En faisant de la Chine non plus un marché à conquérir mais une menace à circonscrire, Donald Trump bouscule une fois de plus l’ordre établi et menace les équilibres. Ceux de son propre marché, et ceux des marchés européens.

La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine est un jeu à haut risque économique mais à gain politique immédiat pour le président américain qui, par ses positions radicales, tient ses promesses de campagne et répond aux attentes de son électorat. À se demander si, derrière la démonstration de force et l’escalade protectionniste, ne se jouent pas des enjeux plus géopolitiques que commerciaux.

Donald Trump en avait fait une promesse de campagne : s’il était élu, il engagerait un bras de fer avec la Chine. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a tenu parole. Depuis près d’un an et demi, fidèle à son engagement et à sa volonté assumée de remettre en question le dogme du libre-échange, le président américain multiplie les attaques envers Pékin, qui ne manque pas de riposter. De quoi alimenter une escalade qui, fin mai, prenait une tournure inquiétante lorsque, après les tweets rageurs et le relèvement des taxes à l’importation, il décidait de frapper un grand coup en déclarant Huawei, champion chinois de la téléphonie mobile, « entreprise dangereuse pour la sécurité nationale ». Une mesure de bannissement économique (impossible désormais pour toute société américaine de commercer avec le géant chinois) officiellement justifiée par des soupçons d’espionnage qui, au vu de la surenchère récente entre les deux pays, a toutes les chances de déboucher sur une riposte musclée de la Chine, faisant de la bataille des derniers mois une véritable guerre commerciale dont les effets collatéraux ne manqueront pas d’impacter l’Europe. Reste à comprendre les raisons d’un acharnement protectionniste dans lequel les États-Unis pourraient, à terme, avoir autant à perdre qu’à gagner.

Make America Great Again

Pour François Durpaire, membre du laboratoire Bonheurs de l’université de Cergy et historien spécialiste des États-Unis, la démarche relèverait plus de l’ambition politique que de la stratégie économique.

« Le bras de fer qui oppose les États-Unis à la Chine va bien au-delà d’un conflit commercial ou technologique, estime-t-il. On est dans un moment historique de tensions entre une puissance émergente et la première puissance mondiale dont l’enjeu est clairement une question de pouvoir géopolitique. » Pour l’expert les choses sont claires : « Trump ne veut pas d’un monde post-americain ». Autrement dit, d’un monde où le leadership mondial des États-Unis serait battu en brèche, remis en question par l’explosion d’autres puissances. « Donald Trump ne veut pas d’une deuxième ou même troisième place derrière la Chine et l’Inde », explique l’historien qui rappelle que toute sa campagne reposait sur cette promesse : « Make America Great Again ». « Tout l’enjeu de ses mesures protectionnistes est là : dans sa volonté de redonner sa puissance d’avant à l’Amérique. »

Entrée en campagne

Et pour y parvenir, le président n’entend pas se cantonner à des mesures de soft power ; ni même d’ailleurs de smart power, ce subtil mélange de lutte d’influence et d’interventions ciblées. Il se place dans l’affrontement. D’une part parce que c’est ce qu’il maîtrise le mieux – lui, l’homme d’affaires aguerri à la négociation brute –, d’autre part « parce que c’est ce qu’attend sa base électorale », souligne François Durpaire qui en est convaincu : on assiste ici à une entrée en campagne.  

"Il est clair que Donald Trump est en plein lancement de campagne et qu'il a fait de la politique commerciale un argument électoral"

« Il est clair que Donald Trump est en plein lancement de campagne et qu'il a fait de la politique commerciale un argument électoral »analyse l’expert pour qui la lutte engagée avec la Chine vise avant tout à adresser un message fort à ses électeurs. « Par ces décisions, il leur dit : je suis volontariste, je suis fidèle à ma base et à mes promesses et je suis singulier. » Traduction : ce que je fais pour mon pays, personne d’autre ne l’a fait, ni au sein de mon propre camp, ni chez mes adversaires. « Le message est : le monde d’avant bradait les intérêts de l’Amérique, moi non ! J’ai rétabli les frontières, je protège les entreprises… Je résiste », décrypte François Durpaire pour qui le fait que la bataille dans laquelle il s’est engagé soit « sans possible vainqueur sur le plan économique » importe peu. L’essentiel est ailleurs. Dans la démonstration de force et la fermeté affichée. « Ce qui se joue aujourd’hui c’est une guerre géopolitique avec des conséquences économiques néfastes », poursuit l’historien pour qui ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le premier chef d’accusation reproché à Huawei n’est pas l’espionnage, mais les relations du groupe avec l’Iran.

Levier politique

« Donald Trump use de l’économie comme d’un levier politique, poursuit l’historien. Pour lui, tout est question de puissance nationale et de pouvoir. » Et même si les effets économiques à long terme risquent de pénaliser les entreprises américaines et que ceux déjà enregistrés restent à portée limitée (à en croire la Chambre de commerce américaine en Chine, seules 6 % des entreprises américaines basées en Chine envisagent pour l’heure de se relocaliser aux États-Unis)  le gain politique est, lui, indiscutable. « Trump est aujourd’hui à 48 % d’opinions favorables, rappelle-t-il. Cela peut suffire à le faire réélire. »

En attendant, il est clair que la stratégie déployée pour y parvenir crée de l’incertitude sur le marché mondial, bousculant les équilibres et faisant souffler un relent de guerre froide sur les relations internationales. Et difficile désormais pour les gouvernements européens de se dire : « plus qu’un an »... Le fait que, contrairement aux pronostics des premiers temps, le président américain soit toujours en poste et qu’il ait des résultats économiques, crédibilise la posture. Et incite vivement à s’habituer au style.

Caroline Castets

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