Magistrat de carrière et spécialiste de la délinquance en col blanc, Charles Duchaine est nommé le 17 mars 2017 directeur de l’Agence française anticorruption (AFA) créée par la loi Sapin 2. Rattachée aux ministères des Finances et de la Justice, l’Agence a pour mission principale de contrôler la mise en place des programmes anticorruption dans les entreprises de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires dépasse les 100 millions d’euros.

Décideurs. Quel message souhaitez-vous véhiculer aux chefs d'entreprise au travers de vos actions ? 

Charles Duchaine. Qu’ils n’ont pas d’autre choix que celui de croire en cette loi. La loi Sapin 2 n’est que la retranscription en droit interne d’autres réglementations qui existent déjà ailleurs dans le monde et auxquelles ils sont exposés. Je comprends que ces nouvelles obligations puissent être vécues comme une exigence supplémentaire, mais nous faisons en sorte de ne pas ajouter des contraintes inutiles aux entreprises. Nous appliquerons les textes avec intelligence, de façon à ce que notre action constitue une plus-value. Dans un contexte de globalisation, il est nécessaire que les sociétés comprennent qu’elles ne peuvent pas échapper aux règles. C’est également une chance pour elles d’avoir une loi leur permettant d’avoir une autorité nationale qui puisse les aider. Être contrôlé, c’est être aidé d’une certaine manière car lorsqu’une entreprise n’est pas inspectée dans son pays d’origine, elle risque de se faire reprendre ailleurs avec moins d’objectivité. En revanche, si nous contrôlons bien nos entreprises, elles bénéficieront d’une meilleure réputation à l’étranger.

Les seuils prévus par la loi Sapin 2 sont-ils en phase avec la réalité économique de la vie des entreprises ?

Au-delà du seuil de l’article 17, la lutte anticorruption concerne tout le monde. Bien évidemment, les risques pour une PME ne sont pas les mêmes que pour une multinationale. Les mesures à prendre et les dispositions à mettre en place ne sont ni de même nature ni de même importance. Le seuil de 500 salariés et un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros permet déjà d’appréhender beaucoup de monde, d’autant plus que nous pouvons également contrôler les sociétés qui n’atteignent pas ces seuils mais qui appartiennent à un groupe qui lui les atteint.

« Il est impératif que les standards adoptés par la France soient aussi exigeants que ceux retenus à l’étranger »

Quelles sont les interactions de l'Agence avec le Parquet national financier (PNF) ?

L’article 40 du code de procédure pénale impose à tout fonctionnaire ou tout officier public de dénoncer au parquet compétent toutes les infractions constatées dans le cadre de ses fonctions. Nous mettrons cette obligation en œuvre dès lors que nous aurons matière à le faire, que ce soit auprès du PNF ou des autres parquets, en fonction de leurs compétences. À l’Agence française anticorruption (AFA), nous sommes chargés par la loi de l’exécution de deux mesures : la peine de soumission d’une personne morale à un programme de conformité anticorruption et la convention judiciaire d’intérêt public. Pour la première, nous veillerons à son exécution et en rendrons compte au parquet qui aura obtenu son prononcé. Nous serons également chargés de mettre en œuvre les conventions judiciaires d’intérêt public qui auront été conclues avec les parquets et validées par les présidents de juridiction. Ce sont ici nos deux relations institutionnelles avec le parquet inscrites dans la loi. Nous en aurons probablement d’autres car d’expérience, il ne me paraît pas concevable que la relation entre l’entreprise et le parquet puisse se faire autrement que par notre intermédiaire dans un certain nombre de cas. Ce n’est pas une prérogative que je revendique, mais nous serons au contact des entreprises et fatalement exposés à jouer ce rôle à un moment ou à un autre.

Certains voient l'AFA comme une copie du Department of Justice (DoJ). Que leur répondez-vous ? 

L’AFA ne pourra jamais être une copie du DoJ pour la simple et bonne raison qu’elle n’a pas de pouvoir judiciaire. Et quand bien même elle l’aurait, elle ne sera pas une copie car ses agents sont présents pour faire respecter un certain nombre de lois et de principes dont notamment celui universel du non bis in idem : nul ne peut être jugé deux fois pour le même délit.

« Au-delà du seuil de l’article 17, la lutte anticorruption concerne tout le monde »

Justement, pensez-vous que la règle non bis in idem puisse être mieux appliquée au niveau international en matière de lutte contre la corruption ?

Juger deux fois une même entreprise me paraît contraire aux principes les plus élémentaires et j’ai du mal à concevoir que l’on puisse le faire dans les affaires lucratives alors qu’on ne le fait pas dans les affaires impécunieuses. Le principe non bis in idem figure implicitement à l’article 4-3 de la convention de l’OCDE. En cas de compétence concurrente entre différents États, ces derniers doivent convenir des modalités selon lesquelles les poursuites seront engagées. Ce principe ne semble pas encore appliqué et il sera nécessaire d’imposer son application.

Concernant les sanctions, comptez-vous vous aligner sur les montants infligés par les autorités américaines ?

 La loi Sapin 2 a été inspirée par d’autres modèles, américain et anglais notamment, mais sans en être une copie. Si l’on ne veut pas que les entreprises françaises soient exposées à l’étranger, il est impératif que les critères et les standards adoptés par la France soient au moins aussi exigeants que ceux retenus par les pays étrangers, dès lors qu’ils ne vont pas à l’encontre de notre droit et de nos principes. On peut également ajouter des exigences qui nous sont propres. Adopter dans notre régime ce qui existe ailleurs et qui fonctionne bien, relève d’une volonté d’efficacité. Concernant les pénalités, la proportionnalité des peines est un principe universel. La loi prévoit que les sanctions prononcées sur un plan administratif par la commission spécialisée seront d’un maximum de 200 000 euros pour les personnes physiques et d’un million d’euros pour les personnes morales. Je ne suis pas persuadé que ce soit très dissuasif. En revanche, le montant des sanctions prononcées dans le cadre de la Convention judiciaire d’intérêt public pourra atteindre les 30 % du chiffre d’affaires d’une entreprise, calculé sur les trois derniers exercices, ce qui est déjà beaucoup plus dissuasif. Je tiens cependant à rappeler que l’objectif de l’AFA n’est pas d’enrichir l’État français, mais de prévenir et si besoin de sanctionner administrativement les comportements déviants.

Pensez-vous que la création d’une agence anticorruption à l’échelle européenne est envisageable ?

Je ne suis pas persuadé que ce soit nécessaire ni même souhaitable. Je suis personnellement très attaché au principe de souveraineté et je ne suis donc pas favorable à la création d’une agence européenne. En revanche, il est important que chaque État se dote de sa propre agence anticorruption afin notamment de faciliter la coopération entre les pays et de mener des procédures communes.

 

Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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