La pérennité des groupes familiaux repose notamment sur l’existence de structures de gouvernance efficaces et acceptées par tous les actionnaires. Il est essentiel de les mettre en place dans une logique d’anticipation des crises, en particulier pour préparer sereinement la transmission de l’entreprise.

Décideurs. Les groupes familiaux ont-ils plus de difficultés que les autres à gérer leurs problématiques de financement ?

Nicole Goulard. La plus grande différence réside dans la gestion du facteur temps. Les groupes familiaux s’inscrivent dans une relation de confiance avec leurs partenaires et notamment avec les banquiers. Ce lien permet aux dirigeants d’anticiper au mieux leurs besoins de financement. Il en va de même pour les aspects liés à la gestion de la trésorerie et du cash-flow. Certains pourraient, à ce titre, penser que la gestion financière d’un groupe familial serait moins performante que celle d’une société au capital diversifié en raison notamment de l’utilisation d’outils plus traditionnels. Il n’en est rien et cela représente à mon sens l’une des caractéristiques les plus importantes des entreprises familiales.

Delphine Bariani. Il est évident que les problématiques vécues seront différentes selon la taille des entreprises concernées et leur degré de maturité. Pour se financer, les groupes familiaux de taille moyenne disposent d’un large éventail de solutions. Outre le prêt bancaire, ces entreprises ont accès à des modes de financement désintermédié au travers, par exemple, des acteurs du financement unitranche ou des fonds de dettes mezzanines ou en capital. Ainsi, accompagnés par des partenaires financiers offrant tout un panel de solutions dans le cadre de prises de participations minoritaires, certains groupes familiaux se sont développés tout en conservant un ancrage important de leur actionnariat familial. Une situation très appréciée par ces derniers.

« Les fonds d’investissement minoritaires permettent à l’actionnariat familial de conserver un ancrage important dans la société »

La gouvernance est l’un des sujets clés pour un groupe familial. Une entreprise cotée est-elle mieux préparée à ces questions ?

N. G. Contrairement à ce que l’on peut penser, les entreprises non cotées disposent très souvent d’une gouvernance mieux structurée que certaines sociétés cotées. En fait, cette question dépend essentiellement de l’environnement dans lequel elles évoluent. Dans les groupes familiaux, ces problématiques sont plus ou moins bien traitées selon leur histoire et le poids que peut avoir le patriarche ou le dirigeant historique dans la conduite opérationnelle et stratégique du groupe. Il est à ce titre bien évidemment conseillé d’évoquer les questions de gouvernance avant que le fondateur n’ait passé la main.

D. B. Je rejoins totalement ces propos. Il est vital pour les groupes familiaux d’anticiper les questions relatives à la gouvernance. La fonction des dirigeants dépasse ici largement le cadre de leur seule activité professionnelle, qu’ils soient mandataires sociaux ou directeurs opérationnels. Dans ce cas de figure, le dirigeant est aussi actionnaire, souvent au même titre que ses frères et sœurs ou d’autres membres de sa famille. Or, parfois, tous n’ont pas de rôle opérationnel au sein de l’entreprise. Pour prévenir tout conflit qui serait préjudiciable à la pérennité du groupe familial, il est donc fortement recommandé de délimiter le rôle et le pouvoir de chacun et de mettre en place de façon concertée des politiques de distribution et de liquidité efficaces.

Vos clients ont-ils conscience de ces risques ?

N. G. C’est un sujet parfaitement identifié mais il est difficile de faire avancer rapidement les solutions. En pratique, les conflits entre les actionnaires familiaux opposent souvent ceux ayant un rôle actif, c’est-à-dire avec des responsabilités managériales, et les actionnaires passifs. Quelles sont les compétences dont doit disposer l’actionnaire pour jouer un rôle opérationnel dans l’entreprise ? Quelles prérogatives donner aux conjoints ? Quelles sont les personnes à placer dans la charte familiale ? Autant de questions qu’il est nécessaire d’aborder pour trouver le meilleur équilibre entre les intérêts de chacun.

D. B. Dans un groupe non familial, il est très fréquent que les actionnaires et les dirigeants n’aient pas systématiquement des intérêts alignés. Leurs objectifs sont parfois différents, alors qu’au sein d’un groupe familial, la distinction est beaucoup plus nuancée.

N. G. L’affect entre actionnaires familiaux est une donnée importante. Il faut souvent jongler avec les frustrations de chacun et les incompréhensions qui peuvent subsister entre les actionnaires jouant un rôle actif au sein de la société et les autres. Il est par ailleurs toujours difficile d’aligner les intérêts de l’ensemble des actionnaires familiaux. Il peut donc être opportun de faire appel à plusieurs avocats afin que les différentes forces en présence puissent exprimer et faire entendre plus facilement leur point de vue.

D. B. Autre donnée essentielle de ces discussions : la confidentialité. Lorsqu’un conflit naît dans un cadre familial, il se situe très rapidement en dehors de la sphère juridique ou financière. Il faut aussi garder à l’esprit que l’antagonisme révélé peut se poursuivre sur plusieurs générations. Cet état de fait doit conduire à anticiper au maximum toutes ces questions.

« Pour les entreprises familiales, la vente peut parfois être une meilleure solution qui permet de laisser éclore de nouveaux talents et de nouveaux projets »

Le moment de la succession est-il un sujet tabou pour les entreprises familiales ?

D. B. En général, non. Et il ne doit pas l’être. Pour les entreprises familiales, la notion de pérennité est très importante. Bien sûr, dans la mesure du possible, le dirigeant aimerait que l’un des membres de sa famille perpétue l’activité. Néanmoins, cela ne veut pas dire que la famille doit rester à tout prix au capital, la vente peut parfois être une meilleure solution permettant de laisser éclore de nouveaux talents et de nouveaux projets.

N. G. Au-delà de l’aspect stratégique, la dimension fiscale est aussi très importante. C’est pourquoi, il est essentiel de réfléchir en amont aux portes de sortie qui s’offrent à la famille et aux dirigeants. Chaque entreprise est différente. Il n’existe pas de solution toute faite. Il faut mettre en place des mesures au cas par cas pour répondre aux besoins de chacun. Quelle liquidité propose-t-on aux petits actionnaires ? Comment les désintéresse-t-on ? À ce titre, la politique de distribution est primordiale.

Pour une entreprise familiale, quels sont les enjeux lors d’une cession ?

D. B. Les particularités sont liées au type d’actionnariat. Comme il est souvent éclaté, les acquéreurs ne savent pas à qui s’adresser directement. Le process peut également prendre plus de temps. La vendor due diligence est notamment un sujet sensible. Mais c’est une étape utile pour garantir le succès de l’opération.

Comment faites-vous pour accompagner au mieux vos clients ?

N. G. Dès sa création, STC Partners s’est positionné comme le conseil privilégié des entrepreneurs et des groupes familiaux. Nous défendons quotidiennement les intérêts des entrepreneurs, dirigeants, actionnaires et investisseurs privés en les accompagnant dans la conception et la réalisation de leurs opérations structurantes. Notre force est de proposer une vision à la fois transactionnelle, organisationnelle et d’ordre patrimonial. Grâce à la double casquette juridique et fiscale, nous appréhendons tout le spectre de leurs problématiques et concevons des solutions souples, adaptables et innovantes.

D. B. D’ailleurs, très souvent, un client commence par venir nous voir pour un sujet de transmission avant de nous confier l’ensemble de ses problématiques juridiques. Sur de tels sujets, il faut faire preuve de beaucoup de pédagogie et de compétences transversales.

Propos recueillis  par Aurélien Florin et Vincent Paes

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail