Au Japon, une sérénité mise en doute par le Coronavirus

Le Japon a rapidement maîtrisé la propagation du Covid-19. Jusqu'à afficher une certaine insouciance, malgré une menace toujours présente. À tel point que l’état d’urgence n'a été déclaré que sous la pression de l’opinion publique et des médecins.
Cette année encore, avec l'apparition fin mars des premières fleurs de cerisiers, l'hanami a attiré des milliers de Japonais dans les parcs. Le contraste avec les capitales européennes, enfermées dans la lutte contre le Covid-19, ne pouvait être plus saisissant.
Et pourtant, dès l'apparition des premiers cas, en janvier, les mégapoles du Japon semblaient cernées par leur proximité avec la Chine et la Corée du Sud, où les cas s'envolaient. Sa population – 35,88 millions de Japonais ont plus de 65 ans – faisait craindre de nombreuses victimes à venir. Mais très rapidement, la courbe épidémique s'est aplatie, n'annonçant que rarement plus de 500 nouveaux cas par jour, pour un bilan officiel de 400 décès fin avril.
Une distanciation culturelle
Un succès porté par l'adoption sans peine des gestes barrières : lavage des mains et distanciation physique font déjà partie de la culture japonaise. Tout comme le port de masques. Le Japon, malgré sa production nationale élevée, n'a pourtant pas échappé aux pénuries. Mais les stocks détenus dans chaque foyer, renouvelés chaque hiver pour se protéger de la grippe, ont limité ce risque.
Sans oublier un système de santé dessiné pour la prise en charge à l'hôpital des personnes âgées. On comptait ainsi, en 2017, près de 13,1 lits pour 10 000 habitants au Japon, contre 6 en France. Une politique coûteuse, en pleine réforme pour privilégier les soins à domicile, mais qui protège aujourd'hui les plus fragiles face à l'épidémie.
Un plan pour encourager ses industriels à quitter la Chine
Depuis le début de l'épidémie, le Premier ministre Shinzo Abe s'est attaché à protéger l'économie. Un important plan de soutien de 915 milliards d'euros a été annoncé. Il prévoit notamment une enveloppe de plus de 2 milliards d'euros pour aider ses entreprises, en particulier dans le secteur électronique, à déplacer des capacités de production actuellement en Chine vers le Japon ou un pays tiers.
Le Japon, malgré sa production nationale, n'a pas échappé aux pénuries
Le gouvernement japonais a par ailleurs ajouté mi-avril l'industrie de la santé à la liste de ses secteurs stratégiques, qui font l'objet d'une enquête systématique pour toute prise de participation de capital supérieure à 1 % par un groupe étranger. Une façon de les protéger des influences étrangères, et d'éviter le risque de détournement de produits de santé stratégiques, comme les vaccins, médicaments, les masques ou encore les respirateurs.
Rassurer une population…
Comme Taïwan, le Japon s'est rapidement méfié des informations rassurantes de la Chine voisine, en réduisant drastiquement ses liaisons aériennes. En janvier, près d'un million de chinois se sont rendus au Japon. Ils n'étaient plus que 89 000 en février. Mais pour le reste, Tokyo s'est surtout contenté de recommandations : les écoles fermées ont accueilli les enfants plusieurs semaines durant pour faire leurs devoirs. Le télétravail, conseillé, n'a pas tellement convaincu les entreprises, et les bars et restaurants ont été autorisés à rester ouverts pendant la journée. Surtout, aucun dépistage massif de la population n'a été organisé en dehors des principaux clusters.
Une stratégie assumée par Shigeru Omi, épidémiologiste et conseiller du gouvernement japonais, qui veut d'abord éviter une vague d’inquiétude démesurée au sein de la population. Une façon de reconnaître aussi que les chiffres sont sous-estimés, et que la mortalité est sans doute plus élevée que celle affichée officiellement.
… qui s'inquiète de plus en plus
Mais si l'épidémie est stabilisée, elle ne diminue pas encore, et semble même s'accélérer dans certaines préfectures. Progressivement, les hôpitaux entrent en zone rouge. Tokyo, qui compte 848 lits de soins intensifs, accueille ainsi 903 patients atteints d'une forme grave de Covid-19.
Sous la pression de la population, l'état d'urgence a finalement été décrété le 7 avril par le gouvernement, toujours miné par ses hésitations et ses considérations économiques. À tel point que les autorités locales ont fini par prendre le relais, en multipliant les alertes et en imposant des mesures coercitives dans les régions les plus touchées. Jusqu'à la mise à l'arrêt, le 25 avril, des grandes villes japonaises, où le trafic a soudainement chuté. Une prise de conscience volontaire, sans doute salvatrice, qui marque aussi la fin de l'exception japonaise, face à un Coronavirus bien difficile à éliminer.
Fabien Nizon
Retrouvez ici notre dossier spécial "Gagner la guerre sanitaire"
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