Observateur avisé de la « vie pénale » des affaires, Benjamin Grundler décrypte l’actualité et les tendances du moment.

Décideurs. Comment s’est passée votre année 2017 en matière de pénal des affaires ?
Benjamin Grundler. L’année a été riche et intense avec plusieurs affaires de corruption internationale. Nous avons représenté un dirigeant français dans l’affaire dite Petrobras, assisté plusieurs cadres dirigeants dans des procédures ouvertes, tant devant le DOJ que le PNF, ainsi qu’un groupe français soupçonné de corruption en Amérique du Sud… L’équipe a également mis en place des programmes de conformité. Parallèlement à cela, nous continuons d’intervenir sur un volume conséquent de dossiers en pénal du travail, avec notamment plusieurs accidents du travail lourds et plusieurs dossiers en pénal fiscal et pénal de la commande publique. Enfin, nous continuons à intervenir sur un certain nombre de dossiers à connotation plus politique tels que les affaires dites de biens mal acquis ou encore l’affaire Balkany.
La croissance de l’activité est importante, mais nous souhaitons absolument demeurer un cabinet de niche avec une maîtrise au plus près des dossiers et des clients. Ce paramètre est essentiel pour nous dans notre stratégie de développement.

« Dans le sillage des États-Unis, il y a une volonté du législateur – et des juges – de renforcer la pénalisation du monde des affaires » 

Comment expliquez-vous la pénalisation croissante de la vie des affaires ?
La tendance générale des démocraties occidentales promeut une obligation de transparence. Ainsi, les circuits de distribution de produits de consommation ou de médicaments, le patrimoine de personnes publiques ou les schémas fiscaux de grands groupes sont soumis à cette obligation constamment renforcée de transparence. Ce mouvement engendre quasi automatiquement un accroissement des procédures pénales. Cela est particulièrement visible par exemple en matière sanitaire ou dans la vie publique.
En outre, de plus en plus d’acteurs participent à « faire émerger » des affaires, groupements de journalistes, associations ou ONG, lanceurs d’alerte…
Enfin, dans le sillage des États-Unis, il y a une volonté du législateur – et des juges – de renforcer la pénalisation du monde des affaires : les moyens des juges ne cessent de progresser et certaines sanctions se durcissent sensiblement notamment en matière de blanchiment et de fraude fiscale.

Dans ce contexte, comment adaptez-vous votre approche ?
Nous gardons notre volonté de travailler « sur mesure », au plus près des dossiers. Les avocats du cabinet maîtrisent parfaitement le contenu des dossiers, et connaissent et pressentent les attentes des clients. Pour cela, le travail en binôme est privilégié. Il est très rare que nous soyons trois ou quatre à suivre un même dossier. Nous ne serons jamais, à mon avis, un cabinet comprenant une armada de collaborateurs. Nous désirons demeurer une véritable boutique, ce qui correspond bien à l’esprit même de la défense pénale. Il est également utile d’essayer d’anticiper l’avenir, les évolutions de notre matière et les tendances futures. Par exemple, le fait d’avoir travaillé sur des dossiers de corruption internationale depuis plus de dix ans permettait de pressentir le mouvement enclenché par la loi Sapin 2, l’utilité des programmes de compliance dans la mise en place de la défense et le durcissement de la réponse pénale.

Les entreprises et leurs dirigeants sont-ils suffisamment conscients des (nouveaux) risques pénaux ?
Les grands groupes français le sont depuis plusieurs années. En revanche, s’agissant d’entreprises même d’une certaine taille ou de PME, cette prise de conscience est beaucoup plus récente voire en cours. Nous sommes encore très loin de la culture qui règne dans les entreprises aux États-Unis ou en Angleterre.
Cette prise de conscience est toutefois en marche, pour reprendre un terme à la mode. Pour autant, il ne s’agit pas de tomber dans une crainte totale ou dans des mesures extrêmes. Certains grands groupes ont, dans le passé, abusé de mesures drastiques qui ont pénalisé leurs affaires et ont eu des conséquences disproportionnées. Le propre des entreprises est d’avoir une activité économique saine, de prévenir au maximum le risque sans paralyser l’activité.

Comment adaptez les stratégies judiciaires en conséquence ?
Notre métier exige à la fois une technicité importante, beaucoup de travail pour maîtriser véritablement son dossier, mais aussi et surtout une vision stratégique. C’est une plus-value essentielle. Elle le sera encore plus face au développement de l’intelligence artificielle.
La définition d’une stratégie reste du cas par cas. On ne peut pas généraliser une stratégie, c’est ce qui fait la beauté de notre métier d’avocats ! Il n’y a pas de solutions toutes préparées. Chaque analyse, chaque diagnostic est unique. Nous apporterons donc des solutions et traitements spécifiques. D’où, à mon sens, le caractère crucial du travail sur mesure.

« Il est urgent d’octroyer plus de moyens humains et matériels au fonctionnement de notre justice pénale » 

La première convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) a été conclue il y a quelques mois. Quelle analyse faites-vous de ce nouvel outil ?
La justice dite négociée en matière pénale était jusqu’à maintenant limitée. En outre, cette conception de la justice est assez éloignée de notre culture juridique. Ce propos est aussi vrai pour les magistrats que les avocats, en tout cas en matière pénale. Il y a donc un tournant majeur avec ce nouvel instrument.
Nous verrons toutefois comment il sera utilisé par le PNF et les juges d’instruction. J’entends certains magistrats regretter le recours à cette procédure qui met fin aux poursuites d’une personne morale.
Dans l’optique de la défense pénale, c’est également un outil qui pourra engendrer une évolution dans notre positionnement. La justice négociée possède des atouts importants pour nos clients, toutefois, il faut se méfier de certains écueils comme le fait d’opter de manière systématique pour la signature d’un accord plutôt que de se défendre efficacement et établir son innocence.

Sur la question du dirigeant et des personnes physiques plus spécifiquement, ceux-ci sont exclus du champ de la CJIP. Ne risque-t-on pas de rencontrer des conflits d’intérêts ?
Effectivement, cela peut poser une réelle difficulté. C’est une situation, en notre qualité de conseils de cadres dirigeants français impliqués dans des procédures américaines ou anglaises, à laquelle nous sommes confrontés notamment avec les DPA qui peuvent être négociés par les employés de nos clients.
Il est vrai que les intérêts peuvent, dans certains cas, être différents. Mais cela n’est aucunement systématique, au contraire même. Il n’y a pas nécessairement une rupture, heureusement d’ailleurs !

Nous sommes au début du quinquennat Macron. Quelles sont les mesures que doit prendre le gouvernement en matière de justice ?
La première est évidente : la justice française et particulièrement pénale manque clairement de moyens. Il est urgent d’octroyer plus de moyens humains et matériels au fonctionnement de notre justice pénale. La situation ne cesse de se dégrader et nous le constatons au quotidien.
La seconde pourrait concerner l’accès à la profession de magistrats. Il serait, à mon sens, opportun et bénéfique que la magistrature accueille de manière significative des personnes issues de la vie civile et du monde des affaires. À l’instar de ce qui se fait aux États-Unis avec les procureurs, il conviendrait que les passerelles entre les métiers de juges et avocats soient plus nombreuses. Je suis convaincu que cela enrichirait grandement nos deux professions, permettrait une meilleure fluidité dans nos échanges, pour une justice encore plus efficace. 

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