Alors que bon nombre se réjouissent du sort de la loi Avia, cet échec interroge sur la fragilité des contrôles de contenus diffamants, et plus généralement violents sur internet. Il existe un inquiétant décalage entre une certaine inefficacité des outils juridiques existants et la banalisation de la haine en ligne, terrain sur lequel la lenteur des réactions ,voire l’inaction, des réseaux sociaux reste à déplorer.

Après avoir durablement suscité l’inquiétude de nombre de ses détracteurs, la loi contre les contenus haineux sur internet (dite loi Avia), qui devait entrer en vigueur le 1er juillet, a finalement été censurée en quasi-intégralité par le Conseil Constitutionnel le 18 juin 2020. Sont principalement en cause : la détermination du caractère illicite du contenu, qui reposait sur la seule appréciation des plateformes et de l’administration sans passer par le juge, et le délai très court de 24 heures à compter du signalement qui était donné pour le faire.

Pour le Conseil, il s’agit d’un élément suffisant pour créer une incitation pure et simple à retirer tous les contenus signalés. Il a ainsi été considéré que la loi portait une atteinte disproportionnée au droit fondamental de la liberté d’expression consacrée par l’article 11 de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Rappelons que la définition de cette liberté d’expression est « la libre communication des pensées et des opinions […] : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Pourtant, la loi contre les contenus haineux sur internet semblait être une réponse attendue à une situation de plus en plus délétère sur les réseaux. Dans son rapport de modération daté de mai 2020, Facebook indique avoir supprimé près de 2,3 millions de contenus relevant du cyberharcèlement et 9,6 millions de contenus haineux sur les trois premiers mois de l’année. Twitter a quant à lui reçu 5,5 millions de signalements de contenus haineux sur le premier semestre 2019 mais n’en a supprimé que 580 000. Des contenus violents qui souvent font resurgir des idées xénophobes, homophobes et antisémites, parfois difficiles à maîtriser. Or, il est nécessaire de contrôler ces propos et images violents, surtout quand ceux-ci touchent les plus jeunes sur des réseaux comme Snapchat ou TikTok. En particulier lorsque ceux-ci font parfois l’objet de harcèlement, un phénomène indispensable à maîtriser rapidement.

Ce que dit la loi (pour l’instant)

Dans ce contexte, les outils juridiques de lutte contre la haine sur internet sont parfois peu adaptés. Leurs fondements sont les suivants :

La loi sur la liberté de la presse de 1881 qui vise l’injure et la diffamation, la provocation aux agressions physiques et sexuelles, l’apologie et la contestation des crimes contre l’humanité, l’apologie de l’esclavage, la provocation à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap.

Le Code Pénal qui prévoit les infractions de harcèlement sexuel, diffusion d’images d’un mineur à caractère pornographique, diffusion de message à caractère pornographique susceptible d’être vu par un mineur.

Le Code Civil qui vise l’atteinte à la vie privée et le respect droit à l’image.

Ces outils demeurent difficiles à mettre concrètement en œuvre alors que par nature, les infractions commises sur le web requièrent un traitement dans l’urgence. Pour permettre la condamnation de ces infractions, le juriste dispose de la plainte simple, de la plainte avec constitution de partie civile et de la notification à l’hébergeur de contenu illicite instaurée par la Loi du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l’Economie Numérique (dite LCEN).

La plainte simple est un moyen d’action fragile car elle fait malheureusement souvent l’objet d’un classement sans suite par le Parquet. En effet, celui-ci a tendance à considérer dans les cas des plaintes pour injure ou diffamation que les contenus sont trop peu ou mal ciblés, que les éléments pour caractériser l’infraction sont insuffisants, ou qu’il est impossible d’engager des poursuites contre des auteurs anonymes.

La plainte avec constitution de partie civile a de meilleure chance de prospérer mais souffre -à l’instar de la plainte simple - du court délai de prescription de l’injure et de la diffamation, qui est de 3 mois. De nombreux plaignants n’ayant pas pris la mesure de ce délai se retrouvent ainsi démunis le jour où ils souhaitent exercer leurs droits.

Enfin, une procédure de notification créée par la LCEN permet de porter à la connaissance du réseau social le contenu illicite. Elle a l’avantage de contraindre l’hébergeur à supprimer le contenu illicite et d’engager sa responsabilité si l’infraction est caractérisée et que ce dernier n’a pas procédé à la suppression.

Bien que la LCEN ait permis un certain progrès, toutes les procédures restent limitées par l’existence de l’anonymat sur internet. Seule une procédure judiciaire via une requête aux fins de mesures d’instruction qui permet au juge d’ordonner, s’il existe un motif légitime, toutes mesures d’instructions nécessaires pour établir la preuve de faits nécessaire au litige, peut y apporter un remède : elle permet d’obtenir auprès des réseaux sociaux les coordonnées des personnes qui écrivent sous couvert d’anonymat. Cette procédure se heurte toutefois à un obstacle : un très grand nombre des sites haineux mis en causes sont hébergés aux Etats-Unis et protégés par le premier amendement de la Constitution sur la liberté d’expression, ou plus généralement hébergés dans des pays qui ne coopèrent pas avec la France.

Vers de nouvelles méthodes ?

Actuellement, de nouvelles méthodes font leurs preuves : la pression exercée par certaines marques sur le Facebook en est un exemple. Des centaines de marques dont Coca-Cola, Unilever, Levi’s et Ben and Jerry’s ont décidé de cesser leurs campagnes publicitaires sur le réseau jugé trop laxiste à l’égard des expressions racistes, violentes et haineuses. Une telle pression va sans doute permettre de faire réagir les réseaux sociaux qui restent souvent silencieux face aux signalements des contenus haineux qui leur sont notifiés.

Le cadre juridique actuel n’est donc pas adapté aux contraintes technologiques et aux délais de réactivité souhaitables, notamment face à l’effervescence présente sur les réseaux sociaux. L’instauration d’une chambre spécialisée dans les infractions de harcèlement sexuel en ligne prévue par la loi Avia est louable mais encore insuffisante car elle ne couvre pas la majorité des infractions commises sur internet. Aujourd’hui, la responsabilisation des réseaux sociaux reste la clé de la lutte contre la haine en ligne. Une responsabilisation qui incite effectivement les hébergeurs à agir plus efficacement contre les contenus illicites.

On peut saluer la réactivité de Youtube, qui a finalement supprimé le 6 juillet la chaine d’Alain Soral, qui avait notamment été condamné pour contestation de l’existence de la Shoah et injure et provocation à la haine raciale. Cette suppression intervient une semaine après celle de Dieudonné, lui aussi condamné pour injure à caractère antisémite.

Il ne s’agit donc pas de toucher à la liberté d’expression, mais bien de responsabiliser les plateformes laxistes et de moderniser davantage les instances judiciaires, pour permettre une justice réactive et facile d’accès à tous.

Julie Jacob avec la collaboration de Raphaëlle Bagarry

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