Marine Le Pen n'est pas la seule à tenter d'amadouer les électeurs en instrumentalisant de charmantes boules de poils. Boris, le matou de Gérald Darmanin, est un véritable cas d’école.

Le 17 juin 2022, alors que la campagne du second tour des législatives entre dans sa dernière ligne droite, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dégaine sa dernière "cartouche". En ballotage favorable dans son fief de Tourcoing, il poste sur son compte Twitter une photo de son chat Boris et d’une affiche "Dimanche, je vote Gérald Darmanin". Utiliser un chat pour séduire les électeurs. Une ficelle tout sauf spontanée.

Remontons un peu le temps et rendons-nous en janvier 2020. Le gouvernement organise un séminaire . Objectif officiel, mener à bien la réforme des retraites et aborder les grands chantiers à venir, qu’il s’agisse de l’écologie ou de la lutte contre le communautarisme. Objectif officieux, regagner de la popularité. Certains membres de l’exécutif en profitent pour donner des petits conseils pratiques. C’est notamment le cas de Gérald Darmanin, alors ministre de l’Action et des Comptes publics. Jeune, expérimenté (maire de Tourcoing et député du Nord), issu d’un milieu populaire, en partie originaire d’Afrique du Nord, capable d’exposer le macronisme de manière simple, il est une des étoiles montantes de la Macronie et ne cache pas ses ambitions. Aussi est-il écouté par ses pairs, parfois plus âgés mais avec moins de vécu politique.

"Mettez des photos de chats et de chiens, ça ira mieux"

Selon le Canard enchaîné, réputé pour la fiabilité de ses informations, Gérald Darmanin délivre à ses collègues la bonne pratique suivante : "Plutôt que de mettre des choses compliquées et techniques sur vos comptes Twitter ou Instagram, mettez des photos de chats et de chiens et, vous verrez, ça ira mieux. Vous montrerez que vous avez du cœur et de l’émotion". Pour sûr, le ministre sait de quoi il parle puisqu’il est un expert en mise en scène animalière, son chat Boris faisant partie intégrante de sa communication…

Il fait sa grande apparition sur la scène politique le 9 décembre 2017. À cette date, le compte Facebook de Gérald Darmanin, géolocalisé à la SPA de Tourcoing, divulgue la photo du chaton avec un message simple : "Faites comme moi, adoptez un animal. Je vous présente Boris, le nouveau chat du ministère des Comptes publics".  Cette adoption est peut-être liée à un désir sincère, mais elle ne peut que servir le destin politique de son maître. Dans l’opinion publique, il est trop souvent perçu comme un politicien à l’ancienne, opportuniste, coincé dans un ministère technocratique. Pas idéal pour un homme qui souhaite montrer son intimité et sa sensibilité aux électeurs. Cela tombe bien, comme l’écrit l’auteure britannique Susan Easterly, "les gens qui aiment les chats sont ceux qui ont le plus gros cœur".

L’atout cœur d’un ministre technocrate

Logiquement, Boris joue donc le rôle de l’atout cœur sur les réseaux sociaux. Entre la mise en place de l’impôt à la source, les réunions avec la direction générale des douanes et droits indirects ou la direction générale de la comptabilité publique, le ministre trouve le temps de mettre sa boule de poils à l’honneur.

"Faites comme moi, adoptez un animal. Je vous présente Boris"

Sur son compte Facebook, on peut ainsi voir Boris repu devant une affiche indiquant "Le chat a été nourri deux fois aujourd’hui, merci". Il prend également la pose devant la fenêtre du ministère avec pour légende d’illustration "Boris le chat tourquennois va participer à l’élaboration du budget 2019. Chat alors !". Le compte Twitter est également mis à contribution et permet au ministre de donner des nouvelles liées à la santé de Boris. Le 28 août 2019, le grand public apprend ainsi qu’il a été victime "d’hémorragies dues à du plomb situé dans son crâne. Hospitalisé, il reviendra au cabinet demain et sera bientôt opéré".

Attention toutefois, Gérald Darmanin n’est pas qu’un "ayatollah des chats". En bon communicant, il n’oublie pas d’envoyer des clins d’œil appuyés aux propriétaires de chiens. Son ministère, qui a autorité sur les Douanes, lui permet de poser à côté du meilleur ami de l’homme lors de la journée mondiale du chien le 26 août 2019. L’occasion pour lui d’avoir "une pensée pour nos fidèles compagnons, si précieux dans la lutte contre le trafic de stupéfiants".

Le ministre ne manque pas de faire savoir qu'il traverse la crise sanitaire confiné avec Boris pour seule compagnie

Boris est également repris par la presse grand public. Une consécration pour un chat, mais aussi pour la stratégie de communication de Gérald Darmanin : le matou est mentionné dans Le Point. En pleine épidémie de coronavirus, l’hebdomadaire dresse un portrait plutôt favorable du ministre de l’Action et des Comptes publics qui, dans une France calfeutrée est à la manœuvre, "confiné dans son appartement du sixième étage d’un paquebot de Bercy déserté par ses agents, avec pour seule compagnie, son chat Boris, le jeune homme de 37 ans se consacre à un travail de l’ombre". Dans le même état d’esprit, en pleine crise sanitaire le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a mis son cochon d’Inde Jackie en avant sur son compte Instagram. Un bel hommage à celui qui est adoubé "la personne la plus importante de la maison".

