Une notoriété qui, depuis toujours, transcende les frontières et les milieux, des produits devenus iconiques à force d’être spontanément identifiables, une image farouchement préservée et une histoire savamment entretenue… Dans la grande famille du luxe, Cartier a tout du premier de la classe. À l’origine de son succès, un business model sans faille et un positionnement qui, depuis 170 ans, lui assure une image à la fois intemporelle et en avance sur son temps. Inclassable.

Certains l’identifient à sa célèbre panthère, à sa montre Tank ou à son alliance trois ors, d’autres à ses « Must » ou encore à ses façades enrubannées de rouge et or à l’approche des fêtes de Noël… Quel que soit le niveau de connaissance de la marque ou même de l’univers du luxe, tout le monde connaît Cartier. Rien d’étonnant à cela puisqu’en 2017, une fois de plus, elle compte parmi les huit françaises à figurer dans Best Global Brands, le top 100 des marques les plus puissantes du monde répertoriées par Interbrand. Une reconnaissance fondée sur des critères objectifs – présence à l’international, performance financière, notoriété… – et qui, selon Denis Bonan, fondateur et dirigeant de Denelen, cabinet de conseil par la marque, en dit long sur cette success story à la française et sur son pouvoir d’influence. « Ce classement est un indicateur fiable de la puissance d’une marque, explique-t-il. La preuve de l’efficacité de son business model. » Par efficacité, comprenez : capacité de la marque à cocher ce que l’expert appelle « toutes les cases de l’univers du luxe ». Et ceci, depuis ses origines, il y a aujourd’hui 170 ans.

« Joaillier des rois »

Premier de ces ingrédients fondateurs sur lequel bâtir une notoriété et asseoir une légitimité : «disposer d’une histoire ». D’un récit partagé et entretenu permettant d’inscrire la marque dans un territoire, de la doter d’un imaginaire et de lui bâtir une réputation. Celle de Cartier débute en 1847, lorsque Louis-François Cartier, apprenti joaillier rue Montorgueil, rachète la boutique de son maître et la rebaptise de son nom. L’homme a 28 ans, du talent et un don pour la créativité qui, rapidement, va lui valoir d’accumuler les commandes prestigieuses. D’abord en provenance de l’aristocratie parisienne, puis de tout ce que l’Europe compte de têtes couronnées avant de s’imposer chez les tsars de Russie et jusque dans les palais des Maharadjahs. Un démarrage prestigieux et, pour la marque, le socle rêvé sur lequel ériger une légende aujourd’hui savamment entretenue. Celle d’une marque de luxe hors norme, fournisseur des puissants du monde et, comme l’aurait déclaré le prince de Galles et futur Edouard VII lui-même il y a plus d’un siècle, « joaillier des rois et roi des joailliers ». Une reconnaissancejustifiée par l’expertise du fondateur, mais aussi sur son caractère de visionnaire, souligne Julie El Ghouzzi, directrice du Centre du luxe et de la création, qui rappelle que, à chaque étape de son histoire, la maison Cartier s’est imposée en précurseur. Que ce soit dans le domaine des matériaux – comme le platine qu’elle est la première à utiliser dès les années 1900 –, de la confection,– comme avec le « serti mystérieux », cette technique d’assemblage des pierres donnant l’illusion qu’elles tiennent seules… – ou encore du design et des produits eux-mêmes, Cartier étant notamment à l’origine de la montre bracelet, inventée à la fin du XIXᵉ siècle, mais aussi de « modes joaillières » telles que celle des trois ors ou du tutti frutti, cet assemblage de pierres multicolores copié par tous.

