Alors que le plan de déconfinement d’Édouard Philippe vient d’être voté par l’Assemblée nationale, les entreprises se préparent. Face au risque épidémique, de nouvelles obligations pèsent sur l’employeur. Si elles ne sont pas respectées, la responsabilité du dirigeant pourra être engagée.

Le 14 avril dernier, le tribunal de grande instance de Nanterre condamnait Amazon France à limiter son activité à « l’essentiel », soit à la réception de marchandises, à la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, d’hygiène et médicaux. En cause, des mesures de sécurité et d’hygiène jugées insuffisantes par le ministère du Travail pour assurer la protection des salariés du géant américain dans ses cinq entrepôts français. Ces problématiques vécues aujourd’hui par Amazon se poseront inévitablement à de nombreuses entreprises dès le début du déconfinement le 11 mai. Dès la reprise de leur activité, celles-ci doivent intégrer de nouvelles pratiques sanitaires afin d’éviter la propagation de la pandémie et la contamination des employés.

Adapter les règles à la pandémie

"Les principes généraux prévus par le Code du travail pesant sur les employeurs à l’égard de leurs salariés ne sont pas modifiés du fait de la crise sanitaire actuelle. C’est leur mise en œuvre qui  doit être adaptée en raison de la virulence du virus et du risque élevé de contagion", rappelle d’emblée François Alambret, avocat spécialiste du droit du travail chez Bryan Cave Leighton Paisner (BCLP). Les articles L.4741-1 et L. 4741-9 du Code du travail imposent en effet au dirigeant d’entreprise de respecter des règles d’hygiène et de sécurité nécessaires au bien-être de ses salariés. Ces dernières semaines, le gouvernement a cependant édicté un certain nombre de préconisations afin d’adapter ces règles à la pandémie : instaurer des gestes barrière dans l’entreprise, garantir la distanciation sociale entre les salariés, imposer le port de masques, mettre à jour le document d’évaluation des risques... Le ministère du Travail a également élaboré des fiches pour faciliter la déclinaison de ces règles à chaque profession. "Toutes les industries sont aujourd’hui confrontées à la mise en place de ces règles d’hygiène poussées. Certaines, comme celle de la chimie par exemple, ont déjà l’habitude de respecter la réglementation de produits dangereux contrairement aux entreprises du secteur des services. Ces dispositifs sont totalement nouveaux pour elles", analyse David Père, associé en droit pénal chez Bryan Cave Leighton Paisner. Des nouveaux enjeux qui doivent rapidement être saisis par les entreprises, au risque de susciter des réactions voire des actions judiciaires de la part de salariés inquiets.

Plainte classée sans suite

"Il n’existe aucune infraction pénale spécifiquement liée à une contamination au Covid-19", souligne le pénaliste. Deux comportements peuvent cependant être invoqués par des salariés contaminés pour engager la responsabilité pénale de leurs employeurs : les délits de mise en danger de la vie d’autrui ou d’atteinte involontaire à la vie d’autrui. Ces deux infractions restent cependant difficiles à prouver en pratique. "La mise en danger d’autrui n’implique pas de dommage corporel, mais une exposition au danger. Ce délit doit résulter de la violation d’une règle claire, détaille David Père. Or, le décret du 23 mars 2020, publié par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie, ne nous semble pas poser pas de règle suffisamment claire du comportement pouvant fonder une poursuite pénale sur ce fondement", poursuit-il. La règle en question doit par ailleurs être prévue par une loi ou un règlement.

