Dans un contexte où de plus en plus de managers deviennent aujourd’hui repreneurs, il est essentiel pour eux de se faire accompagner au cours des opérations de MBO et MBI. Anne-France Grumel (Signadile), Denis Couderchet (Banque Populaire Rives de Paris), Bruno de Cambiaire (iXO Private Equity) et Tristan Henner (AB Couture) sont revenus sur le contexte, les enjeux et les stratégies de reprise des entreprises.

Décideurs. Les opportunités de reprises vont très certainement augmenter en cette période de relance. La culture de la reprise est-elle forte en France ? Les managers seront-ils nombreux à sauter le pas ?

Denis Couderchet. Historiquement, beaucoup de managers sont à la recherche d’entreprises, qu’ils soient déjà présents dans celle-ci – management buy out – ou bien qu’ils viennent de l’extérieur – management buy in.

Anne-France Grumel. L’esprit d’entreprendre n’est pas nouveau en France, en témoigne nos nombreuses start-ups. La spécificité de la reprise c’est que l’on cherche des profils différents d’un créateur. Le repreneur sait, sur une base, développer et amener une société à un haut niveau de performance.

Bruno de Cambiaire. Nous voyons, depuis de longues années maintenant des opérations de transmissions. La complexité de cet exercice réside dans la nécessité de trouver une bonne adéquation entre la cible et les capacités managériales des repreneurs, qu’ils viennent de la société ou de l’extérieur. Les MBO et MBI sont de véritables aventures qui représentent une grande majorité de notre activité – près de 90 %.

Lors de ces opérations, la question du timing paraît centrale. Quels aspects doivent être regardés de près avant toute transmission ?

A. – F. G. Du point de vue du dirigeant il faut qu’il soit prêt à accepter qu’il ne dirigera plus sa société, qu’il va passer la main. Dès lors que ce déclic est passé, la transmission est beaucoup plus simple à mettre en place. Lorsque ce n’est pas le cas où pas entièrement, nous avons beaucoup plus de mal. L’important pour eux est de mûrir un projet pour après. Une fois que ce cap est passé, il est alors temps de voir si l’on recourt à un MBO ou bien un MBI. Sans cette base, il est impossible de réaliser une bonne transmission.

Garder le dirigeant historique peut-il être une bonne solution lors de la transition ou bien est-il préférable que cette dernière soit plus nette ?

A. – F. G. Cela dépend beaucoup de la personnalité du dirigeant. C’est souvent bon de procéder par étapes mais l’important reste qu’il soit prêt à ne plus piloter sa boîte. Si cette condition est remplie, sa présence lors de la transition ne peut qu’être bénéfique.

B. d. C. Avoir le dirigeant historique lors des mois suivants l’opération de transmission est aussi sécurisant pour l’entreprise. Cela permet une transmission par étape, du savoir, du pouvoir et du capital. En tant que fonds, notre rôle va au-delà de la simple ingénierie, nous ne sommes pas uniquement pourvoyeurs de fonds. Nous analysons réellement les différents acteurs de l’entreprise afin de pouvoir déceler un groupe de manager ou une personne qui va pouvoir se présenter en tant que leader et rassembler les équipes derrière un projet. Le fondateur peut être un rouage essentiel dans cette transmission et parfois cela peut se passer très bien dans la durée, mais aussi s’avérer très court s’il n’est pas prêt à ne plus être le dirigeant.

"Du point de vue du dirigeant il faut qu’il soit prêt à accepter qu’il ne dirigera plus sa société, qu’il va passer la main." Anne-France Grumel

Comment prépare-t-on un dirigeant qui va céder son entreprise pour la première fois afin de rendre ce moment plus lisse et moins angoissant ?

D. C. Comme le disait Anne-France, il faut qu’il soit prêt à céder. Il faut alors le mettre dans les meilleures conditions, mais le travail personnel d’accepter la cession lui revient. Pour le repreneur, il faut lui apporter le soutien nécessaire à ce qu’il puisse être dans la meilleure situation possible. Cela passe notamment par l’ingénierie financière, trouver les meilleures ressources pour monter à bien un montage qui lui conviendrait, plus ou moins agressif et aussi l’aider à bien s’entourer avec des conseils – avec les meilleurs avocats mais aussi conseils M&A, fonds et banquiers – mais également en interne pour soutenir son projet et le pérenniser dans l’entreprise.

Tristan Henner, vous avez décidé de sauter le pas et de prendre les rênes d’AD Couture dans une opération menée avec Signadile. Quelle est la genèse de celle-ci ?

Tristan Henner. Ce saut en avant s’explique par une volonté de changement, de faire autre chose. J’ai toujours fonctionné par cycles professionnels et ma première partie de carrière a été très riche. Après avoir travaillé en France, sur l’internationale mais aussi été expatrié, j’ai eu envie de vivre autre chose. Le timing était aussi le bon avec un alignement familial qui était prête à s’embarquer dans ce type d’aventure. La reprise d’une société s’est alors imposée à moi comme une évidence. Dans ces moments, les cabinets comme Signadile sont très utiles et nous accompagnent techniquement mais nous aide également à réfléchir pour mûrir le projet, le laisser éclore et trouver la bonne piste qui va nous épanouir sur les dix ou quinze prochaines années.

