Christophe Roturier le répète : il n’a rien d’un idéologue. Porté sur l’action, ancré dans la réalité du terrain, il se définit comme un homme « du concret ». Et c’est à ce titre que, il y a un an, il acceptait de prendre la présidence de Max Havelaar France. Pour lui, loin d’être une utopie, le commerce équitable prouve qu’un autre modèle existe. Plus juste mais aussi plus pérenne que le système qui domine aujourd’hui.

Au départ, le rendez-vous devait avoir lieu dans un café Malongo – là où l’expresso serait à coup sûr issu du commerce équitable et l’ambiance en phase avec le sujet. Mais il est finalement fixé dans le quartier de l’Opéra, un coin de Paris que l’enseigne n’a pas encore investi, on se contentera donc d’une brasserie classique. Qu’à cela ne tienne. Christophe Roturier, président de Max Havelaar France, a été élu en avril dernier pour promouvoir le combat de l’association et porter son message et, quel que soit le contexte, c’est ce qu’il fait. Même devant un café non conforme aux engagements qui, il y a près de trente ans, amenaient un économiste, Nico Rozen, et un prêtre-ouvrier, Francisco Van der Hoff, tous deux néerlandais et dotés d’une sensibilité inédite pour l’époque aux questions d’équité économique, à créer une association à la vocation, elle aussi, inédite : « Répondre à la demande des petits producteurs d’Amérique latine qui voulaient vivre non pas de la charité des pays occidentaux mais de la vente à prix juste de leur production. » Une cause alors portée par un certain Max Havelaar, héros de roman et défenseur des petits producteurs à l’époque coloniale dont le nom, désormais, allait incarner un militantisme d’un genre nouveau en faveur d’un autre modèle. Une alternative équitable et durable au système économique actuel.

Ambition

Alternative dans laquelle  Christophe Roturier ne pouvait que se reconnaître. Lui qui, ingénieur agronome de formation, avait été sensibilisé dès l’enfance aux problématiques du monde agricole par des parents ayant connu, à la fin de la guerre, « le flux de l’exode rural » qui les conduirait, comme beaucoup d’autres, à troquer leurs terres de Vendée pour une vie à Paris. Lui qui, après des années passées dans les écrits militants de René Dumont – l’agronome engagé dès les années 1960 dans le développement rural des pays pauvres –, allait en éprouver le bien-fondé sur le terrain, lorsqu’un service de coopération passé en Côte d’Ivoire le placera au plus près des producteurs locaux, créant le déclic qui allait décider de la suite. « Lorsqu’on vit sur place pendant plus d’un an, on touche du doigt la réalité du terrain, explique-t-il. En Côte d’Ivoire, j’ai vu les problématiques liées à la production agricole : celle de l’eau potable, de l’organisation du transport des denrées, de leur prix de vente… ».

"Ce label a été crée pour apporter au consommateur la garantie que, par son achat, il contribuait à un partage plus juste de la valeur" 

À son retour, Christophe Roturier a 23 ans et, désormais, une conscience aiguë du déséquilibre à l’œuvre. Aussi, lorsqu’après deux décennies passées dans des organisations scientifiques l’opportunité lui est offerte de rejoindre Max Havelaar, il n’a pas une hésitation. « Je savais que  l’association partageait la même ambition que moi depuis des années : permettre à des petits producteurs de pays en voie de développement de vivre dignement de leur travail. » Une ambition dans laquelle certains voyaient une utopie et sur laquelle Max Havelaar avait bâti un business model…

