Le cabinet Bougartchev Moyne Associés revient sur la création du Parquet européen entré en fonction le 1er juin 2021 et sur le revirement de jurisprudence opéré par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 25 novembre 2020 sur la responsabilité pénale de la société absorbante dans le cadre d’une opération de M&A.

Décideurs. Quel regard portez-vous sur la création du Parquet européen en fonction depuis le 1er juin 2021 ?

Kiril Bougartchev. Un acteur majeur se fait jour dans le droit pénal des affaires. Il s’agit du Parquet européen, troisième étape du droit pénal communautaire après la création d’Eurojust en 2002 et la mise en place du mandat d’arrêt européen en 2004. Il ressort du règlement européen du 12 octobre 2017 que ce nouvel organe ne connaîtra pour l’instant que des infractions pénales qui portent atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, dont le détournement de fonds européens, la corruption active et passive, la fraude transfrontalière à la TVA au-delà de 10 millions d’euros et enfin des délits douaniers comme le blanchiment de ces délits. Dans l’immédiat, entre 60 et 100 dossiers, actuellement traités par le Parquet national financier (PNF), les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ou les douanes, finiront sous la coupe du Parquet européen. Mais à terme, celui-ci pourrait bien étendre son champ de compétences aux infractions de terrorisme et à la criminalité organisée. Le Parquet européen fonctionnera comme une pyramide à deux degrés. Dans la partie supérieure, on retrouvera le bureau central, situé à Luxembourg, composé du procureur en chef dont la fonction est occupée par Laura Codruta Kovesi, ainsi qu’un collège de 22 procureurs européens chargés d’assurer la surveillance et la coordination des enquêtes. Dans la partie inférieure, l’action du parquet européen sera mise en œuvre par des procureurs européens délégués (PED), lesquels conduiront les investigations en recourant aux services des enquêteurs locaux et exerceront les poursuites à l’encontre des auteurs d’infractions devant la justice pénale nationale, conformément aux règles de chaque État membre.

La loi du 24 décembre 2020 précise les compétences et les attributions sur le plan national des procureurs européens délégués (PED), lesquels détiennent des pouvoirs particulièrement étendus. Endossant le rôle du Parquet, mais également du siège, les PED porteront-ils le coup fatal aux juges d’instruction  ?

K. B. Ces procureurs ne seront saisis pour l’instant que d’un certain nombre de dossiers portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne. Toutefois, dès lors qu’ils sont dotés d’une compétence exclusive, ils viendront dessaisir les juges d’instruction, mais également le Parquet national financier (PNF) de ceux-ci. Censés jouir d’une indépendance totale par rapport aux autorités judiciaires nationales, ces PED n’évolueront pas en vase clos puisqu’ils disposeront de pouvoirs exorbitants en vertu de la loi du 24 décembre 2020. Exerçant les attributions du procureur de la République en matière d’enquête, ils se substitueront également au juge d’instruction pour prendre notamment toutes décisions en matière de mise en examen, d’interrogatoire et de confrontation. Ainsi, seules les décisions restrictives de liberté, tels l’assignation à résidence sous surveillance électronique, le mandat d’arrêt et la détention provisoire, relèveront encore de la compétence exclusive du juge des libertés et de la détention.

À la suite des 1 700 signalements d’infractions transmis par les 22 États participants, 300 enquêtes ont déjà été lancées. Quels sont les principaux défis pour les personnes poursuivies face à ce parquet d’un nouveau genre ?

K. B. Le respect des droits de la défense sera au cœur des préoccupations des justiciables et de leurs avocats. Cette nouvelle procédure permettra-t-elle enfin d’avoir accès au dossier durant la phase de l’enquête préliminaire ? Comment les droits de la défense s’exerceront-ils pendant la procédure que ce soit en matière de nullités, de demandes d’actes ou encore de notes d’observations ? Quelle sera la consistance des droits des personnes poursuivies au moment du règlement du dossier lorsque le PED orientera l’affaire vers un non-lieu, une juridiction de jugement ou une alternative aux poursuites en suivant les instructions d’une chambre permanente composée du procureur en chef et de deux procureurs européens ? Autant de questions auxquelles la pratique des prochaines années devrait apporter des réponses.

