Le président du groupe LR au Sénat s’inquiète de la montée en puissance des listes communautaires aux élections municipales. Selon lui, il existe des moyens de les contrer. À condition de faire preuve de volonté politique.

Décideurs. Vous êtes l’auteur d’une proposition de loi visant à interdire les listes communautaires aux élections municipales. À quelles listes pensez-vous ? 
 
Bruno Retailleau. À celles qui sont fondées sur l’origine ethnique ou l’appartenance religieuse. Elles considèrent que l’allégeance à une religion ou à un État étranger prévalent sur le respect des valeurs républicaines. Il existe deux exemples importants de ce type de listes en France : celles de l’union des démocrates musulmans de France (UDMF) qui se présente comme un parti républicain. Mais personne n’est dupe quant à son objectif qui vise, notamment, à battre en brèche la laïcité. Citons également le Parti Egalité et Justice (PEJ) qui est, en réalité, une branche de l’AKP, le parti du président turc Erdogan. 
 
Ce combat est-il prioritaire ? Les listes communautaires semblent peser très peu dans les urnes…  
 
Pour le moment, elles restent relativement faibles au plan électoral. Mais certaines avancent masquées, sous couvert d’associations citoyennes. Il est facile de prévoir leur augmentation car elles sont bien souvent menées par des fondamentalistes qui ont en tête un agenda précis et agissent de manière méticuleuse : contrôle de lieux de cultes puis contrôle du champ social, notamment via des associations sportives ou culturelles. Enfin, logiquement, vient une troisième étape : investir la politique. Leur but est clair : créer des enclaves territoriales dans lesquelles la loi religieuse serait au dessus de la République. On ne peut pas attendre qu’un maire de cette mouvance soit élu dans une commune française ; le destituer serait difficile et pourrait entraîner des troubles. 


 
Précisons deux choses : il ne s’agit pas d’élucubrations mais de données compilées par des chercheurs, des journalistes, des sociologues de tous les bords politiques. Je pense notamment à Jérôme Fourquet de l’Ifop, auteur de L’Archipel français. Autre point important, l’immense majorité de nos concitoyens, notamment ceux qui vivent dans les villes où le communautarisme prospère, demandent une République forte qui ne renie pas ses valeurs. 
 
Au-delà de l’UDMF ou du Parti Égalité et Justice, le véritable danger ne résiderait-il pas dans les partis « classiques » qui s’allient avec des associations communautaires ou religieuses pour gagner des municipalités ? 
 
Tout à fait, il s’agit d’un danger grave qui concerne les partis de gauche, mais aussi la droite. Un livre récent, Le Maire et les Barbares, d’Eve Szeftel, pointe notamment le clientélisme auquel ont pu se livrer certains élus. La réalité est là : des partis politiques renient leurs valeurs fondamentales pour remporter des élections. Rien n’indique que la tendance s’arrête, bien au contraire… Il serait pourtant très simple d’y mettre un frein. 
 
Comment ? 
 
Il existe des faisceaux d’indices qui permettent de mesurer la manière dont des leaders communautaires pratiquent l’entrisme : embauches répétées et bien payées de proches, subventions d’associations… Je propose la mise sous « tutelle républicaine » de communes gangrenées par le communautarisme grâce à un contrôle des dépenses mené par les préfets qui pourraient être saisis par les citoyens. S’il s’avère qu’elles servent des politiques antirépublicaines, les communes pourraient être mises sous tutelle, il faut oser prononcer ce terme sans tabou. Cela est déjà possible dans notre droit en cas de malversations financières par exemple. C’est le rôle de la chambre régionale des comptes. 

"Des partis politiques peuvent être amenés à renier leurs valeurs fondamentales pour remporter des élections"


Listes communautaires, entrisme d’extrémistes religieux… Le gouvernement a-t-il pris la mesure du problème ? 
 
Il est dans une posture attentiste, éprouve du mal à mettre des mots sur une situation simple et, surtout, n’agit pas. N’oublions pas que c’est le gouvernement du « en même temps ». Gérard Collomb s’est alarmé de la situation, Jean-Michel Blanquer également. J’ai été reçu par Christophe Castaner et Laurent Nuñez qui m’ont semblé à l’écoute. Mais en même temps, Nicole Belloubet s’est montrée complaisante lors de l’affaire Mila en s’attaquant au droit au blasphème.

Par ailleurs, sur l’interdiction des signes religieux lors des sorties scolaires votée au Sénat, le Gouvernement a dit non. Depuis près de trois ans, on nous promet la fermeté, mais nous n’avons en réalité que l’ambiguïté. Enfin, Emmanuel Macron, dans sa campagne, défendait une vision multiculturaliste, anglo-saxonne de la société très différente du modèle de laïcité français. Celle-ci est encore présente en force au sein de l’exécutif, et c’est cette ambiguïté qui empêche la majorité d’agir efficacement. 
 
Dans cette lutte contre le communautarisme, existe-t-il un clivage droite gauche ? 
 
Une partie de la gauche défend encore les valeurs républicaines et ne cède pas aux sirènes du communautarisme. Je pense par exemple au Printemps Républicain fondé notamment par Laurent Bouvet et dont Amine El Khatmi est un membre actif. Mais, ce sont des élus de gauche qui ont marché aux côtés d’associations communautaires lors de la triste marche contre l’islamophobie de novembre 2019. Concrètement, c’est la droite qui a proposé les principales lois pour défendre la laïcité, par exemple la loi de 2004 sur les signes ostensibles. Si une partie de la gauche a renoncé à ce combat, la droite doit rester intransigeante sur les valeurs républicaines. 
 
Propos recueillis par Lucas Jakubowicz 

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