Le cabinet LVI Avocats Associés fait figure de référence sur les questions liées aux métiers de l’immobilier et déploie, notamment, une expertise forte en matière de droit de l’urbanisme et de l’aménagement. Bernard Lamorlette, associé-fondateur du cabinet, analyse les évolutions récentes de cette pratique.

Décideurs. Quelle est l’opération phare du cabinet sur cette dernière année ?

Bernard Lamorlette. Nous avons travaillé ces vingt derniers mois sur une opération francilienne assez médiatique : le triangle de Gonesse (280 hectares), où devait être développée une vaste opération récréative, ludique, sportive et commerciale avec le groupe Auchan et un groupe d’investisseurs chinois, en coordination avec les collectivités locales. Le président de la République a toutefois décidé de stopper l’opération l’an dernier. L’aménageur de la ZAC étant Grand Paris Aménagement, donc étatique, il en avait le pouvoir. Les collectivités, que nous représentons, avaient la volonté de mener à terme cette vaste opération vertueuse en matière d’activités et d’emplois, tout en préservant le caractère semi-rural des espaces. Quelques espaces avaient en outre été sanctuarisés pour la mise en œuvre de l’opération. Toutefois, il y a eu une annulation il y a un an et demi de la ZAC et du PLU. Nous avons donc fait en sorte de contester ces annulations devant le juge d’appel et nous avons été entendus. À charge pour les collectivités de se concerter avec l’État pour envisager une autre opération adaptée en remplacement de la première. Le 7 mai dernier, le Premier ministre a confirmé la réalisation d’un projet alternatif de 110 hectares. Cela a évité un contentieux indemnitaire. Espérons que la relance de ce territoire ne générera pas de nouveaux recours, avec jusqu’à 29 moyens d’annulation, comme cela a été le cas devant le juge du fond. 

Quels sont les développements envisagés pour le département immobilier ?

Outre le développement d’un bureau en Bretagne et d’un spanish desk à Paris dédié aux investissements croisés France/Espagne, j’ai développé un département transactions auprès de nos clients désireux d’arbitrer des biens de leurs patrimoines. Il intéresse également certains propriétaires français et internationaux ayant une logique de cession ou d’acquisition avec des problématiques complexes. Ainsi, au cours des huit derniers mois, nous avons reçu pour plus de 1,5 milliard d’euros de "LOI" et accompagné des acquéreurs sur des hôtels particuliers à Paris (jusqu’à 250 millions d’euros), sur des hôtels en province (150 millions d’euros) ou à Paris (380 millions d’euros) ou des ensembles tertiaires (430 millions d’euros). Les acheteurs russes sont restés très actifs durant le confinement. Les investisseurs de pays du Golfe ont, depuis peu, fait leur réapparition.

"La combinaison de la pandémie et des élections municipales a fortement ralenti l’activité"

Quelles sont les nouvelles problématiques que la crise a fait naître en droit de l’immobilier ?

La combinaison de la pandémie et des élections municipales a fortement ralenti l’activité. Nous avons constaté le repli des services instructeurs en télétravail. La pré-instruction, c’est-à-dire l’action de présenter des demandes de permis avant le dépôt officiel des dossiers, n’a plus été opérée entre mars et juin 2020 dans la pratique, même sur des communes importantes. Cela a conduit les opérateurs à déposer, malgré tout, leurs projets, alors même qu’ils n’étaient pas pré-validés par les services instructeurs. Ce mécanisme a généré un certain nombre de permis tacites faute de réponse. La deuxième conséquence, difficilement compréhensible, a été le nombre conséquent de refus, mal motivés, sur des communes qui n’en avaient pas l’habitude. Et ceci sans parler des permis tacites retirés dans certaines communes. Nous avons donc eu affaire à un rallongement des délais d’instruction, y compris dans des communes qui n’ont pas changé d’étiquette politique. On observe en effet une "volonté verte" généralisée et, par conséquent, un principe de limitation de l’urbanisation. À titre d’exemple, les équipes municipales de certaines communes d’Île-de-France ont préféré, dans certaines situations, gérer le contentieux issu d’un retrait de permis délivré, plutôt que d’assumer un permis de construire à défendre face à des riverains requérants. Il y a, en effet, à la disposition des communes, toute une palette de moyens techniques et juridiques pour retarder ou refuser des permis. Tout cela génère une certaine instabilité dans les promesses de vente, ainsi que dans la conduite des projets.

