Ubérisation de la profession, impacts de la crise économique sur les dossiers contentieux, développement des modes alternatifs de règlement des conflits, réforme du droit des contrats : Alexandre Limbour revient sur l’actualité.

Décideurs. Beaucoup de vos confrères évoquent « l'ubérisation des avo­cats ». Comment appréhendez-vous ce phénomène et comment le voyez-vous évoluer ?

Alexandre Limbour. Je constate comme vous que l’inquié­tude va croissant, mais je ne crois pas qu’il soit opportun de comparer le phénomène que connaissent notam­ment les taxis, avec les défis qui sont proposés à la profession d’avocat.

Le terme d’« ubérisation » fait réfé­rence au risque que rencontre telle ou telle profession d’être supplantée soudainement par un nouvel acteur économique qui, par l’effet cumulé (i) des opportunités extraordinaires qu’offrent les nouvelles technologies et (ii) d’une adaptation potentiellement trop lente du droit, serait en mesure de lui faire une concurrence fatale.

La réflexion que nourrit notre pro­fession devant la multiplication des plates-formes qui proposent des modèles d’actes pré-rédigés ou encore des actes introductifs d’instance stan­dardisés, m’apparaît légitime, mais sans toutefois qu’elle soit de nature à inquiéter. Je pense en effet que le dan­ger corrélatif de vulgarisation ou de dépréciation des prestations que nous proposons à nos clients est, d’une part, limité aux actes et aux situations les plus élémentaires que nous rédigeons ou rencontrons mais, surtout, que ce serait céder à une étonnante illusion que d’imaginer que le seul parcours universitaire – et donc la seule acqui­sition supposée d’un socle de connais­sances communes – justifie que l’on saisisse aveuglément et indifférem­ment tel avocat, plutôt que tel autre.

Ma conviction, pour n’évoquer que le domaine contentieux qui consti­tue la spécificité de notre cabinet, est qu’aucun(e) algorithme, robot ou base de données, ne pourra supplanter l’as­sistance d’un avocat lors d’une phase précontentieuse, lors de la négociation d’une issue transactionnelle, lors de l’élaboration d’une stratégie judiciaire, ou encore lors de la confrontation d’ar­guments fondés mais contradictoires.

En un mot, la digitalisation de notre activité vient simplement nous rap­peler que dans le contexte extrême­ment concurrentiel qui a toujours été le nôtre, le travail, l’implication et la rigueur constituent les meilleures assurances de voir l’avocat continuer d’occuper la place spécifique qui est la sienne dans l’environnement écono­mique et judiciaire.

 

Décideurs. Quels sont les impacts de la crise économique sur les dossiers conten­tieux?

A. L. On a coutume de considérer que les crises économiques, si elles touchent sévèrement les activités de conseil, sont en revanche des périodes de très forte sollicitation pour les avocats exerçant en contentieux.

Pour ne prendre que cet exemple, la multiplication des actions issues de rupture de relations commerciales et la très forte variété jurisprudentielle observée sur ce sujet durant ces der­nières années, ne viennent assuré­ment pas contredire ce postulat. Sans nécessairement disposer de tout le recul nécessaire, je crois toutefois que la crise que nous connaissons a pour spécificité d’avoir vu nombre de ces situations contentieuses se solder par des issues négociées et plus nécessai­rement par le prononcé de décisions de justice.

 

Décideurs. Les modes alternatifs de règlement des conflits devraient donc mon­ter en puissance dans les années à venir. Comment les utilisez-vous aujourd'hui ?

A. L. Le cabinet a naturellement toujours accompagné ses clients lors des négo­ciations transactionnelles que ceux-ci souhaitaient mener pour mettre amia­blement un terme à tel ou tel litige. Ces dernières années ont simplement vu se multiplier les issues négociées expressé­ment encouragées par les Juridictions ou encore proposées par le Parquet. Le développement de ces solutions alternatives, en ce qu’il permet notam­ment aux acteurs économiques de s’y familiariser, en accroît la crédibilité et l’attractivité. Il y a donc tout lieu de penser que la montée en puissance que vous évoquez va perdurer. De nom­breuses situations nécessitant in fine le prononcé d’une décision tranchant le litige demeureront toutefois.

 

Décideurs. Au regard de la spécialité conten­tieuse de votre cabinet, quel regard portez-vous sur la réforme du droit des contrats ?

A. L. Cette réforme répond à la volonté louable (i) de moderniser un droit qui ne répond plus fidèlement aux réali­tés et aux crises que nous connaissons et, ce faisant, (ii) de le rendre attrac­tif dans un contexte international de concurrence forte entre les légis­lations. Sans en détailler les aspects, je crains toutefois qu’elle constitue le ferment d’un contentieux dense et varié. À cet égard et sans être exhaus­tif, l’extension du devoir d’informa­tion dans la phase précontractuelle, les modalités de révision des contrats de longue durée, la consécration d’un état de faiblesse aux contours incer­tains, ou encore la généralisation des clauses abusives, réservent probable­ment de nombreuses situations liti­gieuses.

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