Précurseur et visionnaire

De quoi  valoir à la marque un statut de pionnier et, rapidement, de référence dans l’ensemble de ses métiers : horlogerie, joaillerie et accessoires, cette ligne de produits lancée dès les années 1870 et qui, un siècle plus tard, contribuera à lui donner un second souffle avec le lancement des « Must », une collection d’accessoires (maroquinerie, briquets, stylos, foulards…) créée par Alain-Dominique Perrin – alors président de la société – dans l’objectif assumé de « créer de l’accessibilité », explique Julie El Ghouzzi, et donc, de relancer les ventes et, avec elles, la rentabilité du groupe à un moment où la haute joaillerie n’y parvenait plus. Très critiquée par l’ensemble du secteur – au point de lui valoir d’être un temps exclu du Comité Colbert… –, la stratégie s’avère efficace, remettant la trésorerie à flot, relançant les investissements, et inspirant bientôt l’ensemble des professionnels du secteur. « Les marques de luxe ont toujours fonctionné par cycles, poursuit Julie El Ghouzzi. « Créant de l’accessibilité lorsque le contexte l’exigeait, puis, revenant à de l’exclusivité avec des collections très haut-de-gamme dès qu’elles en avaient à nouveau les moyens. » Un cycle naturel sur lequel, une fois encore, Cartier aura été précurseur, comprenant avant les autres le formidable potentiel, en matière d’image comme de chiffre d’affaires, de certaines incursions dans le domaine de l’accessible.

Maîtrise des codes et contrôle de l’image

À condition que celles-ci demeurent maîtrisées de manière à ne jamais porter atteinte à l’image. Un point sur lequel, souligne Denis Bonan, le groupe a développé une politique du risque zéro. « Une marque de luxe ne raisonne pas en termes de marketing mais d’identité, rappelle-t-il. Depuis toujours Cartier manage la sienne avec une extrême rigueur, gérant la rareté pour tenir la promesse de l’exclusivité, d’où une exposition publicitaire volontairement réduite, une communication et une distribution très sélectives pour conserver la maîtrise des codes, et le refus de s’aventurer sur un territoire qui ne serait pas le sien, tel que celui de la mode sur lequel beaucoup d’acteurs du secteur ont cherché à prendre pied. » De quoi en faire une marque irréprochable sur le plan de la réputation mais pas pour autant « une marque musée », nuance Denis Bonan pour qui, une autre grande force de Cartier aura précisément été d’avoir toujours su allier le caractère intemporel de l’ultra luxe à la modernité d’une forme d’avant-gardisme. Raison pour laquelle la marque est très présente sur les réseaux sociaux – ses films font régulièrement des millions de vues sur YouTube -, crée des boutiques éphémères, et voit ses ventes sur Internet progresser régulièrement au point qu’elles devraient, selon le BCG (Boston Consulting Group), représenter 12% de son chiffre d’affaires d’ici à 2020.

De Nicolas II à Keith Richards

À cela s’ajoutent des modèles devenus iconiques à force de notoriété spontanée – parmi eux la Tank, bien sûr, dont la marque vient de fêter les cent ans, mais aussi la collection Love, les « trois ors », la panthère…. –, et une présence à l’international acquise dès les origines et qui, outre le fait de permettre depuis toujours au groupe « d’aller chercher les clients là où ils sont », amortit considérablement son exposition au risque, contribuant ainsi à sa longévité. Pour Julie El Ghouzzi, toute l’efficacité du business model Cartier tient à cet équilibre savamment construit et scrupuleusement préservé au fils des époques. « Équilibre en termes de présence géographique, de produits et même d’inspiration, le baroque de certaines créations s’étant toujours superposé à la sobriété épurée d’autres lignes », explique-t-elle. Une ambivalence parfaitement maîtrisée qui, au fils des décennies, aura permis à la marque de « vivre avec son temps sans jamais céder aux effets de mode », résume Denis Bonan qui voit dans cette alliance des contraires un facteur clé de pérennité. Un ingrédient intangible de notoriété permettant aujourd’hui encore à Cartier d’incarner la marque des rois aussi bien que celle des stars. Celle de l’impératrice Eugénie et de Madonna. De Nicolas II et de Keith Richards.

Caroline Castets

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