Inquiet face à la réforme institutionnelle qui s’annonce, le député Nouvelle gauche, Boris Vallaud reproche au gouvernement de contourner les corps intermédiaires et défend une « démocratie vivante » reposant sur le dialogue, la négociation et le compromis.

Décideurs. Soutenez-vous les cheminots dans leur mouvement de grève ? Comprenez-vous, parallèlement, le ras-le-bol des utilisateurs, régulièrement empêchés de se rendre sur leur lieu de travail ?

Boris Vallaud. Je réponds oui aux deux questions, car elles sont liées. Le gouvernement a focalisé le débat, vécu comme stigmatisant, sur le statut des cheminots ainsi que sur celui de l'entreprise SNCF quand les vrais sujets, étaient l'avenir du rail, les transports du quotidien, la sécurité, l'aménagement du territoire dans le contexte de la transition écologique. L'avenir de 9000 kilomètres de lignes est en suspens dans nos territoires. C'est pour cela que nous avons dit dès le départ que la dette et l'investissement étaient les deux clefs, mais nous avons aussi évoqué ce qu'on appelle le sac à dos social, la convention collective et l'organisation de l'entreprise. Au fond, la grève n'était pas irrémédiable, mais le dialogue social a été défaillant et le débat promis par le gouvernement lors des Assises de la mobilité sur ces sujets n'a pas eu lieu. La grande loi d'orientation pourtant annoncée n'est par ailleurs jamais arrivée à l'Assemblée. C'est dommage, nous soutenions cette façon de faire.

Vous reprochez au gouvernement de « marcher sur les corps intermédiaires », notamment les syndicats. Ces derniers ont toutefois été reçus à l’Elysée et un certain nombre de concessions leur ont été accordées (comme le maintien du statut des cheminots ou encore le « sac à dos social ») …

C'est une considération qui dépasse le cas d'espèce. Trop souvent, le gouvernement contourne les corps intermédiaires, les syndicats ou les associations, comme il esquive le Parlement avec les ordonnances auxquelles il a de plus en plus systématiquement recours. Idem avec les élus locaux.

« Il faut retrouver des espaces de dialogue, de négociation, des lieux où se fabriquent les compromis »

Ce qui s'est passé avec le rapport Borloo sur les banlieues, dont nous soutenions l'essentiel, est très grave. Disqualifier ainsi, sans autre forme de procès, les maires investis au quotidien, c'est semer dangereusement la discorde. Parfois sans doute, le gouvernement ménage-t-il les apparences, mais nul ne s'y trompe. S’il reçoit parfois à sa table, on ne parle pas à table... les choses sont décidées d'avance et ailleurs.

Quelle serait la solution, selon vous ?

Ma conviction est qu'il faut retrouver des espaces de dialogue, de négociation, des lieux où se fabriquent les compromis. C'est parce que le pays a besoin de réformes qu'il a plus encore besoin d'une démocratie vivante. Prenons garde. Dans le moment populiste que traversent bien des pays d'Europe, nous réalisons que les syndicats sont mortels, les partis sont mortels. Quant à la démocratie, on sait maintenant qu'elle peut être « ilibérale ». Voilà aussi pourquoi la réforme institutionnelle nous inquiète, elle affaiblit plus encore le Parlement et laisse l'exécutif sans contre-pouvoir... ça n'est pas sain, c'est même dangereux.

« Entre une gauche qui n’est pas de gouvernement et un gouvernement qui n’est pas de gauche, beaucoup de ces Français ne se sentent plus du tout représentés »

Emmanuel Macron, tout comme les députés à l’Assemblée nationale ont été élus. Une grande majorité des Français, serait, selon les sondages, satisfaits de l’action de la majorité… La démocratie semble ainsi, a priori, respectée. Vous plaidez néanmoins en faveur d’une « démocratie vivante ». Pouvez-vous nous expliquer ?

Nul ne conteste la légitimité du président de la République. Mais observez que d'autres, à l'Assemblée comme au Sénat, ont reçu de leurs électeurs un autre mandat. Je vois bien la tentative de disqualification de toute forme de parole discordante, de tout désaccord, mais la démocratie c'est un équilibre des pouvoirs, checks and balances comme disent les britanniques... des désaccords, du débat, des alternatives, des accords aussi parfois.  Quant à la « majorité » de Français qui soutiendrait le gouvernement, je ne sais pas où vous la trouvez. Ce qui est certain, c’est que les soutiens sont très clairement à droite, et ils ne s’y trompent pas.

La gauche accuse régulièrement Emmanuel Macron d’être le « président des riches ». Quelles mesures très concrètes pourraient, selon vous, changer cette étiquette ?

Ça n'est pas une accusation, c'est un constat factuel corroboré par les analyses de l'Insee et de l'OFCE, pour ne citer qu'eux. Ce qui est saisissant c'est l'ordre des priorités de l'exécutif. En effet, les plus riches ont la priorité et la primeur de l'action du gouvernement. Je ne vous refais par la litanie des mesures prises pour les plus riches tout de suite ni l'ampleur du geste. Il ne m'appartient pas de gérer ni l'agenda de l'exécutif ni l'image qui lui colle à la peau mais ma conviction intime est que la lutte contre les inégalités sera la grande matrice politique de ces vingt prochaines années. Le président Macron lui fait le choix de la liberté sans l'égalité. C'est une promesse frauduleuse, injuste et mortifère parce qu'il ne suffit plus de travailler dur pour s'en sortir. Il faut s'attaquer à tous ces murs invisibles, à toutes ces frontières muettes qui cultivent les inégalités, approfondissent la ségrégation, reproduisent l'entre soi, trient, excluent, excommunient.

« Je plaide par exemple pour une dotation en capital à 18 ans fondée sur la solidarité entre les générations »

Les uns plongent quand les autres font sécession. Il y a un sujet qui de ce point de vue-là est devant nous, celui de l'accumulation du capital de génération en génération entre des mains de moins en moins nombreuses et de moins en moins productives. C'est l'antithèse du mérite. Ça place la jeunesse devant des inégalités considérables, démarrer dans la vie ne peut pas être le privilège de quelques-uns. Je plaide par exemple pour une dotation en capital à 18 ans fondée sur la solidarité entre les générations.

Quelle est la place de la nouvelle gauche sur la scène politique aujourd’hui, à l’heure où les sympathisants de gauche et du centre gauche semblent d’ores et déjà s’être tournés vers LREM ?

Je ne partage pas votre analyse. Les sympathisants de gauche et de centre gauche se sont dispersés il y a un an entre Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron et l’abstention. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Entre une gauche qui n’est pas de gouvernement et un gouvernement qui n’est pas de gauche, beaucoup de ces Français ne se sentent plus du tout représentés. Nous leur devons la reconstruction d’une gauche de gouvernement. C’est ce à quoi nous travaillons. Et vous savez, c’est aussi de la société elle-même que cette renaissance va venir. Je rencontre de très nombreuses personnes, engagées, des associatifs, des intellectuels, des chefs d'entreprises aussi, qui veulent la renaissance de cette gauche de gouvernement, et qui s’impliquent, imaginent. C’est ensemble que l'on fera la gauche de demain.

 

Propos recueillis par Capucine Coquand

@CapucineCoquand

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