Alexandre Lallet quitte la fonction publique en 2015 pour rejoindre La Poste à la tête de la direction juridique et conformité du groupe. Rares sont les directeurs qui portent les deux casquettes, mais l’énarque défend sa vision de la fonction.

Décideurs. Qu’est-ce qui vous a convaincu de rejoindre le groupe La Poste ?

Alexandre Lallet. J’ai eu envie de relever, aux côtés des autres postiers, le défi d’un groupe dont le rôle social est sans équivalent dans ce pays et qui est confronté à la remise en cause progressive de son activité originelle.  J’ai grandi à la campagne où j’ai vu le facteur relier les gens entre eux et au monde, et pas seulement en distribuant des courriers et des colis. Je suis très attaché à cette fonction sociale de La Poste, immergée dans la vie locale. Symboliquement, humainement et pratiquement, il est important pour nos concitoyens d’avoir un bureau de poste non loin de chez eux. Et en même temps, La Poste doit se réinventer au XXIe siècle, repenser son activité pour rester fidèle à sa raison d’être et tenir compte du changement d’univers. J’ai voulu apporter ma contribution à ce virage historique.

Quelle est votre approche de la conformité ?

Elle consiste à privilégier la pédagogie et le dialogue sur la coercition et le contrôle. Convaincre les dirigeants, les opérationnels, qu’il est de leur intérêt d’intégrer pleinement le respect de la norme dans leurs réflexions et leurs décisions. Si nous ne parvenons pas à faire passer ce message, la conformité sera toujours vécue comme une contrainte extérieure et échouera. Nous devons éveiller les consciences, sensibiliser, éclairer et guider, sans inquiéter ni irriter. C’est un art d’équilibre. L’amende infligée au groupe en 2015 par l’Autorité de la concurrence dans le dossier des expressistes a contribué à cette prise de conscience collective et crédibilisé les programmes de conformité au sein du groupe.

« Éveiller les consciences sans inquiéter »

L’éthique a-t-elle également une place importante dans votre gouvernance ? 

La fonction « compliance » comporte naturellement une dimension éthique. Notre corpus juridique puise ses racines dans un ensemble de valeurs morales qui irriguent la vie en société. Lorsque nous déployons une démarche de conformité, en concurrence ou en anticorruption, nous relayons et capitalisons sur la culture d’entreprise et les valeurs qui la fondent. C’est la raison pour laquelle nous travaillons main dans la main avec le déontologue du groupe, Patrick Widloecher, et ses équipes. L’une des tendances marquantes de ces dernières années est la volonté du législateur de faire basculer des bonnes pratiques déontologiques dans le champ des obligations légales et contraignantes. La frontière entre éthique et droit s’estompe.

Dans certaines entreprises, le directeur de la conformité et le directeur juridique ont deux statuts distincts. À La Poste vous avez les deux casquettes. Est-ce un choix stratégique ?

L’entreprise a fait ce choix en raison de la très forte adhérence entre le conseil juridique et la conformité. Je suis convaincu qu’il ne serait pas pertinent de créer une filière « conformité » à part entière, dotée de compliance officers distincts des experts techniques du sujet. Le confier aux directions de l’audit n’envoie pas à mon sens le bon signal. Un programme de conformité concurrence doit être piloté par les équipes spécialisées en droit de la concurrence, à charge pour elles de s’appuyer sur un réseau de correspondants dans les business units et sur l’ensemble des ressources disponibles dans l’entreprise. Il est à cet égard indispensable qu’un soutien technique transverse soit apporté à ces pilotes pour ce qui concerne la méthodologie de la conformité, qui est assez normée, et la prise en charge de sa dimension « notariale », c’est-à-dire la traçabilité des actions. La conformité se prouve et s’affiche. C’est un actif à valoriser.

« Faire de la tolérance zéro le pilier de notre démarche anti-corruption »

La loi Sapin 2 a-t-elle eu un impact sur votre organisation ?

Elle n’a pas été un bouleversement pour nous. Nous avions un coup d’avance avec la mise en place de longue date du dispositif d’alerte éthique, qu’il nous faut simplement ouvrir aux tiers, le groupe a toujours eu une forte sensibilité à la prévention de la corruption. Elle n’en reste cependant pas moins exigeante au quotidien pour un groupe de notre taille.

Que pensez-vous de la création de l’Agence française anticorruption (AFA) ?

C’est une excellente chose pour moraliser la vie des affaires et garantir l’égalité concurrentielle. C’est dans la logique du « level playing field ». Je pense que, dans les premiers temps, l’AFA sera dans une logique d’accompagnement des entreprises de bonne volonté, qui, comme nous, font de la tolérance zéro le pilier de leur démarche anti-corruption. Nous serons très attentifs à ses lignes directrices et à ses conseils.

 

Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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