Intérêt collectif

À la base de celui-ci : des producteurs regroupés en coopératives d’un côté, un réseau d’entreprises partageant « le même désir de faire autre chose que du profit » de l’autre et, entre les deux, une relation commerciale régie par des règles précises. Notamment par le fait que, pour obtenir le label « Fair trade » (commerce équitable) Max Havelaar, les entreprises s’engagent non seulement à respecter un prix d’achat minimum, mais aussi à contribuer au financement d’un projet d’intérêt général. Pour l’association, l’objectif est double : « instaurer un filet de sécurité pour le producteur » en le protégeant des fluctuations du marché mais, aussi, aider au développement local en versant à sa coopérative – l’association en compte aujourd’hui une centaine qui, elles-mêmes, regroupent 1,6 million de producteurs – une « prime au développement » que celle-ci utilisera librement « dans l’intérêt du collectif ». Un argument qui, pour Christophe Roturier, fait toute la différence. « Ce label a été créé pour apporter au consommateur la garantie que, par son achat, il contribuait à un partage plus juste de la valeur d’une part, explique-t-il, et à la réalisation de projets profitant à la collectivité d’autre part. » Que ce soit la construction d’un puits, l’ouverture d’une école ou l’amélioration des capacités de production locales, peu importe, tant que cela sert l’intérêt collectif ; cette notion que, dès sa création, près de trente ans avant la loi Pacte, l’association plaçait au cœur de son mode de fonctionnement.

Convergence des problématiques

Celle qui pousse Christophe Roturier à la rejoindre, d'abord en tant que directeur du développement et de la mobilisation, puis comme président par intérim, avant qu’il ne la quitte un temps pour un poste de directeur scientifique au sein de WWF. Là-bas, il trouve « la même convergence des problématiques environnementales, économiques et sociales que chez Max Havelaar ». La seule qui vaille, estime-t-il, lorsqu’on entend faire du commerce équitable non pas un vœu pieux ou un argument marketing mais la preuve tangible qu’« un autre paradigme est possible ». Pour lui, c’est cela le commerce équitable : « Un laboratoire grandeur nature qui atteste du fait qu’un autre modèle existe, qu’il est pérenne et pourtant fondé sur des relations équilibrées entre consommateurs, producteurs et distributeurs. Sans qu’un des maillons de la chaîne ne cherche à capter l’essentiel de la valeur. » Un juste équilibre que le consommateur défend à travers son acte d’achat, tout comme le système économique qui en découle et dont la viabilité, rappelle Christophe Roturier, est désormais avérée. D’où son choix de réintégrer Max Havelaar il y a quatre ans. D’abord comme vice-président aux affaires internationales puis, l’an dernier, en tant que président. Un engagement qui, pour lui, s’imposait…

"C'est une évidence : un autre système doit émerger. Le commerce équitable peut l'incarner"

Plan B

« Quand on sait qu’aujourd’hui 50 % des richesses du monde sont captées par 1 % de la population mondiale et que 70 % de cette même population vit dans un pays où les inégalités se sont creusées au cours des trois dernières décennies, on comprend que le modèle actuel n’est pas pérenne, argumente-il. Qu’il est organisé de manière à concentrer la richesse vers un nombre très réduit de personnes et qu’il le fait en exploitant les ressources naturelles de façon irraisonnée. Pour éviter le mur annoncé, c’est une évidence : un autre système doit émerger que le commerce équitable peut incarner. » Non pas en tant que remède miracle, mais en tant qu’alternative concrète. « Le fait que nous soyons sortis du déni constitue déjà une avancée, estime Christophe Roturier. Reste à convertir la prise de conscience en levier d’action. » Un pas décisif que le label Max Havelaar incite à franchir au quotidien, affirme son président qui poursuit : « Une enquête a montré que le consommateur est de plus en plus attentif à ce qui touche le producteur. Qu’il a de plus en plus le souci de ce que son acte d’achat induit et qu’une culture de l’équité émerge. » Signe, selon lui, qu’un basculement est à l’œuvre. Et pour ceux qui en douteraient encore, il y a les chiffres. Ceux, sans appel, des ventes de produits Max Havelaar qui, en 2018, représentaient 742 millions d’euros en France et 8,5 milliards dans le monde. Soit 25 % de plus que l’année précédente. Peut-être pas de quoi sauver la planète de tous ses maux, mais clairement de quoi suggérer l’existence d’un Plan B.

Caroline Castets

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