Avec 50 % du capital du CAC 40 entre les mains d’investisseurs étrangers, la France apparaît de plus en plus comme un terrain de jeu pour les activistes. Mal perçus, souvent craints, leurs stratégies et les moyens employés n’en demeurent pas moins protéiformes. De quoi les activistes sont-ils le nom ?

Dernière pression en date ? La direction de Danone vient de céder sous celle de plusieurs fonds activistes au nombre desquels se distinguent Artisan Partners et Bluebell Capital Partners. Pour eux, plusieurs souhaits exprimés, dont le départ ­d’Emmanuel Faber, son PDG, accusé d’avoir sous-performé le marché, et l’impulsion d’une nouvelle stratégie misant sur la ­rentabilité.

Danone n’est pas, ou plutôt n’est plus, un cas isolé. Pernod Ricard, le Club Med, Rexel, Safran, Altran, Lagardère mais aussi la Scor ou encore Suez, lors des offensives respectives de Covea et de Veolia, sont autant de grandes entreprises françaises ayant eu ­affaire ou devant composer avec ces fonds. Force est de constater que nos grands ­patrons doivent désormais affiner leur courbe d’expérience à l’heure de l’affrontement et savoir s’entourer, a minima, de conseils efficaces pour espérer les contrer.

Activistes égalent prédateurs : une vision trop simpliste ?

L’image des activistes reste souvent assimilée à celle des spécialistes de la "vente à découvert". Pour mémoire, l’intervention, très visible, de Muddy Waters dans Casino avait abouti, outre des poursuites judiciaires, à l’ouverture d’une enquête de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et d’une commission d’enquête parlementaire ayant donné lieu à un rapport sur l’activisme actionnarial. Pourtant certains poursuivent d’autres stratégies, event driven – à l’instar de CIAM prenant ouvertement position lors de la tentative de reprise de Scor par Covéa ou plus récemment demandant à Suez d’accepter l’offre de Veolia, ou d’Elliott Management s’opposant au retrait de cote de ­Dentressangle par XPO Logistics – ou encore de positions moyen terme dans des entreprises qu’ils estiment sous-évaluées, comme pour ­Amber Capital dans Lagardère.

Tout activiste n’est donc pas un Gordon Gekko en puissance. Au-delà de l’image du raider, parfois réelle, pointe l’intérêt de ces "empêcheurs de tourner en rond". Leurs défenseurs rappellent ainsi que si leurs interventions ne sont pas celles d’un "chevalier blanc", les petits porteurs voient à court terme leurs intérêts défendus. Remettant en cause le management et ses résultats, les activistes sont souvent le reflet d’une opinion partagée par de nombreux investisseurs institutionnels, également actionnaires de ces entreprises mais généralement peu disposés à faire des vagues. Ils visent les situations "anormales" en leur donnant de la visibilité.

"Les activistes sont souvent le reflet d’une opinion partagée par de nombreux investisseurs institutionnels"

En outre, l’activisme actionnarial n’est pas toujours l’œuvre de fonds. Preuve en est d’Unibail-Rodamco-Westfield. La date, rapprochée, de l’assemblée générale a ainsi permis à Xavier Niel et Léon Bressler – ex-Pdg d’Unibail-Rodamco – de remettre en cause la stratégie de développement menée par la direction et de s’opposer à l’augmentation de capital prévue. Avec un proxy fight habile, parvenant à fédérer une majorité d’actionnaires, ils sont ainsi parvenus à pousser Christophe Cuvillier à la démission, le remplaçant par Jean-Marie Tritant.

De nouvelles lignes de défense

Si une bonne gestion reste la meilleure arme de défense, l’arsenal juridique et les pratiques évoluent. Porté par Eric Woerth et Benjamin Dirx, le "Rapport sur l’activisme actionnarial" souligne l’importance de doter l’AMF de nouvelles prérogatives mais aussi d’encourager les entreprises à devenir "leur propre activiste" en analysant préventivement leur gouvernance, leur structure et leur stratégie en vue d’identifier des failles. Associé-gérant de Lazard cité par le rapport, Richard ­Thomas rappelle que "le moyen le plus efficace pour éviter une attaque consiste à mener une communication financière la plus transparente possible, avec une comptabilité simple et la publication de rapports aisés à comprendre." Renforcer le conseil d’administration et améliorer encore l’indépendance des administrateurs s’avère tout aussi indispensable. Au même titre que l’émergence de la figure d’un administrateur référent, en charge de la gouvernance et des relations avec les actionnaires. Pas encore assez utilisé en France, le code Afep-Medef, l’Institut français des administrateurs (Ifa) ou encore l’AMF l’appellent de leurs vœux. Sans parler d’un renforcement des pratiques ESG : le rapport pointe du doigt le fait que la démarche ESG et la prise en compte de toutes les "parties prenantes" seront dans un avenir proche l’un des angles d’attaque des activistes.

"La démarche ESG et la prise en compte de toutes les “parties prenantes” seront, dans un avenir proche, l’un des angles d’attaque des activistes"

Au nombre des autres recommandations des parlementaires on retiendra l’abaissement du niveau de la déclaration de franchissement de seuil de 5 % à 3 % ; la publication de ces déclarations de franchissement de seuil à la hausse comme à la baisse, et enfin l’identification plus facile et moins coûteuse de la procédure de titres au porteur. En bref, autant d’actions pour permettre à l’entreprise de connaître dans le détail ses actionnaires et assurer rapidement la visibilité de l’entrée au capital d’un investisseur activiste.

Mieux encore que les droits de vote double, les "Bons Breton" ou encore l’abaissement du seuil d’intégration à 90 % – efficaces pour atténuer les velléités activistes lors d’OPA – la société en commandite s’impose comme l’une des meilleures lignes de défense. Arnaud Lagardère ne dira pas le contraire quand ce statut lui a permis de résister à Amber Capital, ­soutenu par ­Patrick Sayer.

Pour l’instant tout du moins, car il a néanmoins dû faire appel successivement à deux chevaliers blancs : Vincent Bolloré tout d’abord, avant de finalement se rallier à Amber Capital, puis Bernard Arnault enfin, qui, par le biais de la Financière Agache, est, lui, directement entré au niveau de la commandite. Reste à voir quel aura été le meilleur choix.

La loi Pacte pourrait également ouvrir d’autres voies. Toute "Entreprise à mission" qu’elle soit, Danone aura finalement fait le choix de satisfaire les uns... et les autres. En matière de communication, le groupe fait désormais passer ses "objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux" devant la seule recherche de rentabilité. Mais les chiffres sont les chiffres et la gouvernance du groupe se doit d’évoluer. Une chose est sûre, les ­intentions activistes auront eu pour principal intérêt de remettre l’actionnaire sur le devant de la scène. 

Alexis Valero

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