"Nous sommes partisans du fait que l’enquête préliminaire évolue car, en pratique, la procédure pénale française n’est pas équitable, n’est pas contradictoire et ne respecte pas l’équilibre des droits des parties"

Emmanuel Moyne. En France, l’enquête prive le mis en cause de l’exercice effectif des droits de la défense puisque la personne suspectée ne peut solliciter la réalisation d’actes ou accéder aux preuves recueillies. L’instruction, quant à elle, ouvre son enquête – à un certain degré – aux personnes convoquées pour être témoins assistés, mises en examen ou parties civiles.

Geoffroy Goubin. Lors de la création du Parquet européen, il a été décidé que chaque État membre conserverait ses propres règles de procédure. Et les parties auront accès à leur dossier seulement lorsque le PED endossera son rôle de juge d’instruction. Le principal enjeu serait ainsi de savoir comment et à quel moment les avocats pourront exercer les droits de la défense face à ce même magistrat, à la fois parquetier classique et juge d’instruction.

E. M. Nous sommes d’ailleurs partisans du fait que l’enquête préliminaire évolue car, en pratique, la procédure pénale française n’est pas équitable, n’est pas contradictoire et ne respecte pas l’équilibre des droits des parties.

Geoffroy Goubin, vous détenez par ailleurs une compétence particulière en contentieux haut de bilan, une pratique en forte croissance ces dernières années. Quelles sont les grandes tendances actuelles en la matière, à l’heure où la crise sanitaire sévit encore ?

Geoffroy Goubin. Au début du premier confinement, nous avons traité beaucoup de dossiers de rupture de pourparlers, ruptures qui n’étaient d’ailleurs pas – à tout le moins en apparence – nécessairement justifiées par la crise sanitaire. La majorité de ces dossiers ont fait l’objet de transactions assez rapides.

Puis, nous avons été saisis de différents litiges relatifs à des compléments de prix, les clauses d’earn-out n’ayant pas été rédigées à l’aune de la crise sanitaire se posait la question de l’impact de la pandémie sur le calcul des compléments de prix stipulés. Ici encore, en ces temps incertains, les parties ont énormément privilégié la solution négociée.

En fin d’année dernière, nous avons commencé à être sollicités à la suite du revirement jurisprudentiel de la Cour de cassation du 25 novembre 2020 en matière de transmission de la responsabilité pénale de la société absorbée vers celle de la société absorbante. L’allongement de certains process entre le signing et le closing lors d’opérations de M&A a notamment créé une certaine anxiété. Cela a également donné lieu à de nouveaux dossiers d’analyse des risques de corruption chez la société absorbée, ce qui a là encore pu retarder certaines opérations, voire les remettre en cause.

Quelles sont, d’ailleurs, les conséquences de ce revirement de jurisprudence opéré par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 25 novembre 2020 ?

E. M. Cet arrêt revient sur le principe selon lequel, jusque-là, la responsabilité pénale, qui est personnelle, n’était pas transmise à l’occasion de l’absorption d’une société par une autre. À la suite de ce revirement jurisprudentiel, la société absorbante pourra ainsi être condamnée à une peine d’amende et de confiscation pour des infractions commises par l’absorbée avant l’opération, et ce, à compter du 25 novembre 2020. Cette nouvelle règle ne sera rétroactive et ne couvrira les opérations antérieures à cette date que si l’opération a été réalisée afin d’échapper à des poursuites pénales. Plus encore, cet arrêt implique un renforcement des obligations de détection et de prévention des faits de corruption en vertu de la loi Sapin 2. Dans son guide pratique sur les vérifications anticorruption dans le cadre des fusions-acquisitions, l’AFA insiste d’ailleurs sur la nécessité de mener des due diligences anticorruption durant la phase de préacquisition, ainsi que des audits ­approfondis de la cible pour détecter les faits de corruption et pour s’assurer que le système anticorruption mis en place soit conforme à celui du groupe afin de faciliter la phase d’intégration. Ce qui vaut pour la ­corruption vaut aussi pour l’ensemble des ­infractions pénales.

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