Par François Muller, avocat associé, et Caroline Duclercq, avocat. Altana
Justice conventionnelle reposant sur la seule volonté des parties, l’arbitrage devrait naturellement être marqué par la bonne foi procédurale. Mais l’arbitrage, comme les procédures judiciaires, n’échappe pas à la mauvaise foi de certains cocontractants et à leurs tactiques déloyales. Afin d’éviter une condamnation, certains n’hésitent pas à organiser leur insolvabilité.


Comment anticiper ou affronter une stratégie procédurale s’appuyant sur les principes d’ordre public de la faillite pour échapper à l’arbitrage ?

Les principes gouvernant l’arbitrage et la faillite
Le principe, en droit français, est clair : la faillite d’une des parties suspend la procédure arbitrale en vertu de l’art. 369 CPC, applicable par renvoi de l’art. 1471 du même code. La jurisprudence est également sans ambiguïté : le principe de la suspension des poursuites individuelles  est d’ordre public interne et international. La suspension ne met cependant pas fin de manière définitive à l’arbitrage puisque, dès lors que le créancier a déclaré sa créance et mis en cause l’organe de la procédure collective, il est possible de poursuivre la procédure. L’arbitrage ne pourra tendre, en revanche, qu’à la fixation de la créance et non à la condamnation au paiement du débiteur. Si ce principe est légitime au nom de l’égalité des créanciers et du dessaisissement du débiteur, sa mise en œuvre peut être déloyale et lourde de conséquences pour le créancier de bonne foi.

... instrumentalisés par des tactiques déloyales
La faillite peut être utilisée par un débiteur indélicat comme une véritable stratégie pour tenter de neutraliser une procédure arbitrale, en cours d’instance, au stade de la sentence ou de son exécution. En effet, si le siège de l’arbitrage est en France ou si l’exécution de la sentence y est demandée, le juge de l’annulation ou de l’exequatur doit s’assurer que le principe de la suspension de la procédure a été respecté, sans quoi la sentence peut être annulée ou l’exequatur refusé. Par ailleurs, les fluctuations jurisprudentielles actuelles sur la détermination de la loi applicable à la faillite - entre loi d’incorporation de la société en faillite, règles de conflit de lois et règlement CE n°1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité - ne contribuent pas à garantir au créancier de bonne foi la loyauté procédurale de son débiteur. Quels sont les moyens dont dispose le créancier de bonne foi, confronté à un risque de faillite organisée qui ferait de lui au mieux un simple créancier chirographaire ?

Comment «prévenir» ces tactiques ?
Avant d’engager l’arbitrage, tout créancier diligent contrôle la santé financière de la partie adverse afin de s’assurer que cette dernière pourra, le cas échéant, supporter les condamnations ; tout au long de la procédure, des vérifications régulières doivent perdurer.
En cas de soupçon d’organisation d’insolvabilité, le créancier peut alors envisager :
- dès le début de la procédure, d’attraire à l’arbitrage la société mère : si certains cocontractants n’hésitent pas à vider une filiale de ses actifs, il est bien plus compliqué de le faire pour une société mère. Le créancier peut, dans certaines conditions et sur le fondement de l’extension de la clause compromissoire dans les chaînes de contrats ou aux groupes de sociétés, tenter d’attraire la société mère dans la procédure. Dans ce cas, le tribunal arbitral pourra, en fonction des faits de l’espèce, déclarer la filiale et la société mère responsables conjointement, permettant ainsi au créancier de recouvrer sa créance auprès de la société mère en cas d’insolvabilité de la filiale. La jurisprudence française actuelle, favorable à l’extension de la clause compromissoire (une clause compromissoire a ainsi pu être étendue à un tiers, « objet » du contrat), pourrait ainsi permettre de prévenir l’organisation de la faillite de la filiale.
- en cours d’instance, une sentence ou une ordonnance de « Security for costs » en vue de recouvrer au moins les frais engagés pour la procédure arbitrale. Cette procédure vise tout particulièrement les stratégies d’organisation de l’insolvabilité car si «le fait qu’une partie soit dans une situation financière délicate ou soit l’objet d’une procédure collective ne suffit sans doute pas en soi à fonder une demande de caution [il] peut en aller différemment lorsqu’une partie semble avoir organisé son insolvabilité». On retrouve d’ailleurs cette pratique de «security» dans les règlements CCI (art. 28) ou encore LCIA (art. 25.2). Il est cependant conseillé, pour des raisons d’exécution, de solliciter une sentence plutôt qu’une ordonnance.
- en cours d’instance, une demande de saisie conservatoire devant le juge de l’exécution en application de l’art. 1468 CPC afin de saisir des biens en vue de l’exécution de la sentence.

De leur côté, juges et arbitres soulignent la portée générale de l’obligation de bonne foi des parties dans la procédure : pour la première fois le 6 mai 2009, puis très récemment le 19 décembre 2012, la Cour de cassation a expressément rappelé que la loyauté procédurale est un principe du droit processuel que les parties se doivent de respecter. Sur le fondement de l’estoppel, application du principe général de loyauté, la Cour a retenu que l’attitude procédurale d’un liquidateur pleinement informé et mis en cause s’étant volontairement abstenu de participer à la procédure arbitrale constituait une collusion frauduleuse tendant à se réserver un moyen de recours contre la sentence. Elle a par conséquent rejeté ce moyen d’annulation de la sentence9. Le juge de l’exécution semble également vigilant, refusant d’écarter l’exécution provisoire -de droit en matière internationale- malgré les allégations de risque de cessation des paiements (Ord. CA Paris, pôle 1, ch. 5, 13 juil. 2012, no12/11616). Ces tendances permettront-elles de déjouer efficacement d’éventuelles manœuvres déloyales basées sur la faillite ?


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