À ce jour, aucun dirigeant n’a vu sa responsabilité pénale engagée du fait de la contamination de ses salariés au Covid-19

Le délit d’atteinte involontaire serait lui aussi tout aussi complexe à prouver : "Cette infraction suppose que le salarié ait été infecté par le virus du Covid-19 sur son lieu de travail, du fait d’une faute de l’employeur", poursuit l’avocat. Le lien de causalité entre les deux n’est cependant pas évident à caractériser dans la mesure où les salariés sont susceptibles d’être contaminés dans d’autres endroits, comme les transports ou les supermarchés. Pour David Père, l’engagement d’une responsabilité pénale en cas de contamination doit donc être étudié au cas par cas : "Il s’agit de la responsabilité la plus lourde prévue par notre droit. Une action pénale obéit à des règles très strictes." L’une d’entre elles n’a d’ailleurs pas abouti : la plainte déposée le 31 mars par la CGT et la CFDT contre la direction d’Amazon pour mise en danger de la vie d’autrui a été classée sans suite par le procureur de la République de Douai. Le parquet a en effet considéré qu’il n’y avait pas eu de manquement délibéré à une obligation particulière de prudence ou de sécurité de la part du géant américain et que le risque de contracter le Covid-19 n’exposait pas les salariés à un risque imminent de mort ou de blessures graves. Ce qui ne veut pas dire que les entreprises doivent relâcher leur vigilance ou que le dirigeant est intouchable : sauf délégation de pouvoirs, celui-ci sera responsable pénalement de tout manquement aux règles d’hygiène et de sécurité commis dans son entreprise. "Il est toujours avisé pour les employeurs de vérifier la validité des délégations de pouvoir, afin qu’il n’y ait pas de mauvaise surprise", avertit en ce sens David Père.

Désignation d’un Covid officer

Pour gérer toutes ces nouvelles problématiques liées à la crise sanitaire, de plus en plus d’entreprises créent des postes de covid officers ou désignent en interne des salariés pour assurer cette fonction. "Ce nouveau responsable devient l’interlocuteur privilégié des salariés, des représentants du personnel et des pouvoirs publics pour répondre aux questions liées au coronavirus et suivre leur évolution", détaille François Alambret. D’après l’avocat, de nombreux dirigeants se seraient d’ailleurs mis à la recherche d’un covid officer en vue du déconfinement et du retour progressif des salariés. Une initiative qui a du sens quand on sait que les mesures d’hygiène et de sécurité actuellement en place suivent l’évolution des connaissances sur le virus.
Le 21 avril dernier, Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, annonçait par ailleurs la reconnaissance systématique et automatique de l’infection au Covid-19 comme maladie professionnelle pour les personnels soignants. "Ceux-ci pourront prétendre, sur le plan civil, à une meilleure indemnisation", explique François Alambret. Les professionnels concernés n’auront ainsi pas à démontrer qu’ils ont été confrontés à la maladie dans le cadre de leur travail.

Évolution des pratiques

À ce jour, aucun dirigeant n’a vu sa responsabilité pénale engagée du fait de la contamination de ses salariés au Covid-19. Les actions en ce sens auraient des difficultés pour aboutir, dans la mesure où le degré de contamination reste encore très élevé. Le lieu de travail n’est en effet pas le seul endroit à risques. Certains salariés entendent cependant déjà faire valoir leur droit de retrait, s’ils considèrent devoir faire face à un danger grave et imminent en poursuivant leur activité. "Le droit de retrait est un droit ancien et emblématique en droit du travail. Il est aujourd’hui très médiatisé et s’apparente à une mesure ponctuelle et d’urgence, analyse François Alambret. Si l’employeur considère que le droit de retrait n’est pas légitime, il est en mesure de suspendre la rémunération du salarié ou de le sanctionner." L’avocat en appelle donc au dialogue et au consensus, puisque la pandémie entraînera nécessairement une nouvelle évaluation des risques de contamination en entreprise. "Il est encore trop tôt pour savoir si de nouvelles normes liées à la contamination de salariés au Covid-19 seront édictées, mais de nouvelles pratiques en matière d’organisation du travail, d’hygiène et de santé émergeront très certainement", poursuivent les deux avocats de BCLP. Des enjeux de taille pour les dirigeants qui, en plus de gérer l’impact financier de la crise, devront veiller à la bonne santé de leurs salariés pour entamer la reprise la plus sereinement ­possible.

Marine Calvo

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