Responsable de la découverte des agents infectieux de l’épidémie du Sras en 2003, Christian Drosten est l’un des virologues les plus influents de la planète. Apprécié pour sa capacité à communiquer clairement autant que pour sa transparence et sa rigueur, écouté et respecté, il s’impose rapidement comme l’une des figures scientifiques incontournables de cette nouvelle crise. Celui que les citoyens allemands écoutent et celui que le gouvernement d’Angela Merkel consulte.

À 48 ans, Christian Drosten dirige l’Institut de virologie de l’hôpital de la Charité à Berlin, centre de recherche en santé publique devenu le laboratoire universitaire de référence sur les coronavirus. Ce scientifique de renom est aussi celui que le gouvernement allemand, Angela Merkel en tête, consulte en priorité sur le Covid-19. Il est désormais une figure prééminente de la lutte pour contrer la pandémie et est devenu un expert recherché des plus hautes autorités. Il a aussi su établir un lien direct avec l’opinion allemande en lançant un podcast quotidien fin février "Das Coronavirus-Update" qui bat des records d’audience.

Rigueur et réalisme

Quand, en 2003, son équipe est la première à identifier le virus du Sras, Christian Drosten rend immédiatement publiques ses recherches, avant même leur publication dans la presse scientifique. Engagé sur le front du Covid-19, il défend une approche basée sur la transparence. Son apport majeur dans le plan national de gestion de crise est unanimement salué. Début janvier, avant que le premier cas ne se déclare en Allemagne, son équipe a travaillé en un temps record à la mise au point d’un test de dépistage du Covid-19, disponible dans le monde entier dès la mi-janvier. Bien qu’étant l’un des pays les plus touchés en Europe, l’Allemagne affiche un taux de létalité particulièrement bas. La disponibilité rapide du test et la campagne massive de dépistage ont été les piliers du management allemand de la crise; l’Institut de virologie sa pierre angulaire. La réponse sanitaire de l’Allemagne est considérée comme exemplaire et l’opinion publique découvre le visage de Christian Drosten. Il est sur tous les fronts. Il clarifie, anticipe, conseille et surtout démystifie et rectifie. Le virologue est réaliste et rigoureux. Il est également celui qui défend un déconfinement lent et prudent alors que nombre de voix appellent une reprise rapide des activités. Alors que l’emphase médiatique est peu de mise en Allemagne, le virologue y est décrit comme un "guide", un "héros national". Il est l’expert dont la chancelière allemande prend l’avis et celui aux mots duquel l’opinion publique est suspendue. Dans cette crise, il démontre sa propension à informer simultanément le pouvoir fédéral et le plus grand nombre. Du simple citoyen aux plus hautes autorités, tous ont accès à une information commune, transparente, rigoureuse. Son engagement contre la létalité du virus le rend extrêmement inquiet quant à une version rapide du déconfinement. Le précipiter, à l’instar de plusieurs Länders, pourrait avoir pour conséquence que le pays soit "sur le point de perdre complètement son avance sur la maladie"

 Le paradoxe de la prévention

Christian Drosten est celui qui a défini le premier "le paradoxe de la prévention", prévalant dans la phase actuelle de la crise: "Avec les indicateurs plutôt à la baisse et la nonsaturation du système hospitalier, les gens estiment qu’on en a trop fait. Il existe une pression politique et économique à revenir à la normale." Partisan d’un déconfinement très progressif – "théoriquement la méthode la plus sûre" –, il évoque ses doutes quant aux mesures de retour à la vie économique qu’il considère trop hâtive. Le virologue continue de plaider pour le maintien des restrictions jusqu’à ce que le virus "disparaisse". Étant donné sa constitution fédérale, les seize Länders disposent de pouvoirs pour décider localement des mesures de précaution, même si elles sont encadrées par un plan national. Le ton est désormais à la contestation de l’application du principe de précaution défendu par le scientifique. Plusieurs gouvernements régionaux ont décidé d’un calendrier accéléré de reprise des activités et la position de Drosten est depuis quelques jours très critiquée par certains médias ou factions politiques. Face aux attaques, il rappelle: "Je ne suis pas un politicien, je suis un scientifique. Je peux expliquer en tant que virologue certaines choses. D’autres aspects n’entrent pas dans ma zone de compétence. Je n’ai aucun mandat politique." Ce rôle de Cassandre qu’il n’a pas choisi mais qu’il assume l’a propulsé ces dernières semaines au rang des figures scientifiques majeures de la crise, en Allemagne comme sur la scène internationale.

"Je peux expliquer certaines choses en tant que virologue, mais je n'ai aucun mandat politique"

Le fond et la forme

Christian Drosten a dirigé les recherches menant aux découvertes durant l’épidémie du Sras en 2003 et son institut universitaire est le premier à mettre au point un test de dépistage Covid-19 en Occident. Les innovations sont là, mais aussi dans sa capacité à communiquer avec le public. Pour lui, les découvertes doivent être partagées avec le plus grand nombre, de manière transparente, afin que tous puissent se faire une idée de la situation. À la fin février, il lance en collaboration avec la radio publique NDR, un podcast quotidien – "Das Coronavirus-Update" – désormais suivi par plusieurs dizaines de milliers d’Allemands. Il y décode les informations, les commente et aborde de manière simple et objective la nature des enjeux pour l’humanité. Deux épisodes auront suffi pour qu’il devienne le podcast Apple le plus écouté d’Allemagne. Tout au long de ce programme quotidien de 30 minutes, le virologue répond aux questions de journalistes scientifiques mais également à celles posées par les auditeurs.

"Pour certains, je suis l'oiseau de mauvais augure en train de ruiner l'économie"

Sa démarche est celle d’un scientifique méticuleux, qui connaît par le menu les dernières recherches, formule des hypothèses et questionne sans cesse l’état actuel de la connaissance sur ce virus. Son honnêteté est saluée car il n’hésite jamais à reconnaître ce qui n’est pas connu. Il le sait, son honnêteté intellectuelle ne rencontre pas toujours un écho positif: "Pour beaucoup, je suis l’oiseau de mauvais augure en train de ruiner l’économie", lâche-t-il.

Prudence

Christian Dorsten est un scientifique ancré dans la mesure des faits. Pour lui, la gestion du risque passe par la capacité du pays à juguler l’inflation des indicateurs de virulence de la pandémie. En proie au "paradoxe de la prévention", il est partisan d’un déconfinement très progressif et redoute une seconde vague de pandémie. Les décisions de reprise rapide de l’activité économique lui paraissent de nature à provoquer une seconde explosion épidémique catastrophique pour le pays. À ce jour, le virus n’est pas vaincu et personne ne peut augurer des défis qui attendent non seulement l’Allemagne, mais le monde entier. Le gouvernement manifeste une grande confiance envers les conseils du virologue. Christian Drosten est indéniablement devenu l’un des plus éminents scientifiques engagés dans cette crise. Dans un pays frappé de plein fouet par la pandémie – provoquant sidération générale, surenchère de l’information et surchauffe des débats – l’honnêteté singulière et sans ambages de Christian Drosten aura certainement joué un rôle déterminant dans le respect général que les Allemands ont eu des mesures de confinement et dans le maintien actuel d’un débat national nourri mais dépassionné.

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