Contrairement à la crise de 2008, les banques centrales ont répondu de manière rapide et massive face à la crise du coronavirus. Pour assurer leurs rôles dans la stabilité des prix et la stabilité financière, elles adaptent leurs dispositifs. Alexandre Hezez, directeur de la Stratégie d'investissement du Groupe Richelieu nous explique comment les banques centrales en sont arrivées à avoir un pouvoir illimité.

Décideurs. Quel regard portez-vous sur l’évolution des actions des banques centrales ?

Alexandre Hezez. Pour agir sur l’économie les banques centrales disposent d’outils conventionnels et non conventionnels. Les premiers prennent principalement la forme d’opérations de refinancement et de variation des taux d’intérêt sur le marché interbancaire. Les seconds ont été matérialisés par leurs politiques d’assouplissement quantitatif. Désormais, ces outils non conventionnels deviennent conventionnels. Autrement dit, les mesures non conventionnelles sont amenées à devenir des instruments permanents. Les banques centrales auront un pouvoir quasiment illimité.

Les banques centrales vont jusqu’à racheter des emprunts d’états et des obligations corporates. La Fed s’est aussi positionnée sur des ETF spécialisés dans les obligations High Yield. Cette stratégie pourrait-elle être appliquée par la BCE malgré le démenti de Christine Lagarde ? Les banques centrales américaines et européennes pourraient-elles aller plus loin en achetant des actions en bourse, comme l’a fait la BoJ ?

La banque centrale européenne (BCE) peut racheter des actifs pour stabiliser les marchés et stimuler la distribution de crédit. La banque du japon (BoJ) a déjà racheté des actions. Elle le fait même régulièrement via des ETS. Potentiellement, si les États-Unis rentraient en forte dépression, la Fed n’hésiterait pas à mettre en place un système de rachat d’actions. A l’heure actuelle, ils en sont loin. Les rachats de titres d’état et de titres de crédit sont suffisant. Pour la banque centrale européenne, la situation est différente. En zone euro, 85 % du financement des entreprises passe par des crédits bancaires et 15 % par les marchés financiers. Aux États-Unis 65% du financement de l’économie passe par les marchés financiers et 35% par les crédits bancaires. Acheter des actions n’a que peu d’intérêt économique pour la BCE. Elle doit avant tout se focaliser sur la distribution de crédits bancaires. Pour redonner confiance aux opérateurs, elle doit abaisser les primes de risque et en soutenir l’investissement en maintenant des taux de financement attractifs. 

 "Acheter des actions n’a que peu d’intérêt économique pour la BCE."

Les risques d'une seconde vague épidémique est-elle en train de rattraper les investisseurs qui avaient bien rebondi après la chute du mois de mars ?

La hausse des marchés s’est produite lorsque la réserve fédérale américaine a injecté 3 000 milliards de dollars. De fait, les autres banques centrales ont embrayé. Cela a eu un effet massif. Cette remontée des marchés financiers s’est aussi expliquée par un effet d’entrainement. Plus les chiffres économiques vont être mauvais, plus l’anticipation des états et des banques centrales va être importante. Aujourd’hui, ils compensent les pertes. Malgré tout, ils vont devoir ré-abonder et exacerber les mesures déjà entreprises. Nous savons qu’il y a des risques mais nous ne pouvons pas les matérialiser pour l’instant. L’économie fonctionne à nouveau en Chine. Pour cela, le pays a pris des mesures de distanciations sociale importantes.

Quelle stratégie d'investissement préconisez-vous sur les marchés obligataires ? Est-ce le moment d'allonger la duration des obligations pour bénéficier de rendements plus importants ?

Le marché obligataire reste une vraie question. Selon moi, il n’y aura pas de changement de tendance à la suite de la crise du covid-19 mais une accélération de cette tendance. Nous avons vécu une période dorée ces dix dernières années, avec des primes de risque et des taux de défauts très bas. Le contexte fait qu’ils risquent d’augmenter de manière significative alors même qu’il y a de la liquidité. Toutes les mesures mises en œuvre n’empêcheront pas les sociétés de faire faillite. Les sociétés déjà fragiles vont l’être encore plus. Cela sera notamment le cas des entreprises notées High Yield. Sur le segment on pourrait avoir une dégradation avec des taux de défaut plus important. Nous considérons qu’il faut continuer à aller sur des sociétés de qualité quitte à avoir des rendements moins importants mais compenser largement par le moindre risque.

 "C’est la stabilité et le futur de l’union européenne qui peuvent être remis en cause."

Le Nasdaq a déjà retrouvé des niveaux proches de ses plus haut historiques. Les valeurs technologiques américaines sont-elles devenues les nouvelles valeurs refuges ?

D’une certaine manière oui. Ce sont les entreprises les moins touchées et qui profitent même de la situation. Les résultats sont encore très solides. Ils tirent profit de leur monopole sur leurs activités respectives. Si une deuxième vague de baisse se produit, ces valeurs ne seront plus immunisées. Celles-ci ayant un énorme poids dans les indices.

Quelle conséquence aura la décision de la cour constitutionnelle allemande vis à vis de la politique menée par la Banque centrale européenne ?

Nous ne connaissons pas encore les conséquences. C’est la stabilité et le futur de l’union européenne qui peuvent être remis en cause. Christine Lagarde mettra tout en place pour justifier ses positions et maintenir la stabilité de l’économie de l’Union européenne. Nous pouvons espérer que cette décision secoue la commission européenne. Elle ne pourra plus voir en la BCE qu’un chéquier sans contrepartie.

Propos recueillis par Chloé Buewaert

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