Ombre des sanctions extraterritoriales américaines sur les entreprises européennes, réponse politique de l’UE, hypothèse d’une exclusion de la Russie de la clause de la nation la plus favorisée… Bernard Cazeneuve nous livre son analyse des enjeux posés par la crise ukrainienne. L’ancien Premier ministre sera présent à la soirée de soutien à l’Ukraine organisée par Leaders League le 28 mars et appelle à une solidarité collective.

Décideurs. Vous avez accepté de participer à la soirée Urgence Ukraine & Démocratie organisée par Leaders League lundi 28 mars prochain. Quel message souhaitez-vous faire passer aux entreprises et invités qui y seront présents ?

Bernard Cazeneuve. Il faut bien prendre la mesure de la césure qui est en train de s’opérer dans le monde. Si la mondialisation a été confrontée à un ralentissement en 2008 après la crise des subprimes, elle s’inscrit aujourd’hui dans une perspective de recul plus net encore, non seulement du fait de la crise sanitaire, mais en raison de l’impact de la guerre déclenchée par la Russie sur l’économie mondiale. La pertinence de la mondialisation, telle que nous l’avons connue jusqu’à une période récente, se heurte aux enjeux de souveraineté qui obligent les pays à organiser leurs économies, et notamment leurs industries, de telle sorte qu’elles puisent en elles-mêmes les ressorts de leur résilience.

L’initiative de la soirée Urgence Ukraine et Démocratie nous rappelle que l’enjeu auquel nous sommes confrontés aujourd’hui n’est pas simplement économique, c’est aussi un enjeu de solidarité. Notre capacité commune à faire face à la guerre en Ukraine, en tant que Français, en tant qu’Européens, dessine l’avenir de la démocratie sur notre continent. Les Ukrainiennes et Ukrainiens aspirent à la liberté. Il est de notre responsabilité de les soutenir et d'œuvrer à la paix, non seulement en soutenant les solutions multilatérales sur le plan international, mais en organisant les conditions de l’accueil des réfugiés ukrainiens qui ont plus que jamais besoin de notre soutien. Ne pas aider les Ukrainiens à sauver la liberté qu’ils chérissent et dont ils furent longtemps privés reviendrait à renoncer à terme à la nôtre.

"Ne pas aider les Ukrainiens à sauver la liberté qu’ils chérissent et dont ils furent longtemps privés reviendrait à renoncer à terme à la nôtre"

Quelle est votre analyse de la guerre en Ukraine et de la décision de Vladimir Poutine d’attaquer son voisin ?

La guerre en Ukraine met un terme à la séquence ouverte par la chute du mur de Berlin, en 1989. Elle est le fait de Vladimir Poutine, qui a organisé l’agression d’un État voisin et souverain. À travers l’Ukraine, ce sont surtout des principes et des valeurs depuis longtemps portés par l’Union européenne qui sont également visés, et ce, depuis Maidan. Pour Poutine, le droit de ses voisins à être des démocraties libérales, à disposer de leur propre destin, de désigner leurs gouvernements semble difficilement concevable, comme la construction d’une Europe démocratique d’ailleurs. Il faut par ailleurs dénoncer le comportement des troupes russes en Ukraine, qui multiplient les crimes sur les populations civiles, y compris les enfants, comme cela s’était déjà produit en Tchétchénie et en Syrie.

Il nous faut donc sortir de la crise et protéger le peuple ukrainien. Et si la voie diplomatique doit être privilégiée, elle passera nécessairement par le maintien d’un soutien direct à l’Ukraine, y compris par la fourniture d’armes et par la fermeté des sanctions contre le régime de Vladimir Poutine. Du point de vue de la France, la guerre aura nécessairement un impact sur nos concitoyens et sur le sentiment qu’ils peuvent avoir de leur propre sécurité. De là vient le fait que les peuples et les gouvernements d’Europe prennent soudainement conscience de l’effort qu’ils doivent consentir pour assurer, par eux-mêmes, leur défense.

Que pensez-vous de la réponse de l’Union européenne à la guerre en Ukraine, tant sur le plan humain que sur celui de la politique des sanctions qui a été adoptée ?

L’Union européenne opère un basculement politique inédit, qui va dans le sens de l’affirmation de sa raison d’être et la conduit à agir comme une puissance responsable, depuis le début de la crise, que ce soit par la batterie de sanctions prises, le gel des avoirs de la banque centrale russe ou la suspension du système Swift par exemple. La pression exercée sur Moscou se veut donc forte et continue.

Par ailleurs, l’accueil des réfugiés ukrainiens et leur répartition entre les différents pays de l’Union ont déjà commencé. Il faut poursuivre dans cette voie, en amplifiant notre soutien aux populations déplacées et traumatisées par un conflit qui peut durer encore longtemps. Les mécanismes à disposition de la Commission doivent être activés, afin de rendre effective la solidarité dans l’accueil des réfugiés.

