orchestrée de l’histoire des JO est celle mise en place par la Russie. Quelques mois après que le pays arrive en tête du tableau des médailles à Sotchi avec pas moins de 29 médailles, dont 11 en or, en février 2014, un documentaire de la chaîne allemande ARD révèle l’existence d’un vaste programme de dopage organisé par l’État russe pour aider ses athlètes dans les diverses compétitions. Directeur du laboratoire antidopage de Moscou depuis 2006, Grigory Rodtchenkov est au cœur de ce scandale mis au jour. En 2015, il dévoile l’étendue du programme appliqué et détaille les pratiques mises en place pour que les athlètes russes puissent passer les tests anti-dopage quotidiens auxquels ils sont soumis sans être inquiétés. Les conséquences directes ont cependant été moins importantes qu’espérées. Malgré l’appel à l’exclusion de la délégation russe aux jeux olympiques d’été de 2016 par l’Agence mondiale antidopage, le Comité international olympique (CIO) a finalement autorisé 271 athlètes sur les 389 engagés au départ à disputer les épreuves. Des sanctions plus importantes ont en revanche été prises par le CIO fin 2017 : le comité a annulé treize médailles gagnées par des athlètes russes en 2014 et a suspendu le comité olympique russe, et donc la Russie, des JO d’hiver de 2018. Elle a toutefois accepté d’inviter les athlètes russes à concourir sous le drapeau olympique, sous l’appellation « Athlètes olympiques de Russie ».

 

L’autonomie comme cause de dérives

Chaque scandale de corruption dans une discipline porte atteinte à l’image du sport dans son intégralité. Mais difficile de lutter contre ce fléau quand les grandes organisations sportives n’en font qu’à leur tête et n’acceptent pas d’être régulées par les États. Thierry Granturco, avocat spécialiste du droit du sport, rappelle dans une tribune au Monde en mai 2017 que l’une des causes principales de dérive n’est autre que l’autonomie du sport, principe permettant aux dirigeants sportifs d’être indépendants du pouvoir politique et du pouvoir judiciaire. « Les fédérations nationales et internationales sont gérées d’une manière défiant tous les principes de bonne gouvernance, affirme-t-il, non-respect des grands principes de droit, contrôle interne défaillant, contrôle externe complaisant, élections taillées sur mesure, mandats multiples… » Et c’est justement cette autonomie et cette indépendance que veillent à préserver les instances olympiques. Mais face aux énormes scandales de corruption qui ont touché l’athlétisme ces dernières années, les instances olympiques ont dû réagir. La commission exécutive du CIO a adopté une déclaration sur la bonne gouvernance dans le sport et la protection des athlètes intègres en décembre 2015 avant d’accepter en mars 2016 de déléguer à un organe indépendant le pouvoir de décision dans les cas d’infraction présumée aux règles antidopage se produisant pendant les Jeux Olympiques à partir des JO 2016 au Brésil. Mais est-ce suffisant ? Le temps nous le dira.  

 

Le combat s’intensifie

Alors que faire pour éradiquer le fléau de la corruption dans le milieu du sport ? Déjà prendre le sujet à-bras-le-corps et ne pas seulement en parler au détour d’une conversation. C’est ce que fait le Conseil de l’Europe qui s’est emparé du sujet dès 2005. « La clé est de faire en sorte que toutes les personnes impliquées dans le sport, des joueurs aux entraîneurs en passant par les organisateurs, travaillent ensemble, partagent des informations et visent le même objectif, à savoir l’équité et la sécurité dans le sport », a notamment déclaré l’organisation intergouvernementale. Soucieux d’un bon dialogue entre les gouvernements et les fédérations sportives, le Conseil a institué en mai 2007 l’Accord partiel élargi sur le sport (APES) qui a pour ambition de « donner un élan nouveau à la coopération paneuropéenne et de relever les défis auxquels le sport doit actuellement faire face en Europe ». Il mène différents types d’actions allant de l’organisation de conférences à des actions de sensibilisation sur des questions en lien notamment avec les droits de l’homme et la lutte contre la discrimination. Les réunions de l’APES sont destinées à préparer des recommandations ensuite soumises à adoption au Comité des ministres du Conseil de l’Europe. À ce jour, 38 pays sont parties à l’APES, dont 19 sont membres de l’Union européenne. Mais cet accord n’est pas le seul instrument existant.

Lancé au Forum international pour l’intégrité du sport en février 2017, l’International partnership against corruption in sport (IPACS) est né du constat que la corruption dans le sport est un « phénomène complexe et transnational qui requiert urgemment des efforts conjugués et coordonnés sur le plan international ». Ce réseau informel réunit des organisations intergouvernementales et sportives internationales ainsi que des gouvernements pour coordonner les efforts de cette éternelle lutte contre la corruption dans la gouvernance du sport. L’IPACS a donc toutes les cartes en main pour faire évoluer progressivement les comportements des acteurs du milieu sportif. À voir cependant s’il arrivera à tenir ses engagements sur le long terme…

 

Margaux Savarit-Cornali

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