La traversée du désert aura été de courte durée pour l’ancien ministre de l’Intérieur qui succède à Gilles Le Gendre à la tête du groupe LREM à l’Assemblée nationale. Retour sur une élection réussie et sur les défis qui l’attendent.

Débarqué du ministère de l’Intérieur lors de la nomination de Jean Castex à Matignon, Christophe Castaner n’est pas resté longtemps "simple député des Alpes de Haute-Provence". Le 10 septembre, il a été élu par ses pairs à la tête du groupe LREM à l’Assemblée nationale à la place du député de Paris Gilles Le Gendre, plombé par une forte contestation interne lui reprochant un manque d’écoute et un certain mépris. Tout sauf un cadeau puisqu’il lui échoit la mission de redonner confiance à un groupe parlementaire en plein doute, alors que la présidentielle de 2022 approche à grands pas. Une mission pour laquelle il semble taillé sur mesure.

CV cohérent

"Le poste de président du groupe majoritaire n’est pas un poste honorifique ou une sinécure. Il nécessite une compréhension parfaite des arcanes du Parlement, une connaissance individuelle des députés, de leurs attentes, de leurs envies, mais aussi une influence au sein de l’exécutif", souligne Christophe Bellon, spécialiste de l’histoire parlementaire et enseignant à Sciences Po et à l’université catholique de Lille.

Pour reprendre un terme utilisé par certains recruteurs, un bon président de groupe doit être un mouton à cinq pattes. Ce qui semble être, sur le papier, le cas de Christophe Castaner qui connaît bien la mécanique parlementaire puisqu’il est député depuis 2012 et a été aux manettes du secrétariat d’État aux Relations avec le Parlement de mai 2017 à octobre 2018. En parallèle, il a occupé le poste de délégué général de LREM, ce qui permet à ce marcheur de la première heure de se placer comme "macroniste historique mais expérimenté", un atout loin d’être négligeable pour un groupe constitué en grande partie de novices entrés en politique pour suivre Emmanuel Macron.

"Le groupe est constitué en grande partie d'élus issus de zones rurales ou semi-rurales qui se reconnaissent peu dans une direction trop parisienne"

Caroline Abadie, députée LREM de l’Isère, évoque également "l’ancrage local" de Christophe Castaner. Un point qui a son importance puisque "le groupe est constitué en grande partie d’élus de zones rurales ou semi-rurales qui se reconnaissent peu dans une direction trop parisienne que pouvait incarner Gilles Le Gendre ou Aurore Bergé, principale rivale lors de cette élection interne." Une carte de poids que le candidat ne s’est pas privé d’abattre lors de la campagne. Influence politique, ancrage local, expérience… Si le cursus honorum peut sembler en adéquation avec le poste, il ne suffit pas à remporter la mise.

Loyalistes contre autonomistes ?

Les connaisseurs des arcanes du Palais-Bourbon le savent, une campagne pour la présidence de groupe n’a rien à voir avec un scrutin au suffrage universel. Les voix doivent aller se chercher une à une, au forceps. "Pas de quoi effrayer Christophe Castaner qui a multiplié coups fil et réunions Zoom avec les députés, passant parfois entre 45 minutes et une heure avec chacun d’entre eux, soit bien plus que ses concurrents", témoigne la députée Caroline Abadie qui fait partie de ses soutiens. Soutiens qui, par ailleurs, proviennent autant des macronistes de droite que de gauche. L’ancien député PS a ainsi pu compter sur l’appui de Marie Lebec, influente chez les anciens LR.

Au-delà du travail de persuasion, deux lignes politiques se sont affrontées au cours de l’élection. Si l’ancien ministre de l’Intérieur a joué la carte de la fidélité et de la loyauté, sa principale rivale, Aurore Bergé, députée des Yvelines et ancienne militante LR, a préféré défendre un groupe susceptible de proposer, mais aussi d’être davantage dans une optique de poil à gratter. En interne, certaines mauvaises langues estiment que, si elle était entrée au gouvernement comme elle l’espérait, son positionnement aurait été différent... Ce qui est sûr, c’est que 'le duel entre les partisans d’un groupe plus autonome et ceux d’un groupe en soutien sans faille du gouvernement est un classique de ce type de campagne", souligne Christophe Bellon.

"Christophe Castaner est parfois resté une heure pour écouter et convaincre un député, plus que ses concurrents"

Fébrilité d’entre deux tours

Comme le prédisaient les pronostics, Christophe Castaner a viré en tête dès le premier tour avec 97 voix contre 81 pour Aurore Bergé, un score qui peut surprendre les observateurs extérieurs qui la connaissent surtout pour sa forte présence sur les réseaux sociaux et son côté girouette (elle a soutenu successivement Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon). "En plus d’une campagne dynamique, elle a su capitaliser sur les doutes d’un groupe parlementaire qui a utilisé le vote Bergé comme un vote sanction. Certains députés ont voté pour elle au premier tour, sans la suivre au second en signe de ras-le-bol", analyse Caroline Abadie. Ce qui n’a pas empêché la députée des Yvelines d’obtenir au second tour le ralliement de François de Rugy, troisième homme de la campagne et potentiel faiseur de roi.

"Une alliance qui a poussé les partisans de Castaner à se mobiliser jusque tard dans la nuit", se remémore Caroline Abadie qui évoque "des heures passées à téléphoner, stabiloter, remplir des tableaux Excel dans le bureau du candidat". Si la fébrilité était au rendez-vous, la députée de l’Isère rigole en soulignant que "le seul à rester calme, c’était le candidat lui même, qui en a probablement vu d’autres Place Beauvau". La mobilisation tardive paie puisque, Christophe Castaner remporte la partie avec 55% des suffrages et marche dans les traces de Charles Pasqua ou Pierre Joxe, passés de l’Intérieur à la présidence de groupe.

Câlinothérapie

Pour Christophe Castaner, le plus dur commence. Sa tâche prioritaire est de stopper l’hémorragie qui règne dans le groupe : entre départs au Modem, création de groupes parlementaires de macronistes de gauche ou de macronistes de droite, le groupe fond comme neige au soleil. S’il reste de loin le plus nombreux de l’Assemblée avec 270 membres ; ils étaient 307 après les législatives de 2017. Le point commun à ces départs ? Bien souvent l’impression de ne pas pouvoir débattre, décider, influencer. "La fuite de députés est surtout liée à des questions de forme plus que de projets puisque, dans l’immense majorité, les députés qui ont quitté le groupe continuent à soutenir l’action du gouvernement".

Le groupe est passé de 307 à 270 membres depuis 2017

Pour stopper la saignée, Christophe Castaner s’est engagé à mieux laisser les différentes sensibilités s’exprimer. S’il peut être critiqué sur de nombreux points (notamment son bilan gouvernemental), son groupe semble reconnaître sa capacité à dialoguer. "Sa marque de fabrique c’est d’écouter, de changer son avis préalable, de sortir des dogmes et je pense que c’est ce dont nous avons besoin", reconnaît Caroline Abadie. Son côté "roué" et "politicien", dans le bon sens du terme, devrait lui permettre de ressouder le groupe en utilisant la câlinothérapie, en donnant des missions ou en commandant des rapports à des députés qui se sentent parfois inutiles. Ce qui pour le moment semble marcher puisque plusieurs députés, supposés sur le départ sont finalement restés à bord du vaisseau LREM.

Lucas Jakubowicz

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