Unanimement condamnée par la communauté internationale, saluée par un regain de tensions entre la Palestine et Israël, la décision des États-Unis de déplacer leur ambassade israélienne à Jérusalem attise les critiques et réveille les inquiétudes. Vice-présidente de l’Iremo (Institut de recherche et d’études Méditerranée et Moyen-Orient), Agnès Levallois revient sur cette initiative à haut risque diplomatique et sur ses effets à venir.

Décideurs. En quoi la décision du président Trump de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem est-elle lourde de sens ?

Agnès Levallois.  D’abord parce qu’en prenant cette décision unilatérale, le président américain va à l’encontre des résolutions de l’ONU reconnaissant l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la force, ensuite parce qu’elle entérine la politique de colonisation menée par Israël depuis des années, ce qui ne peut qu’attiser les tensions dans la région.

Pourquoi une telle décision maintenant alors que, depuis des années, elle était conditionnée à un accord de paix entre Palestine et Israël ?

D’abord parce que Trump en avait fait une promesse de campagne et qu’il veut, une fois de plus, se démarquer de ses prédécesseurs en disant, selon sa formule: « Moi, je coche les cases de mes promesses de campagne. » Ensuite, parce qu’il entendait adresser un message positif à une partie de son électorat traditionnaliste – les évangélistes qui représentent une part importante de son socle électoral – dans l’espoir que cela contribuerait à l’élection du gouverneur républicain en Alabama.

Sa première motivation serait donc liée à un enjeu de politique intérieure ?

Cela semble évident. Reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël  devait d’abord servir des  fins électoralistes. Il est par ailleurs probable que Trump a été poussé à agir par Netanyahu qui fait l’objet de plusieurs enquêtes pour détournement d’argent et pressions sur les médias, et se trouve actuellement en difficulté dans son propre pays. La décision américaine redore incontestablement son blason.

Cette initiative ne risque-t-elle pas de torpiller le plan de paix que Trump avait confié à son gendre, Jared Kushner ?

Sans doute, mais ce n’est pas la première fois que Donald Trump prend une décision non concertée et dépourvue de rationalité. Une fois encore, il a privilégié l’ambition à court-terme – faire gagner une élection à son candidat républicain – sur le projet à long terme de processus de paix qu’il cherchait à relancer et qui, effectivement, ne peut qu’en pâtir.  

Sur ce plan, diriez-vous qu’il existe un risque d’embrasement ?

Pour ma part, je ne crois pas à un soulèvement organisé. La scène politique palestinienne est trop éclatée et affaiblie aujourd’hui, sans le leadership nécessaire pour mener une véritable action concertée. En revanche, on risque de voir se multiplier des actions individuelles de désespoir de la part de Palestiniens qui se sentent abandonnés de tous. Mais, pour les États-Unis, tout cela reste un conflit de basse intensité. D’autant que, selon Trump, les principales puissances de la région – l’Égypte et l’Arabie saoudite – ont trop besoin des États-Unis pour, une fois l’émotion retombée, laisser leurs relations se détériorer.

Quel peut être l’impact de cette crise sur l’Europe ?

Il est clair que les États-Unis ne sont plus en mesure désormais de jouer les « honnêtes courtiers » dans la région, ce rôle impliquant d’avoir la confiance des deux parti et donc, de faire preuve de neutralité. L’Europe pourrait donc être amenée à les remplacer sur ce terrain et voir son poids diplomatique se renforcer, notamment la France qui en a la légitimité puisqu’elle entretient des relations de longue date avec les deux pays, qu’elle n’a cessé d’en appeler à une solution à deux États et qu’elle est à l’origine de plusieurs initiatives en faveur de la paix dans la région. Cela lui donne la légitimité de se positionner et d’agir, mais elle ne pourra bien évidemment pas le faire seule.  

Propos recueillis par Caroline Castets

 

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