Boris est également mis en avant lors de la journée du chat le 8 août 2018, 2019 et 2020. L’occasion de poster une photo mignonne et de dénoncer l’abandon d’animaux (Boris est aussi à pied d’œuvre le 27 juin lors de la journée mondiale contre l’abandon). Une grosse ficelle de la communication politique utilisée, nous l’avons vu précédemment par Marine le Pen. Pour autant, Gérald Darmanin ne cherche pas à singer la patronne du Rassemblement national. À gauche aussi, on ne dédaigne pas mettre en avant son petit félin. Mention spéciale à Ségolène Royal qui, le 8 août 2020, diffuse sur Twitter une photo de chat assoupi accompagnée d’une légende que l’on peut qualifier de puérile : « Il chet endormi pendant que je lisais l’abécédaire d’Albert Camus. Chat intello… Trop mignon avec ses petites pattes croisées ».

Boris, nouveau chat policier

Élu prometteur, ministre efficace ; Gérald Darmanin ne pouvait que monter en grade. C’est chose faite le 26 juillet 2020. Le voici nommé plus jeune ministre de l’Intérieur de la Ve République dans le gouvernement Jean Castex. Une belle promotion qui lui permet de marcher dans les pas de son mentor Nicolas Sarkozy et de rêver à un poste plus élevé encore. Après tout, les statistiques l’attestent : Bercy et Beauvau constituent les deux meilleurs marchepieds vers l’Élysée. Sur les huit successeurs du général de Gaulle, quatre sont passés par l’Économie et trois ont occupé les fonctions de premier flic de France.

Si Gérald Darmanin lutte désormais pour stopper "l'ensauvagement d'une certaine partie de la société", il le fait avec un chat sur les genoux.

Si Gérald Darmanin lutte désormais pour stopper "l’ensauvagement d’une certaine partie la société", il le fait avec un chat sur les genoux. N’en déplaise à Jean Cocteau qui affirmait préférer les chats aux chiens au prétexte qu’il n’existe pas de chats policiers… Pourtant, comme l’atteste le successeur de Christophe Castaner sur ses réseaux sociaux personnels, "Boris a déménagé. Le voici désormais dans son nouvel environnement au ministère de l’Intérieur". Environnement dans lequel, il peut nourrir un petit sentiment de jalousie puisque son maître exhibe d’autres spécimens. Le 19 août 2020, en plus de l’annonce d’interpellations après les débordements sur les Champs Élysées suscités par la qualification du PSG en finale de ligue de Champions, le ministre relaie l’image d’un chaton du Tarn-et-Garonne coincé dans un moteur de voiture et sauvé par de valeureux policiers… De quoi détendre l’atmosphère, humaniser la police nationale et lui-même.

Tourcoing : un chat en campagne

Au-delà de la promotion de la carrière nationale de son maître, Boris s’active aussi au niveau local puisqu’il a participé à la campagne municipale de Gérald Darmanin dans son fief de Tourcoing dont il dirige l’hôtel de ville depuis 2014. La question du bien-être animal est devenue centrale pour tout candidat ? Pas de problème, Boris se met au travail. De manière originale, la communication digitale du candidat sur le sujet est conçue d’une manière telle qu’on a l’impression que c’est le chat qui détaille les mesures : création de parcs canins ou d’un cimetière pour animaux, mise en place d’une page sur le site de la ville pour signaler la disparition d’un animal, augmentation des subventions pour l’antenne SPA de la ville… Non content de relayer des promesses, les réalisations telles que l’interdiction des cirques avec animaux dans la ville sont mises en avant. Avec 450 commentaires en 24 heures, le post de Boris a fait réagir de manière plutôt positive les internautes.

C'est par l'entremise de Boris que Gérald Darmanin présente son programme en faveur du bien-être animal

Nul ne peut mesurer la contribution concrète de Boris à la campagne électorale. Une chose est certaine, elle est réussie. Avec 60,89% des voix dès le premier tour Gérald Darmanin est largement réélu. Une performance dans le camp marcheur pour qui ces premières municipales riment largement avec soupe à la grimace. Lors de la soirée électorale du premier tour (largement éclipsée par la crise sanitaire), le bon résultat de l’édile sortant est mis en avant par LREM comme la preuve de la relative bonne santé du mouvement.

C’est en partie grâce à son score aux municipales que Gérald Darmanin est promu à Beauvau. Il reçoit également un très beau cadeau : le privilège de cumuler les postes de maire et de ministre. De quoi susciter des accusations de cumul statutaire et financiers. Ce qui fait très ancien monde, convenons-en. En homme politique roué, Gérald Darmanin trouve très vite la parade en jouant la carte "ami des bêtes". Il annonce qu’il versera son traitement de 4 278,34 euros brut mensuel à la SPA de la ville, tout en promettant de ne pas percevoir la déduction fiscale de 66% autorisée par ce type de don.

Soulignons que l’utilisation d’animaux domestiques a été plus répandu que jamais durant les élections municipales de 2020. Même si Gérald Darmanin est allé loin, il n’a pas le "monopole des bêtes". Pas plus que François Mitterrand n’avait "le monopole du cœur" lors de l’élection présidentielle de 1974.

Lucas Jakubowicz

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