À quel moment de l’opération vous êtes-vous rencontrés ?

A. – F. G. Tristan est venu nous voir au tout début de sa réflexion de reprise, autour du printemps 2017. Le secteur n’était pas encore clair et nous l’avons accompagné dans sa réflexion.

T. H. Peu importe ce que l’on entreprend, il faut le faire de façon professionnelle et structurée. Dans les grands groupes nous sommes habitués à de grands chiffres, de puissantes organisations de conseil ou bancaire. En reprenant une PME avec quelques dizaines ou centaines de personnes ne justifie pas d’être moins rigoureux dans la démarche et il faut s’entourer de cabinets de conseils qui connaissent ce secteur, beaucoup plus humain mais tout aussi technique. Il était donc indispensable pour moi d’être accompagné par Signadile qui a l’habitude de cela.

Comment se déroule les quelques mois de reprises et ceux qui suivent l’acquisition ?

T. H. J’ai eu une période de reprise de six mois au total, dont trois à plein temps et trois à mi-temps.  Lors du premier mois, le plus important, il faut rencontrer l’ensemble des salariés, passer beaucoup de temps avec le cédant pour comprendre son mode de fonctionnement ainsi que sa vision. À ce stade je ne juge pas le bien-fondé ou non des pratiques mais intègre simplement les informations pour en apprendre le plus possible. C’est un exercice important que l’on aura plus le temps de faire par la suite. Du point de vue externe de la société il faut évidemment rencontrer les clients, pour établir une alchimie avec eux, mais aussi mes confrères de ce secteur qui était nouveau pour moi et dans lequel je n’avais pas encore de réseau.

"Peu importe ce que l’on entreprend, il faut le faire de façon professionnelle et structurée." Tristan Henner

Cette rencontre avec les acteurs du secteur peut-elle également se faire en amont ?

T. H. Dans un contexte idéal, c’est un véritable avantage de pouvoir le faire avant de signer l’opération. Ce ne fut pas possible dans mon cas. Cependant, il s’agit d’une prise de risque que l’on évalue, avec le fonds d’investissement qui sera mon partenaire dans cette aventure mais également avec les conseils de Signadile. Le tout est d’analyser si l’on est raisonnable ou non dans notre décision tout en gardant en tête que, lors de la reprise d’une société, l’information parfaite et le risque zéro n’existe pas. Il faut accepter, dans un contexte d’incertitude, de se lancer.

Comment s’est déroulée votre relation avec vos partenaires et conseils et comment avez-vous trouvé votre sponsor ?

T.H. Grâce à Signadile, j’ai pu rencontrer de nombreux de co-investisseurs potentiels donnant lieu à des échanges très riches qui nous ont fait progresser sur notre réflexion. Plusieurs points de vue sont souvent préférables à un point de vue unique, aussi bien informé soit-il. On ne pense pas toujours aux questions externes qui nous sont posées.

Ces rencontres sont aussi une histoire d’Hommes, il est nécessaire que la relation établie avec le fonds d’investissement soit établie sur la base d’un partenariat afin qu’il ne soit pas uniquement un pourvoyeur d’argent. Les investisseurs sont bien régulièrement les actionnaires majoritaires, il ne faut pas l’oublier, et la transparence et la disponibilité des informations se doivent d’être totales. Sans ces informations, notre partenaire ne peut pas nous poser les bonnes questions, il ne s’agit pas de surveillance mais plus d’un accompagnement riche.

Du point de vue du partenaire, comment gérer cette relation afin de passer du co-investissement à la co-construction ?

B. d. C. Il faut établir une relation de confiance entre les managers et les investisseurs. Nous sommes dans une démarche d’accompagnement, à l’écoute et disponibles pour apporter nos expériences passées. Pour autant, la décision revient toujours au management. Nous sommes là dans un rôle de support, d’analyse afin d’éviter la prise de mauvaises décisions qui pourraient compromettre l’avenir de l’entreprise.

D. C. La gouvernance sera différente selon la typologie de fonds, qu’il soit majoritaire ou minoritaire. L’un des premiers aspects bien sûr c’est l’information, la communication de chiffres mais il y a également les grandes décisions qui peuvent être l’affaire des investisseurs s’ils sont actionnaires principaux. En dehors de cela, il s’agit d’une relation humaine, d’un accompagnement de moyens mais aussi pour apporter de la sérénité dans les prises de décisions du dirigeant, qui sera, à la fin, le seul à prendre les mesures pour sa société.

A. – F. G. Il faut aussi bien distinguer le small et le mid-cap. Bien souvent des dirigeants qui souhaitent reprendre une nouvelle entreprise viennent du mid-cap et n’ont pas du tout la même culture. Le dirigeant est central dans cette culture small-cap et il est fondamental qu’il soit bien accompagné.

