Présidente de Publicis France depuis avril 2017, Agathe Bousquet revient sur la stratégie de développement du groupe dans un contexte boursier compliqué, sur le rachat d’Epsilon ainsi que sur la place de la créa au sein d’une entreprise qui change.

Décideurs. Vous êtes aujourd’hui à la tête de Publicis groupe France. Quelle est votre stratégie de développement dans un contexte boursier compliqué cette année ?

Agathe Bousquet. Notre ambition est de devenir le partenaire de la transformation marketing et digitale de nos clients. Nous possédons aujourd’hui à la fois les talents et les actifs en création, médias, data et technologie pour nous permettre de les accompagner au mieux dans un contexte fortement sous pression. Notre clientèle fait face à un triple défis : trouver de la croissance dans des marchés souvent atones, gagner en compétitivité face à de nouveaux concurrents et restaurer la confiance dans leur marque malgré l’exigence croissante des consommateurs en matière d’expérience. Nous devons donc plus que jamais être justes stratégiquement, magiques en création et capables de délivrer de manière puissante et dynamique les bons contenus sur les bons médias au bon moment.

Cela a nécessité une profonde transformation du groupe lui-même, de sa vision et de son organisation. La stratégie du « Power of One » lancée par Maurice Lévy et accélérée par Arthur Sadoun porte cette ambition : être le partenaire majeur et intégré au service de nos clients. Organisés par pays, nous avons cassé les silos pour placer le client au centre de nos activités. Nous sommes une plateforme de talents en création, data, médias, technologie, capable de conjuguer toutes ces expertises. Notre manière d’agir est notre principale force et je le constate tous les jours au sein de Publicis en France.

Publicis vient de réaliser une opération historique en acquérant Epsilon pour 4,4 milliards de dollars. Pourquoi avoir porté votre choix sur une société de spécialistes du CRM et du marketing data ?

La data, au même titre que la marque, est devenue un actif fondamental pour les entreprises. Dans moins de trois ans, 80% des médias seront data-driven, c’est-à-dire pilotés par la donnée. Si l’entreprise n’est pas propriétaire de son propre patrimoine de données, elle ne sera pas en mesure d’exploiter de manière optimale les différents médias à sa disposition. Elle sera alors data-dépendante de plateformes qui ont agrégé des volumes de données uniques (grâce aux investissements des marques elles-mêmes). Par ailleurs, c’est toute l’expérience de marque qui doit aujourd’hui se personnaliser. L’expérience offerte, notamment en omnicanal, est devenue le premier critère de choix d’une marque, loin devant sa notoriété ou sa réputation. Les pure players et les DNVB, c’est-à-dire les marques ayant un modèle industriel verticalement intégré que l’on trouve sur le net, ont redéfini les standards en matière d’expérience et de parcours client. Ils sont devenus la norme, une norme que les marques historiques doivent atteindre, au risque de se disqualifier toutes seules de la shopping list. Or, l’expérience ne se construit qu’avec ces bases de données. Sans data, pas de ciblage, pas d’individualisation des messages… Voilà pourquoi Publicis acquiert ce type d’actif : pour accompagner ses clients dans ce nouveau défi. Constituer un patrimoine data, le consolider et l’exploiter.

"Il faut revenir aux fondamentaux : délivrer le bon message, au bon moment, à la bonne personne et sur le bon device"

Vous venez également d’annoncer le lancement de la branche française d’Epsilon. Quelles sont vos ambitions et quelles synergies souhaitez-vous créer entre les deux entités ?

Notre ambition, en France, est de devenir le partenaire des entreprises dans leur stratégie data. Cela ne veut pas dire que l’on exige d’être seul aux commandes, bien d’autres spécialistes dans la data peuvent nous être utiles. Mais nous voulons être le garant de la stratégie et de la priorisation. Aujourd’hui, les grands annonceurs sont globalement déçus de leurs investissements dans la data. Ils ne voient pas le ROI. Pourquoi ? Parce qu’il y a trop d’acteurs, trop de silos, trop de technos… Imaginez, dans une entreprise, on recense en moyenne vingt-deux personnes formées à la technologie du marketing digital … Il faut revenir aux fondamentaux : délivrer le bon message, au bon moment, à la bonne personne, sur le bon device. Cela peut paraître vieux comme le monde mais aujourd’hui personne ne le fait. C’est la vocation d’Epsilon France.

Publicis semble en pleine mutation et dans une redéfinition de son champ d’intervention. La création reste-t-elle encore aujourd’hui au cœur de vos priorités ?

La création est notre raison d’être. Nous construisons de grandes marques et de grandes expériences grâce à elle. Elle nous distingue des cabinets de conseil et des boites de tech. D’ailleurs, on a tort d’opposer l’investissement fait par le groupe dans la donnée à son ambition créative. En réalité, cela se renforce. La data science n’est rien d’autre qu’une « people » science. Et les bons directeurs de création en sont friands. Être créatif, c’est faire quelque chose qui n’a jamais été fait, imaginer quelque chose de nouveau, et la data, à ce titre, est une formidable source d’inspiration. Chez Publicis, nous mettons plus de planning stratégique dans la data et plus de data dans le planning stratégique au service de la créativité.  Chez Publicis Sapient, où nous sommes au cœur de la transformation digitale des entreprises, la créativité est aussi clef car elle permet d’envisager des expériences et des parcours consommateurs cohérents pour la marque et intéressants en matière de contenus pour les consommateurs. Je crois que nos équipes partout le savent. La créativité est notre différence et notre chance. Nous avons d’ailleurs renforcé nos talents. Nous avons nommé Anne de Maupéou directrice de la création en France. Elle est immensément douée et elle nous aide à recruter les meilleurs partout. Nous avons nommé cette année Marco Venturelli président de Publicis Conseil, l’agence qui est le vaisseau amiral du groupe en France. Il est lui aussi un grand directeur de création. Ces choix et ces nominations sont stratégiques pour nous.

"La data est une formidable source d’inspiration"

Comment voyez-vous le futur de votre secteur d’activité ?

Je ne nie pas les pressions sur notre secteur, mais je fais partie des optimistes quant à son avenir. Je considère que nous faisons un métier utile. Nous accompagnons la création de valeur des entreprises, à la fois en renforçant le rôle de leur marque mais aussi en construisant avec elles les expériences les plus intéressantes avec leurs consommateurs. Nous avons profondément un rôle à jouer à l’heure où les entreprises s’interrogent sur leur purpose et leurs relations avec leur écosystème.  Chacun prend conscience que le consommateur est devenu beaucoup plus exigeant, beaucoup moins fidèle, qu’il faut beaucoup d’idées, de talents et de datas pour fonder et nourrir une relation avec lui. Ce n’est pas si simple de bien communiquer et de transformer. La plupart des entreprises savent, notamment en France, que les agences sont un partenaire essentiel. Nous sommes en train de sortir d’une période où nos métiers ont été à tort caricaturés.

Cependant, nous avons des combats à mener encore pour rappeler le pouvoir des marques, la valeur de la créativité, le respect d’une idée, mais aussi tout simplement l’importance des règles de bonne pratique dans les appels d’offres (de plus en plus longs, coûteux, pour ne pas dire laborieux) ... Le futur d’un secteur dépend souvent de la manière d’agir de ses acteurs. Annonceurs et agences doivent défendre ensemble les métiers et les talents du secteur.

Propos recueillis par Alexandre Lauret

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