Quelles sont les nouvelles tendances de l’urbanisme?

On peut pointer les difficultés persistantes liées au verdissement du droit de l’urbanisme. Le droit de l’environnement pénètre celui de l’urbanisme et cette prise en compte, qui existait antérieurement avec les sols pollués ou la loi sur l’eau, se renforce aujourd’hui. Ainsi le juge administratif explore dans le détail le contenu des études environnementales. En matière de planification, deux difficultés se distinguent : le nombre de normes qui viennent s’empiler et s’appliquer, de manière directe ou indirecte, aux PLU et aux permis de construire. Aux orientations des schémas de cohérence territoriale (SCOT), aux dispositions particulières des lois "Montagne" et "Littoral", sont venus s’ajouter d’autres normes thématiques et des principes généraux que retient parfois la juridiction administrative. Une autre difficulté découle de l’organisation intercommunale. L’intercommunalité peut avoir du bon, notamment dans l’instruction des permis, mais porte une difficulté majeure : le "qui fait quoi ?" Certaines communes restent maîtresses de leur PLU, d’autres sont passées en intercommunalité. Cela constitue une vraie difficulté dans l’organisation des services et dans la gestion du temps d’adaptation en vue d’une modification. Un sénateur, dans le cadre d’une commission sur la simplification du droit, m’avait demandé, il y a quelques années, quelle préconisation je pouvais lui soumettre ? Je lui ai répondu : "Que l’on n’ait plus à se revoir !" Avec cet empilement de normes, l’intelligibilité de l’ensemble est de plus en plus difficile. Une autre tendance émerge du fait de l’attribution de nouveaux pouvoirs au juge administratif: plutôt que d’annuler systématiquement les permis en cas de manquements, elle permet au juge d’octroyer des délais de régularisation des éléments illégaux détectés. En somme, si des audits juridiques n’ont pas été effectués en amont et qu’un recours en annulation peut révéler une irrégularité au sein d’un permis, le juge n’a plus comme seule possibilité l’annulation mais est libre de constater le caractère mineur de l’irrégularité et de prononcer un sursis pour permettre une régulation.

"On peut pointer les difficultés persistantes liées au verdissement du droit de l’urbanisme"

Comment organiser la sécurité contractuelle et juridique des projets fonciers ?

Il faut accorder une plus grande attention aux promesses de vente et à leur exécution. Avec la pandémie et l’allongement des délais, nous avons été confrontés à un certain nombre de problématiques propres à la validité ou à la caducité de promesses de vente. La rédaction de ces promesses doit faire l’objet d’une attention particulière pour éviter certains écueils. Nous observons parfois des promesses déjà signées, comportant des clauses antagonistes entre elles. Il y a également la question de la maîtrise foncière qui conduit parfois les communes à missionner des Établissements publics fonciers (EPF) pour s’occuper des portages de terrains. En réalité, ceux-ci pourraient être développés normalement, dans un cycle d’économie privée, avec une discussion entre les élus et ses propriétaires. Ces discussions aboutissent souvent à des expropriations a priori évitables. L’EPF devient dans ce cas le bras opérationnel de la commune, avec une interface beaucoup plus éloignée de ce que l’on pourrait attendre d’une équipe municipale. Tout ça n’est pas facteur de sérénité juridique. En outre, le déficit de clarté rédactionnelle dans les documents d’urbanisme, notamment dans les PLU, est loin d’être résolu. Ils comportent encore beaucoup trop de dispositions mal rédigées. On doit également relever l’absence de lexique (ce qui faciliterait pourtant grandement la compréhension du règlement), et parfois même des prescriptions contradictoires. C’est également un sujet d’insécurité juridique qui pourrait être jugulé par une meilleure rédaction. Je le dis en ayant été moi-même élu local. En dernier lieu, et c’est peut-être le prélude à une pratique nouvelle, le législateur a souhaité ouvrir la possibilité aux collectivités locales de faire instruire les dossiers de demande de permis par des opérateurs privés, c’est-à-dire d’externaliser l’instruction de ces demandes de permis qui lui sont déposées. Cette nouveauté ne doit pas exclure la décision finale prise par le maire mais cette pratique d’externalisation peut permettre à certaines collectivités de rationnaliser la pratique et les délais d’instruction.

Propos recueillis par Alban Castres

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