Chloé Pruvot, directrice des investissements du groupe Apicil, regrette l’absence d’un référentiel commun à l’investissement socialement responsable et espère la création d’un label européen. Elle s’en explique.

Décideurs. La crise du Covid-19 a balayé toutes les certitudes des investisseurs. Même si les banques centrales se montrent très accommodantes, la volatilité sur les marchés actions demeure élevée. Quels sont vos clés de lecture pour bien comprendre cet environnement ?

Chloé Pruvot. Contrairement à la crise 2008, les banques centrales et les gouvernements ont fait preuve d’une grande réactivité pour endiguer la panique sur les marchés financiers et les impacts directs de la crise liée à la pandémie de Covid-19. Les décisions prises sont plutôt efficaces. Outre l’épidémie de Covid-19, de nombreux risques pèsent sur le moral des investisseurs : le Brexit, les élections américaines, et plusieurs conflits géopolitiques. Le changement de stratégie annoncé fin août par la Fed a aussi marqué les esprits. Celle-ci vise désormais une inflation moyenne de 2 %, en tendance. Une posture qui pourrait recréer de l’inflation à long terme, dans un environnement où les taux longs vont rester bas encore quelques temps.

Quelles stratégies d’investissement mettez-vous en œuvre sur vos portefeuilles actions ?

Cette année, nous avons révisé à la hausse notre positionnement en actions, au fil du temps, par petites touches. Les actions permettent aux investisseurs de profiter de la reprise économique tout en leur offrant une protection éventuelle contre une résurgence de l’inflation. Dans le cadre de Solvabilité II, les actions ont une charge en capital assez importante pour les investisseurs institutionnels.  Pour en limiter l’impact, nous avons mis en place des couvertures spécifiques. Nous sommes également sélectifs dans nos choix d’investissement, en raison notamment des grandes disparités de performance sur le plan sectoriel ou géographique. Nous affichons donc notre préférence pour les secteurs de la technologie et de la santé, plutôt que ceux de l’automobile et/ou du transport aérien dont les perspectives sont nettement dégradées.

"Au regard des règles édictées par Solvabilité II, le coût d’une obligation à haut rendement est assez proche d’une action"

La crise a également mis en avant les risques sur la liquidité. Comment gérez-vous ce risque ?

La direction des investissements inclut la gestion de trésorerie. Nous mettons en place des tests de liquidité pour s’assurer que nous sommes en mesure d’anticiper et de gérer certains événements de marchés. Nos équipes contrôlent en temps réel les risques financiers, ceux liés à Solvabilité II, ainsi que le risque de liquidité. La crise de liquidité de 2008 a marqué les esprits. Dès la semaine du 10 mars, nous avons commencé à piloter quotidiennement la liquidité des portefeuilles, notamment nos dépôts bancaires et nos OPC monétaires. Nous avons en parallèle suspendu nos programmes d’investissement et, sur certains portefeuilles, cédé quelques titres, pour renforcer « nos matelas » de liquidité. Nous avons également suivi avec attention nos encaissements. Mais grâce à l’action des banques centrales et des États, la tension sur la liquidité des marchés financiers a été limitée à la période entre le 15 et le 30 mars.

Quelles politiques menez-vous sur les marchés obligataires ?

L’équation est complexe, surtout dans un environnement contraint par les règles établies dans le cadre de Solvabilité II qui incite à investir sur des emprunts d’États. Nos actifs, qui sont investis à environ 80 % sur des obligations, subissent la contrainte des taux bas / négatifs. Nous avons besoin de maturité longue pour faire face à certains passifs. Notre allocation en titres de dettes est donc un mix entre des obligations gouvernementales, de la dette corporate (majoritairement des entreprises dont la note est supérieure ou égale à A) et un peu de dette à haut rendement. Nous veillons à réduire les gaps de duration entre les actifs et les passifs, pour minimiser les impacts des mouvements de taux sur notre bilan.

Le segment du haut rendement est-il attractif ?

Au regard des règles édictées par Solvabilité II, le coût d’une obligation à haut rendement est assez proche d’une action. Or, les risques de dégradation de notes des entreprises et de défauts demeurent élevés et le potentiel de performance dans l’environnement actuel est assez limité, surtout en comparaison des actions. Comme sur les marchés actions, on constate également sur ce segment une forte dispersion sectorielle. Les entreprises déjà fragilisées avant la crise, notamment par un niveau d’endettement élevé le sont aujourd’hui davantage, d’où la nécessité pour les gérants d’être sélectifs.

"Le Label Greenfin présente de nombreux attraits" 

Les méthodologies d’investissement menant vers l’investissement socialement responsable (ISR) sont nombreuses : best in class, best effort, politiques d’exclusions… Quelle voie vous semble la plus pertinente ?

Nous sommes en train de redéfinir notre politique ISR. En tant que groupe de protection sociale, la stratégie se fera en adéquation avec nos valeurs. Nous allons privilégier une vision protéiforme, avec 4 piliers principaux : exclusion, sélection ESG, Climat et engagement.

Pour l’exclusions nous avons choisi de ne pas investir dans certains secteurs d’activité (charbon, tabac, alcool…) ou dans des entreprises faisant l’objet de controverses graves.

En ce qui concerne la sélection ESG des entreprises nous souhaitons que l’analyse financière et extra-financière ait un rôle équivalent, convaincus que ces éléments sont complémentaires. 

Notre politique climat est encore en gestation, mais nous réfléchissons déjà à un certain nombre d’indicateurs (émissions CO2 maximum, part brune et la part verte dans les portefeuilles, trajectoire 2 degrés). Nous serons particulièrement vigilants sur les méthodologies de calcul de l’impact de nos portefeuilles. Et pour finir, notre politique d’engagement. Nous votons déjà plus de 1000 résolutions en assemblée générale chaque année. Nous souhaitons compléter cette politique, avec une pratique de dialogue, d’engagement plus marquée, pour mettre en avant certaines problématiques, certains thèmes qui nous tiennent à cœur.

En 2019, Le Label TEEC est devenu le Label Greenfin dont le but est de mettre en lumière les fonds qui s’orientent vers le financement de la transition énergétique et de l’économie verte. Quel regard portez-vous sur ce label ? Répond-il aux besoins des investisseurs institutionnels ?

Avant tout, nous regrettons l’absence d’un référentiel commun quand on parle d’ISR. Les agences de notation extra-financières développent chacune leur propre notation et grilles d’évaluation. Tant et si bien qu’on se sait plus exactement leur portée.

Les labels n’échappent pas à cette problématique. Selon nous le Label Greenfin présente de nombreux attraits, car il prend en compte plusieurs axes : la part verte de l’investissement, son impact et les objets de controverse ESG. Nous pourrions très bien en faire usage dans un avenir proche, notamment pour les actifs non cotés, s’il devient une norme de marché. J’aspire surtout à voir se créer un label commun, européen. Ce projet, une fois concrétisé, serait un grand pas en avant.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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