Fondateur de deux entreprises solidaires et créatrices de lien (Emmaüs Défi qui œuvre pour la réinsertion des personnes issues de la grande exclusion et Lulu dans ma rue, plateforme de micro-entrepreneuriat destinée à combattre l’isolement), Charles-Édouard Vincent, expert en économie sociale et utopie créative, témoigne de la force de la passion lorsqu’elle est partagée et des limites de la rationalité lorsqu’il s’agit d’innover. Inspirant.

Décideurs. À chacun sa définition du succès, quelle est la vôtre ?

Charles-Édouard Vincent. Avant de m’investir dans la création d’Emmaüs Défi, j’occupais un poste passionnant et rémunérateur qui, pourtant, ne me rassasiait pas. Mon arrivée chez Emmaüs a modifié ma vision du succès. Ici, on accompagne vers la réinsertion des gens en situation de grande exclusion et le taux d’échec est élevé. Mais, pour moi, l’essentiel n’est pas dans le nombre de personnes sorties de la rue mais dans le fait que, avec cette structure, on lutte contre une fatalité ; qu’on puisse, à un instant T, croire qu’un autre avenir est possible et se battre pour lui. Dans cet univers, la notion de ­succès relève moins du résultat que du ­combat mené ­collectivement pour l’atteindre.

Pourquoi cet engagement dans l’univers du social et de la solidarité ?

J’ai toujours été très sensible aux enjeux de la grande exclusion. Un jour je me suis dit que je pourrais mettre mes compétences au service de cette cause qui m’interpellait chaque jour dans le métro. Cela a commencé en 2007 avec Emmaüs Défis qui s’occupe de réinsertion puis Lulu dans ma rue, que j’ai créé il y a quatre ans pour lutter contre l’isolement et le cloisonnement de nos sociétés via un service de conciergerie de quartier grâce auquel chacun (retraités, étudiants, chômeurs…) peut proposer de menus services : bricolage, ménage, garde d’animaux, baby-sitting… Dans les deux cas l’idée est d’amener chacun à retrouver une place digne dans la société tout en contribuant à rendre la ville plus inclusive.

Quels obstacles sa réalisation vous a-t-elle amené à surmonter ?

Avec Emmaüs Défi comme avec Lulu, nous avons créé une utopie, une pure innovation sociale. Il n’y avait pas d’existant, pas de modèle. Il fallait donc que nos convictions deviennent contagieuses pour que les portes s’ouvrent ; convaincre de l’utilité des projets, faire face à d’innombrables difficultés juridiques, lever des fonds… La mise en œuvre opérationnelle s’est avérée extrêmement complexe.

Sur quel système de valeurs avez-vous bâti votre réussite ?

À la base de ces deux aventures, il y a bien sûr une valeur de solidarité, un désir d’inclusion et une volonté forte de réconcilier l’économie et le social en mettant la première au service du second. C’est en gagnant son propre argent qu’on retrouve non seulement une autonomie mais aussi une estime de soi ; c’est pourquoi je suis convaincu que l’économie est un vecteur essentiel de reconstruction des personnes, un outil extrêmement puissant lorsqu’il est mis en phase avec le social.

La passion a-t-elle été pour vous un ­moteur de réussite ?

Dans mon cas, elle a été plus qu’un moteur ; elle a été la clé. Pour Emmaüs Défi comme pour Lulu dans ma Rue, la raison aurait voulu qu’on renonce avant même d’avoir commencé car aucun de ces projets n’était « raisonnable ». Le fait qu’ils se soient tous deux concrétisés, Emmaüs Défi est devenu le premier acteur parisien de ré-emploi et le chiffre d’affaires de Lulu atteignait 3 millions d’euros l’an dernier, prouve que le rêve et la passion sont une source d’énergie phénoménale. Et, dès lors qu’ils sont partagés, un levier de réussite qui permet de soulever des montagnes.

Quel message aimeriez-vous transmettre aux décideurs d’aujourd’hui ?

Nos sociétés, et nos entreprises en sont le reflet, sont de plus en plus tournées vers ­l’efficacité et le rendement, soumises au broyeur de la rationalité. Dans ce contexte je pense qu’il y a urgence à réintroduire du rêve, de la passion, de l’humain et du doute dans nos vies d’entrepreneur. C’est de l’envie partagée et de la part de rêve que découle le changement ; pas des business plans.

Propos recueillis par Caroline Castets

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail