Fort d’une solide expérience en négociation collective, Antoine Vivant plaide pour une approche collaborative et décloisonnée du droit social, au sein des entreprises comme dans son cabinet.

Décideurs. Le métier de conseil en droit social tend-il à se transformer ?

Antoine Vivant. Aujourd’hui, notre pratique n’est réellement efficace qu’au sein d’un écosystème. Il existe bien sûr des cabinets de niche, cabinets dans lesquels j’ai moi-même fait mes armes. Mais l’expertise n’exonère pas d’une culture de la transdisciplinarité qui seule permet de disposer d’une compréhension plus large des problématiques et d’une plus grande réactivité. En tant qu’avocats en droit social, nos interlocuteurs privilégiés, les directions de ressources humaines, nous consultent souvent pour des questions très pointues. Si vous ne cultivez pas l’habitude de dépasser le périmètre du questionnement de votre client, votre intervention sera celle d’un réassureur technique. À la longue, cela nuit à notre valeur ajoutée.

Comment ne pas se laisser enfermer dans un tel rôle de diseur de droit ?

Il s’agit de poser la question d’après, de sortir des sentiers battus. « Thinking out of the box  », comme le disent les Anglo-Saxons. Cela suppose néanmoins que les entreprises associent davantage leurs avocats à la gestion de leurs problématiques. Si elles n’utilisent leurs conseils que pour leur dire le droit, à terme elles se priveront de notre valeur ajoutée, celle d’un vrai conseil stratégique indépendant dont l’entreprise ne disposera jamais en interne, en raison de la subordination et de la dépendance économique des managers, sans compter les jeux politiques internes… Cette compétence risque de disparaître au détriment d’une capacité à discuter, challenger et, in fine, proposer quelque chose de différent, peut être nouveau, mais surtout pertinent. Aller un peu plus loin, c’est une véritable culture qui ne s’acquiert qu’au contact du terrain par la complémentarité des intelligences et des expériences.

Dans une logique de réseau?

Oui, mais pas seulement dans le sens de partenariats informels noués avec des « best friends ». En effet, sortir du cadre offre l’occasion de travailler avec des personnes expertes dans leurs domaines d’activité qui peuvent être aussi bien des spécialistes des ressources humaines ou de la stratégie que des professionnels de la prévention et de la gestion des risques. En créant avec eux les conditions d’une situation de coconstruction, la palette dont disposent les avocats s’élargit. Il devient alors possible de concevoir des idées que nous n’aurions jamais pu imaginer seuls. Cette manière d’utiliser un réseau de manière « intégrée » témoigne d’une vision de la matière qui tient compte de l’évolution de notre métier. Elle constitue ce que j’appelle le « social décloisonné », le fait non seulement de se nourrir d’autres expertises mais aussi, et surtout, de proposer à nos clients une solution complète et transverse.

« Si vous ne cultivez pas l’habitude de dépasser le périmètre du questionnement de votre client, votre intervention sera celle d’un réassureur technique »

Concrètement, comment s’articule ce décloisonnement ?

Nous collaborons étroitement avec un réseau que nous avons appelé Alliance Transformation France qui regroupe des structures de conseils spécialistes, notamment de la prévention des risques psychosociaux, du management de transition, ou encore de la « qualité sociale ». Cela s’avère particulièrement précieux au quotidien. Prenons, par exemple, le cas d’une réorganisation. Elle ne ménage pas les managers puisqu’il leur est demandé à la fois de gérer les missions liées à l’activité normale de l’entreprise et d’avoir un rôle pivot dans le projet de réorganisation. C’est beaucoup de travail et de stress. En de telles circonstances, pourquoi ne pas recourir par exemple à un manager de transition. Sa mission est précisément de se consacrer au projet de réorganisation. Plus libre, car sans enjeu professionnel dans l’entreprise à long terme, il est plus efficace dans la prise de décision. Il allège ainsi la charge de travail de l’équipe managériale en place, qui peut rester performante, et offre une capacité de travail et de réflexion supplémentaire, dédiée au projet. Il est mieux à même de conduire la réorganisation et de gérer le volet prévention des risques.

Quelles thématiques l’épidémie de Covid-19 a-t-elle fait émerger ?

Sans surprise, avec la crise sanitaire, la situation économique des entreprises et le recours au télétravail se sont placés au cœur du débat public. En revanche, j’entends peu parler de l’une des conséquences de la généralisation du travail à distance et de l’isolement qu’il engendre. Je pense en particulier aux partenaires sociaux qui voient leur lien avec le terrain se distendre dangereusement. Cette perte de contact entame leur légitimité à représenter la base dans les négociations d’aujourd’hui et celles à venir. Les IRP sont alors souvent tentées de se réfugier dans la procédure et le conflit. L’action leur assure un maximum de sécurité et la légitimité qu’elles craignent justement de perdre. Cela intervient au détriment de l’innovation et de la créativité dont elles peuvent être porteuses au même titre que les directions d’entreprise. N’oublions pas que la négociation collective et la qualité sociale sont le fruit d’un travail commun.

Que peuvent faire les entreprises pour donner aux organisations syndicales les moyens de se réapproprier le terrain?

Les organisations syndicales disposent d’un droit de communication par voie de tracts. Elles ne sont pas autorisées à utiliser comme elles le souhaitent les réseaux d’information internes aux entreprises pour communiquer directement avec les salariés et pas seulement leurs militants. Il faut un accord pour cela. Dans le contexte actuel, j’inviterais les entreprises à modifier ces accords, à permettre aux IRP de communiquer de manière plus large et plus fréquente. On voit désormais apparaître des délégués syndicaux qui créent des blogs ou des newsletters dont le succès est surprenant, notamment au regard du nombre d’adhérents à leurs mailing listes. C’est le signe qu’il existe un vrai besoin d’information. Les entreprises doivent en conséquence repenser le champ de leur communication.

Propos recueillis par Marianne Fougère 

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