D. C. Le dirigeant doit se renseigner sur les partenaires, notamment sur leur degré d’intrusion. Il s’agit d’un mariage avec, quasiment, un divorce annoncé puisqu’une opération dure généralement entre cinq et sept ans. Il est donc important de savoir avec qui l’on s’engage pour ne pas avoir de mauvaises surprises durant la durée de vie du projet qui peut avoir des hauts mais aussi des bas. Ce sont dans ces moments que cette relation est mise à rude épreuve et doit être bien établie.

"La gouvernance sera différente selon la typologie de fonds, qu’il soit majoritaire ou minoritaire." Bruno de Cambiaire

Quelles sont les raisons qui poussent les dirigeants à aller voir Rives Croissance ?

D. C. Nous sommes un partenaire en fonds propres bancaires, minoritaire exclusivement et qui ne participe pas aux organes de surveillance per se mais qui intervient lors d’un comité d’investisseurs, trimestriellement. Nous y échangeons avec le dirigeant pour l’aider sur la mise en place d’indicateur d’activité, de rentabilité afin d’avoir un suivi optimisé mais aussi pour préparer la suite, un bon reporting facilitant la potentielle future cession.

Qu’en est-il de IXO PE, qui intervient également en majoritaire ?

B. d. C. Nous sommes polymorphes, nous faisons aussi bien du minoritaire que du majoritaire. Il y’a de bons projets, le tout c’est d’être aligné avec les managers et familles actionnaires en intervenant très en amont. De plus nous offrons une véritable proximité géographique à nos partenaires puisque toutes les entreprises de notre portefeuille se situe à moins de deux heures de voiture qui nous permet d’être présents pour eux et les faire réfléchir sur ce que sera leur entreprise à l’avenir.

Chez Signadile, en plus d’accompagner vos clients à l’achat, vous proposez un accompagnement dans le leadership, comment cela se matérialise-t-il ?

A. – F. G. L’objectif était de se dire que, dans le milieu financier et du M&A, nous sommes très centrés sur la structuration financière alors qu’il s’agit avant tout d’une aventure humaine, notamment en small-cap. Si l’humain fonctionne bien les montages seront facilement mis en place et l’histoire sera plus belle. Au moment de trouver une cible pour un dirigeant, nous partons du principe qu’il existe des passerelles entre tous les secteurs. Il faut alors travailler ensemble, et c’est ce que nous avons fait avec Tristan qui passait de la grande distribution vers le luxe, sur leurs appétences et les raisons qui les poussent à s’intéresser à un nouveau domaine.

Par la suite nous nous attaquons à la partie humaine du projet, avec le cédant notamment afin que la négociation se passe au mieux mais également l’accompagnement comme nous l’avons évoqué.

"Le dirigeant doit se renseigner sur les partenaires, notamment sur leur degré d’intrusion." Denis Couderchet

Quels sont, pour vous, les ingrédients du succès dans le cadre d’une reprise ?

A. – F. G. Sur le premier mois, nous conseillons au nouveau dirigeant de ne rien faire, de réaliser une prise d’informations aussi exhaustive que possible en prenant des notes. Cette dernière précision est importante pour ne pas oublier ce que nous avons vu au bout de six mois lorsque nous serons concentrés sur l’activité. L’idée est notamment d’éviter de retomber dans des pratiques que nous souhaitions évincer. Cette phase d’observation permet également de se mettre dans les chaussures du dirigeant afin de pouvoir prendre sa place et, petit à petit, impulser son propre mouvement d’une façon sereine et tranquille. L’écueil qu’il est important d’éviter est de vouloir aller trop vite. Bien que cela puisse booster l’activité, les équipes n’ont pas nécessairement eu le temps de s’adapter et ne pourront pas suivre ce nouveau processus.

Tristan Henner, vous avez repris AD Couture avant la crise actuelle, quels ont été les piliers de votre succès et notamment au cours de cette période si particulière pour un repreneur ?

T. H. Il s’agit d’un équilibre entre plusieurs choses. Il faut d’abord faire prendre conscience aux équipes de la difficulté que nous allons affronter. Bien que nous ayons un système assez protecteur en France qui peut laisser croire à des personnes qui ne sont pas à la direction de l’entreprise que rien n’a changé. Cela permet d’apporter, de manière tempérée, un peu de stress dans la machine tout en se montrant rassurant sur l’avenir afin que les gens puissent se projeter. Le second élément pour traverser cette situation c’est la nécessité d’être très rigoureux, aussi bien dans la gestion managériale qu’économique de l’entreprise. Il est important d’avoir conscience des difficultés rencontrés par les employés du fait de la situation sanitaire – garde d’enfants, assistance de proches – afin de ne pas détruire le pacte de confiance que vous avez avec eux. Mais il est aussi primordial de retravailler les coûts en renégociant certains frais ainsi que la productivité. C’est cette situation qui permet de s’en sortir avec une relativement bonne résilience.

Propos recueillis par David Glaser.

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