Accusé de mensonges sur l’origine et la portée de l’épidémie, le régime pourrait bien, une fois l’urgence sanitaire évacuée devoir rendre des comptes sur son absence de transparence.

21 avril 2020. Alors que, partout dans le monde, le décompte des victimes du coronavirus continue de croître, le Missouri annonce sa décision d’attaquer le parti communiste chinois en justice. Le chef d’accusation ? Avoir "caché des informations cruciales" sur la gravité de l’épidémie de Covid-19 ayant permis, selon le procureur du Missouri, Eric Schmitt, la propagation d’une "pandémie mondiale inutile et évitable".

La réponse de l’accusé ne se fait pas attendre. Dès le lendemain, Pékin déclare la plainte "complètement absurde" et réaffirme sa ligne de défense : depuis le début de l’épidémie, le régime a "constamment fait preuve d’ouverture, de transparence et de sens des responsabilités". L’appréciation, martelée depuis des semaines, est pourtant loin de faire l’unanimité sur la scène diplomatique mondiale où les demandes d’enquêtes indépendantes sur la gestion de la crise ou les origines du virus continuent à se heurter à une fin de non-recevoir de la part des autorités chinoises.Difficile, dans ce contexte, d’accréditer la thèse de l’ouverture. Restent celles de la transparence et du sens des responsabilités. Et là, tout dépend de quelle Chine on parle.

Risque sanitaire

Celle de l’après 23 janvier qui, ayant reconnu la gravité de la pandémie, va déployer des trésors de rapidité et d’efficacité pour la circonscrire, construisant deux hôpitaux en dix jours, portant sa production mensuelle de masques à six milliards, dopant ses industries pharmaceutiques et textiles pour organiser une riposte tous azimuts contre l’épidémie  ? Ou celle qui, jusqu’à cette date, mettra tout en œuvre pour étouffer l’affaire : menaçant les médecins et muselant les lanceurs d’alerte, censurant les mots-clés liés à la pandémie sur les réseaux sociaux, délivrant à l’OMS un récit rassurant et factice sur la situation et, ce faisant, retardant de plusieurs semaines la prise de conscience mondiale sur la gravité de la pandémie  ?

Pour François Godement, conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne, s’il est trop tôt pour savoir "laquelle de ces deux Chine l’Histoire retiendra", aucun doute sur les responsabilités du pays dans la propagation de la crise avant le point de bascule du 23 janvier : celles-ci sont avérées et liées à un choix purement politique."Dès la fin décembre, la gravité de la situation est connue dans le Hubei, les autorités médicales centrales disposent de toutes les informations, ce qui signifie qu’il en est forcément de même avec le gouvernement". Pourtant, celui-ci va choisir de les ignorer. Pire, de les étouffer des semaines durant pour des raisons de calendrier national à respecter et d’image à préserver. …

... contre raison politique

Pour Xi Jinping, sortir du déni sur la pandémie et, par conséquent, se résoudre à décréter le confinement et la fermeture des frontières revient en effet à sacrifier deux échéances majeures : le nouvel an chinois, dont les célébrations doivent débuter un mois plus tard, et la réunion des deux assemblées, début mars. Deux événements incontournables dans la vie de la nation qui, pour François Godement, expliquent les choix de son dirigeant dans sa gestion de la crise. "Le nouvel an chinois, c’est chaque année entre 250 et 300 millions de personnes qui se déplacent et une semaine d’arrêt complet pour tout le pays, explique-t-il. Quant à la réunion des deux assemblées, c’est l’un des piliers de la vie politique."

Renoncer à l’un ou l’autre de ces rendez-vous crée le risque de perturber l’ordre établi et, pire crainte du régime, de générer de l’instabilité. Pour l’écarter, Xi Jinping va passer outre l’alerte sanitaire et "privilégier les contraintes de sa liturgie politique". Au directeur de l’OMS venu prendre la température sur le terrain fin décembre, il sert un discours rassurant, parlant d’un "cluster" de pneumonie atypique, écartant tout risque de contamination d’homme à homme et usant de son influence sur l’Organisation pour l’emmener, à son tour, à minimiser le risque encouru auprès du reste du monde.

De la dissimulation à la démonstration de force

Alors que, dès le 14 janvier, la transmission du virus d’homme à homme est avérée, il faut attendre le 20 pour que Pékin le reconnaisse officiellement, permettant ainsi le maintien, deux jours plus tôt, d’un banquet de 40 000 personnes organisé en l’honneur du parti et le début de la transhumance du nouvel an.

Au point que, lorsque le 23 janvier, les autorités opèrent un virage à 180° dans leur gestion de crise et décrètent le confinement de Wuhan, 5 millions de personnes ont déjà quitté la région. Qu’importe. Pour les autorités, l’heure n’est alors plus à la dissimulation mais, au contraire, à la démonstration de force. En quelques jours des mesures radicales sont déployées (contrôle de la température par drones, confinement généralisé, production intensive d’équipements médicaux permettant au monde entier de s’approvisionner…). 

Durant deux mois, la frénésie de la riposte chinoise fera diversion

Elles vont s’avérer d’une efficacité redoutable et, une fois encore, permettre à Pékin de jouer la montre. Non plus face à la progression du virus mais, cette fois, aux critiques de la communauté internationale. Durant deux mois, la frénésie de la riposte chinoise fera diversion, supplantant, dans l’opinion publique et au sein des gouvernements, les manquements des premiers temps : l’absence de transparence et la mise sous influence de l’OMS ayant fait perdre des semaines de réactivité au monde entier, le déni, la courbe des décès trafiquée et, encore aujourd’hui, "le fait que Pékin continue à interdire l’accès de son territoire aux enquêteurs épidémiologiques de l’OMS ou des États-Unis, affirmant qu’une enquête scientifique est en cours sans communiquer sur ses avancées, si bien qu’on ignore toujours tout des origines du virus", rappelle François Godement.

Pour lui, cette nouvelle séquence de la crise est désormais révolue : à l’incrédulité des débuts et à la sidération des dernières semaines succède aujourd’hui le temps des mises en cause. Celles d’une communauté internationale qui n’entend pas en rester là

Caroline Castets

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