Ancienne administratrice adjointe du bureau de l’application et de l’assurance de la conformité au sein de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) sous la présidence de Barack Obama, Cynthia Giles revient pour Décideurs sur la compliance, l’innovation ainsi que sur l’évolution de l’agence sous l’administration Trump.

Décideurs. Quels ont été les plus grands défis et frustrations rencontrés lorsque vous étiez à l’Office of Enforcement and Compliance Assurance de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) ?

Cynthia Giles. Il y en a eu beaucoup ! Mais le plus grand défi a consisté à déterminer l’ampleur et la gravité des violations et, par conséquent, le nombre de communautés soumises à une pollution illégale et à une exposition à des produits chimiques dangereux. L’EPA s’est attaqué à certains des plus importants contrevenants et problèmes de pollution et je suis très fière des poursuites engagées. En revanche, les violations continues ne peuvent tout simplement pas être résolues par une poignée d’agents chargés de l’application des lois aux niveaux fédéral et étatique. La réponse de l’EPA a été de développer une nouvelle approche : la « conformité de prochaine génération ». L’idée centrale était que nous pourrions améliorer considérablement la conformité en créant des réglementations intégrant directement de la compliance. Il s’agissait de tirer parti des nouvelles technologies et des innovations de la dernière décennie pour améliorer la conformité afin que l’exécution puisse être réservée aux problèmes les plus graves. Nous avons fait beaucoup de progrès à cet égard, mais pas encore assez, ce qui a été une source de grande frustration pour moi. Le temps dont nous disposions n’était pas suffisant pour opérer le changement systémique que nous recherchions.

Qu'est-ce que l'approche de « conformité de prochaine génération » a permis de réaliser ?

Acid Rain, l’un des programmes de protection de l’environnement les plus efficaces de tous les temps, est un bon exemple de la manière dont la compliance intégrée fonctionne. Son objectif était de réduire les émissions de dioxyde de soufre provenant principalement des centrales électriques au charbon. Une surveillance en temps réel au point d’émission a ainsi été mise en place afin que les entreprises et les gouvernements puissent savoir exactement le taux de pollution présent, des incitations pour s’assurer que l’équipement de surveillance fonctionne bien, sans quoi ils devaient supposer que le taux était beaucoup plus élevé, ont été lancées et, enfin, des rapports électroniques réguliers avec de nombreux contrôles de données intégrées ont été demandés. Il y a un moyen très simple de déterminer la conformité : vos quotas d’émission couvrent-ils la quantité de pollution que vous émettez ? Il y avait également des amendes automatiques qui étaient plus élevées que le coût d’achat du quota d’émission.

Toutes ces caractéristiques réunies ont conduit à l’un des taux de conformité les plus élevés de tous les programmes du EPA, et ce, avant même que l’agence ne s’implique ! L’EPA essayait d’intégrer davantage de ces facteurs de conformité dans les règles et ne comptait pas tellement sur leur exécution sur les plans fédéral et étatique pour garantir les avantages sur le plan de la santé publique. D’autres règles de l’Agence ont aidé : la révélation publique concernant l’impact potentiel des cendres de charbon sur la qualité des nappes phréatiques par exemple. Au bureau de la conformité, nous avons par ailleurs beaucoup œuvré pour le signalement électronique.

"L’amende doit être supérieure au coût de la mise en conformité"

Outre les coupes budgétaires, comment l’EPA a-t-elle changé sous l’administration Trump ?

Au sein du bureau de la conformité, il y a eu un grand délaissement de l’enforcement. Les cas les plus importants et les menaces pour la santé traités par l’EPA ont chuté et une grande partie des cas qu’elle traite actuellement ont été lancés sous l’administration Obama. C’est très inquiétant. Si les entreprises croient que l’EPA ne les obligera pas à rendre des comptes, cela créera une situation désastreuse pour la conformité ainsi que pour les sociétés qui, elles, respectent les règles, sans parler de la perception du public. Les entreprises éthiques ne devraient pas avoir à rivaliser avec celles qui rognent sur les dépenses. Un autre changement inquiétant réside dans le fait que l’EPA et le ministère de la Justice (DoJ) ont tourné le dos à l’innovation en matière de compliance et les chefs d’entreprise comprennent que c’est la fin pour une société. Cela a également un énorme impact négatif aussi sur le gouvernement. Le DoJ, en particulier, se concentre pour faire le minimum possible dans les cas d’application de la loi environnementale qu’il porte, et rejette explicitement les occasions de travailler avec les entreprises pour trouver de nouvelles et meilleures solutions. C’est une mauvaise chose pour tout le monde !

D’une manière générale, la mission de l’EPA semble être passée de la protection de la santé publique à la suppression du plus grand nombre possible de réglementations. Les dirigeants de l’Agence se vantent du nombre de règles de santé publique dont ils se sont débarrassés. La dépendance aux principes scientifiques les plus sûrs et le dévouement aux règles, soient les principes fondateurs de l’EPA, sont actuellement attaqués.

À quel point les amendes sont-elles utiles et que peuvent faire de plus les agences chargées de l’application de la loi ?

Toute la théorie du rôle des amendes dans l’amélioration de la conformité consiste à éviter exactement la situation que vous présentez. L’amende doit avant toute autre chose être supérieure au coût de la mise en conformité. Dans le langage de la conformité, nous disons que l’amende doit récupérer les avantages économiques des violations de la loi. À l’EPA, nous avions un modèle très développé pour la calculer pour chaque cas. Il prend en considération : le coût pour l’entreprise afin de se mettre en conformité, le montant de l’investissement en capital et des dépenses d’exploitations au fil du temps, les sommes économisées par l’entreprise pour ne pas se mettre en conformité… Le calcul donne un montant minimum pour l’amende. C’est tout le concept de la dissuasion ! Vous incitez les entreprises à se mettre en conformité en rendant la violation plus coûteuse. La recherche montre que cela fonctionne et encourage les sociétés qui n’ont pas été poursuivies à faire encore mieux en matière de compliance.  

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