Après un premier tour au goût bouchonné, le maire sortant Nicolas Florian a joué la carte de l’union avec LREM. Un accord qui frappe mais qui pourrait aussi porter ses fruits.

"Parce que c’était lui, parce que c’était moi" : l’amitié passionnelle de deux illustres Bordelais, Montaigne et La Boétie, retrouve aujourd’hui une singulière actualité qui réveille "la belle endormie", ce désuet surnom qu’on donnait autrefois à la ville de Bordeaux. L’union surprise entre la liste menée par le maire sortant LR, Nicolas Florian et celle conduite par le représentant LREM, Thomas Cazenave, à la veille du dépôt légal des listes, a secoué le landerneau politique d’une municipalité qui va connaitre un second tour pour la première fois depuis la Libération.

Désormais réunis sous le vocable "Union pour Bordeaux", les deux hommes ont en un temps record dépassé le stade des frictions pour celui de la fusion. Résultat, la nouvelle liste commune laisse place à 13 marcheurs au détriment de la quasi-totalité des adjoints LR de l’ère Juppé : une révolution.

Dans une ville qui n’a pas touché depuis 1855 à sa classification officielle des vins de Bordeaux, on rechigne pourtant traditionnellement à pratiquer la valse des étiquettes, fussent-elles politiques, mais telle l’appellation du même nom, force fut de constater qu’en ces terres proches du Médoc, l’heure était "grave".

Un score à couper le souffle pour "Bordeaux respire"

Car au lendemain du premier tour, dans cette cité ô combien minérale, les représentants de la droite et du centre ont vu avec frayeur émerger deux couleurs qui tranchent, le vert, et, ô sacrilège, un rouge qui fait tache. Au cœur d’une ville acquise à la droite depuis 75 ans, les 34 % de la liste EELV de Pierre Hurmic, ont fait jeu égal (à moins de cent voix près) avec celle de Nicolas Florian, le maire sortant. Réunissant outre les écologistes, des membres du PS, du PCF, de Génération.s, de Place Publique et de Nouvelle Donne, bref, pratiquement tout ce que la gauche compte de cépages, le score surprise de "Bordeaux Respire" a coupé le souffle à tous ceux qui avait oublié que la sociologie électorale de Bordeaux avait profondément changé ces dernières années.

Les 22 % des Verts aux européennes de l’an passé pouvaient certes interpeller mais les 29 % réalisés par LREM lors du même scrutin laissait présager que la perle d’Aquitaine allait gaiement tomber dans l’escarcelle de la majorité. C’était d’ailleurs le pari d’Emmanuel Macron, qui dès la démission d’Alain Juppé annoncée, dépêcha son ancien condisciple de l’ENA, Thomas Cazenave, lequel occupait le poste de délégué interministériel à la réforme de l’État jusqu’à son investiture comme candidat.

LREM, une implantation réussie ?

Les mauvaises langues parlèrent alors de parachutage : une double erreur d’analyse quand on sait d’une part qu’en leur temps, les Bordelais acceptèrent avec le succès que l’on sait Juppé comme Chaban, pourtant affublés de l’étiquette de "parachuté" et d’autre part qu’étant né et ayant étudié à Bordeaux, l’ambitieux Thomas Cazenave, l’homme qui voulait être élu, peut se voir sans peine considéré comme un homme du cru.

Mais c’était sans compter sur l’accueil timide qui lui sera réservé. Déjà échaudé par la razzia LREM (10 circonscriptions sur 12 en Gironde) lors des législatives de 2017, les Républicains, (des juppéistes en cette terre d’élection de l’ancien Premier ministre) ont mal vécu, c’est un euphémisme, l’irruption d’un candidat LREM alors qu’Alain Juppé figurait depuis longtemps comme macron-compatible. Pire, très vite le Modem, qui gouverne avec LR au niveau local et LREM au niveau national, a apporté son soutien à Nicolas Florian avec l’assentiment de François Bayrou, son président.

Difficile dans ces conditions pour Thomas Cazenave de remporter la mission qui lui a été confiée. Reste que les 12,7 % qu’il a récolté au premier tour, ont obligé le maire sortant à fusionner. Sachant que d’après Sud Ouest, un poste de maire-adjoint et une vice-présidence de l’agglomération lui sont promises en cas de succès au second tour pour cette liste d’union, on pourra dire, sans rien trahir, que faute d’une victoire, LREM est en passe de réussir son implantation.

Un gros Poutou

Les affinités électives ayant réuni Cazenave et Florian ne seront pourtant pas les uniques responsables d’un probable succès pour le maire sortant. Ce dernier, s’il embrasse la victoire, le devra sans nul doute à un gros Poutou. Avec 11,8% des voix, le candidat du NPA (et de la France Insoumise) a déjoué tous les pronostics même si la mobilisation massive des gilets jaunes à Bordeaux et la fermeture de l’ex-usine Ford de Blanquefort (où travaillait Poutou) laissait sans conteste présager un bon résultat pour l’extrême gauche.

Mais fort de son score, le candidat anti-capitaliste a choisi de se maintenir rejetant toute alliance "avec la gauche libérale EELV/PS", Les gauches irréconciliables joueront donc probablement une nouvelle fois la lutte des places.

Sébastien Petitot 

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