Les sanctions doivent être durcies et pour ce faire il nous faut nous affranchir peu à peu de la dépendance au gaz russe, en nous dotant des moyens de notre indépendance énergétique, par le recours à d’autres sources d’énergie, comme le nucléaire, qui est une solution de long terme qu’il faut conforter. À ce titre, les pays les moins dépendants de la Russie, et notamment la France, doivent montrer l’exemple.

"Il faut amplifier notre soutien aux populations déplacées et traumatisées par un conflit qui peut durer encore longtemps"

Les entreprises européennes doivent-elles craindre les sanctions extraterritoriales américaines, à l’image, notamment, de celles infligées à Alstom, la BNP ou Total ?

On peut le penser. Les États-Unis pratiquent l'extraterritorialité de leur droit de longue date afin d’atteindre leurs objectifs diplomatiques ou politiques extérieurs : ils n'hésiteront donc pas à poursuivre dans cette voie, dans le cas présent, surtout si le conflit est amené à durer et que les crimes de guerre se maintiennent voire s’amplifient. Il faut bien prendre la mesure de la situation. Le business as usual n’est plus une option. Pour éviter les risques réputationnel et juridique qui ne manqueraient pas de surgir et de peser lourdement sur l’avenir de nos entreprises en cas de non-respect scrupuleux des sanctions, celles-ci doivent se montrer prudentes. Toutefois, observons qu’à la différence de ce que nous avons connu dans le cas de l’Iran, les approches américaines et européennes sont cette fois alignées et coordonnées.

La Russie doit-elle être exclue de la clause de la nation la plus favorisée de l’OMC, comme c’est envisagé par les États-Unis et l’UE ?

Oui, la pression juridique et économique la plus totale doit être exercée sur Vladimir Poutine, et ce, pour atteindre deux objectifs : celui de rendre le coût économique de la guerre insupportable et empêcher la mobilisation de l’économie russe à son profit. C’est par cette voie et en évitant l’escalade militaire que l’on peut ramener Poutine à privilégier l’issue diplomatique et à trouver une sortie à un conflit qui sème partout la désolation. Le système du commerce mondial est déjà fragilisé depuis de nombreuses années et l’OMC est de moins en moins une instance centrale d’équilibre et d’arbitrage, face à la logique de “blocs” économiques qui s’affrontent sur le plan mondial. Il nous faut désormais intégrer cette réalité dans nos raisonnements.

"À la différence de ce que nous avons connu dans le cas de l’Iran, les approches américaines et européennes sont cette fois alignées et coordonnées"

Des plaintes ont été déposées devant la Cour pénale internationale. Le 16 mars, la Cour internationale de justice a ordonné à la Russie de “suspendre immédiatement” ses opérations militaires en Ukraine. Pensez-vous que la CIJ est respectée, sur le plan diplomatique ? Le droit international est-il efficace ?

Le droit international est un outil efficace quand il est respecté. Or, depuis de trop nombreuses années, il a été miné par des actions pour le moins problématiques des États. En particulier, l’invasion de l’Irak en 2003 a été une véritable remise en cause du respect du droit international, de l’efficacité du multilatéralisme et des institutions multilatérales, au premier rang desquelles l’ONU. Cette remise en cause s’est aussi manifestée lors de la crise syrienne, où la Russie elle-même a foulé aux pieds le cadre juridique international.

Ces réserves étant posées, il faut toutefois bien voir que la décision de la CIJ participe à isoler plus complètement la Russie. C’est concrètement une victoire diplomatique pour l’Ukraine. Elle sera essentielle dans le futur quant à la question des réparations de guerre. D’autre part, elle met la Russie dans une situation extrêmement rare de non-application d’une décision de la CIJ, ce qui accentue de fait son isolement par rapport à la communauté internationale. Le droit international et la CIJ n’ont pas la capacité de contraindre immédiatement la Russie, mais ces éléments participent indéniablement à la pression diplomatique exercée sur Vladimir Poutine et son régime.

Le Club des Juristes, que vous présidez, a-t-il mis en place une réflexion ou des mesures particulières ?

Le club des juristes a mobilisé de nombreux experts et chercheurs, et ce, depuis le début de la crise, afin d’en analyser avec précision les différents aspects. Sur le plan juridique, mais aussi celui de la défense ou encore celui du soft power, nous avons mis en ligne 18 publications, qui sont autant d’éclairages précieux face à cette crise.

Propos recueillis par Olivia Fuentes

 

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Cette soirée se déroulera le lundi 28 mars au Pavillon d’Armenonville à Paris de 18h30 à 22h30.

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